Bénin : stop à l’irresponsabilité !
André Franck Ahoyo est consultant international, cofondateur de l’Unida et du site www.ohada.com.
La sentence rendue le 13 mai 2014 par un tribunal arbitral agissant sous l’égide de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’Ohada, sise à Abidjan (Côte d’Ivoire) dans l’affaire opposant la société Bénin Control SA et l’État du Bénin ordonne à ce dernier de reprendre l’exécution du contrat du marché sous 60 jours à compter de sa notification et le condamne à verser une amende record de 131 milliards de F CFA en sus des frais d’arbitrage.
Cette sentence a suscité des réactions en chaîne des plus hautes autorités politiques de ce pays : la plus absurde est sans doute la menace de sortir de l’Ohada. Cette sortie véhémente des autorités béninoises suscite en effet des interrogations sur la gouvernance de nos États et la détermination des africains à poursuivre et à approfondir les processus d’intégration régionale. La sentence est un signal fort adressé à nos gouvernants qui considèrent souvent à tort que la justice ne peut être indépendante et de qualité et qu’ils peuvent transgresser le droit sans conséquence pour eux.
La sentence est un signal fort adressé à nos gouvernants
État de droit
Elle vient, par ailleurs, éclairer l’importance de la CCJA qui peinait ces derniers temps à démontrer son rôle dans la construction d’une plus grande sécurité juridique et judiciaire et l’instauration d’un État de droit économique et d’une justice impartiale. Un rôle éminent contre toute forme d’arbitraire et contre les actes irresponsables des justiciables en matière contractuelle.
Les menaces proférées par les autorités du Bénin de ne pas verser les sommes réclamées au titre des préjudices subis par la société Benin Control SA et surtout le fait d’agiter comme un chiffon rouge la sortie du Bénin de l’Ohada constituent d’abord une faute morale et politique, alors que le Bénin abrite le siège permanent de l’École régionale supérieure de la magistrature (Ersuma), institution de formation et de perfectionnement des magistrats et auxiliaires de justice de l’Ohada et que l’un de ses ressortissants, dont le mandat arrive en phase de renouvellement à la fin de cette année 2014, dirige le Secrétariat permanent de l’organisation, basé à Yaoundé.
Mauvais signal
C’est également un mauvais signal adressé aux autres pays membres de l’Ohada et surtout aux partenaires techniques et financiers de cette organisation continentale. On sait en effet qu’à la suite de l’assistance technique de la Société financière internationale (IFC) qui a permis de consolider le cadre législatif de cette institution communautaire en procédant à la révision de certains Actes uniformes, la Banque mondiale a octroyé un don sans précédent à l’Ohada de 15 millions de dollars. Don qui devrait permettre de renforcer les capacités managériales de ses organes et financer certains projets fondamentaux tels l’informatisation du Registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM).
Enfin, comment ne pas juger inapproprié le comportement des autorités béninoises à la veille d’une importante table ronde que le Bénin organise avec ses partenaires à Paris (au siège de la Banque mondiale, comble de l’ironie) courant juin 2014 pour attirer des investisseurs potentiels sur ses projets d’envergure.
L’Ohada (…) ne doit pas être un jouet aux mains de nos gouvernants
Processus d’intégration
Certes, le Bénin n’est pas le premier pays à avoir brandi la menace de se retirer des instances communautaires de l’Ohada. Il n’y a pas si longtemps, la Centrafrique, toujours à la suite d’une décision judiciaire, avait également proféré de telles menaces sans toutefois les mettre à exécution.
L’Ohada, créée en 1993, ne doit pas être un jouet aux mains de nos gouvernants, encore moins servir d’alibi pour détourner l’attention de l’opinion. Tous ceux qui considèrent cet instrument juridique majeur comme un facteur d’unité et de développement économique de nos États doivent rappeler à ces derniers que les processus d’intégration dans lesquels la plupart des États africains se sont engagés depuis de nombreuses années sont irréversibles et constituent la seule voie crédible pour un développement harmonieux de nos États, si petits et si fragiles.
Penser le contraire est un leurre dangereux. Nos États ne trouveront de salut que dans la constitution de regroupements régionaux capables d’évoluer vers de véritables marchés intégrés, les postures nationalistes ne pouvant que mener à l’impasse.
Il est temps de nous mobiliser pour promouvoir et faciliter l’intégration régionale, en rendant effective la libre circulation des biens et des personnes, en travaillant à l’abaissement des barrières douanières et tarifaires, en bâtissant une fiscalité de développement et en construisant des infrastructures interrégionales. En réalité, il nous faut construire les fondations et les moteurs d’investissement pour mobiliser la jeunesse africaine qui aspire à une formation qualifiante, à l’emploi et à un destin meilleur. Ainsi, briser l’élan de l’intégration économique, revenir à une fragmentation de nos économies et au délitement de nos solidarités si chèrement acquises est une attitude suicidaire.
Ce changement de mentalité et de posture exigent notre participation à tous. Celle-ci exclut toute complaisance envers ces réactions nationales irresponsables. Elle nécessite toute la détermination des « enfants » de Kéba Mbaye (2). Elle fait plus que jamais appel à notre volonté ardente et soutenue de ne pas être le « Quartier crétin » (3) du monde.
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(1) Association pour l’unification du droit en Afrique créée en 1998
(2) Éminent juriste panafricaniste originaire du Sénégal, ancien président du directoire de l’Ohada, ancien président de l’Association pour l’unification du droit en Afrique, ancien vice-président de la Cour internationale de justice de la Haye
(3) Par analogie au « Quartier latin », qualificatif donné au Dahomey (devenu Bénin en 1975) par l’administration coloniale
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