Le combat des chefs

Le président Amadou Toumani Touré est candidat à sa propre succession. Face à lui, l’ex-Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta veut croire à sa chance. Revue de détail avant le premier tour, prévu le 29 avril.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

Le Mali est en année électorale : une présidentielle dont le premier tour est prévu le 29 avril prochain, et des législatives dans les trois mois suivants. Deux scrutins déterminants pour un pays souvent cité en modèle de démocratie et de bonne gouvernance. Avant de faire le point sur les différentes forces en présence, un bref rappel des épisodes précédents s’impose.
Le 22 mars 1991, une manifestation estudiantine est sauvagement réprimée par le régime de Moussa Traoré. Quatre jours plus tard, l’armée renverse ce dernier. Le colonel Amadou Toumani Touré (ATT), commandant du corps des parachutistes, prend le pouvoir. Il organise une Conférence nationale qu’il préside et fait adopter une nouvelle Constitution, donnant ainsi naissance à la IIIe République du Mali. Des élections sont organisées et le professeur Alpha Oumar Konaré est élu président. En remettant le pouvoir aux civils comme il s’y était engagé, ATT devint un symbole, le « soldat de la démocratie ». La présidentielle suivante, tenue en 1997, est moins euphorique. La rue en ébullition, des opposants en prison et aucun rival digne de ce nom pour tenir tête au président sortant, qui sollicite un second mandat.
Dernière présidentielle en date, le scrutin de 2002 ne ressemble en rien au précédent. La Constitution limitant le nombre de mandats à deux, Alpha Oumar Konaré n’est pas candidat. Le général ATT se lance dans la course, en qualité de candidat indépendant. Il la remporte à l’issue d’un second tour contre son rival de l’Adéma (Alliance pour la démocratie au Mali, parti majoritaire lors des deux précédentes législatures), Soumaïla Cissé. C’est ce mandat qui s’achève le 7 juin 2007.
Passons au décor. Le paysage politique malien compte 103 partis, dont seulement une dizaine disposent d’une réelle représentation dans les institutions locales, régionales ou nationales. En revenant au pouvoir, ATT propose à l’ensemble des acteurs de la vie publique une politique de consensus national dont l’objectif serait de mettre entre parenthèses les clivages idéologiques pour se consacrer exclusivement au développement économique du Mali. Tout ce que compte l’échiquier politique malien de personnalités et partis adhère au projet présidentiel. Un gouvernement de large union nationale est mis en place. La primature ne change de titulaire qu’à une seule reprise, en avril 2004, quand l’actuel Premier ministre, Ousmane Issoufi Maïga (voir page 60), succède à Mohamed Ag Hamani. Ces deux hommes ont une caractéristique commune : ils sont apolitiques, ATT considérant sans doute que le choix d’un Premier ministre issu d’un parti constituerait une menace sur le consensus prôné. Conséquence : on constate un apaisement du climat politique notable par rapport à la législature précédente. Parallèlement, la grogne sociale se fait moins virulente. Pourtant, la conjoncture n’a pas vraiment favorisé ATT, c’est le moins que l’on puisse dire.
Trois mois et quinze jours après son investiture, la Côte d’Ivoire entre dans une longue période de turbulences. Une rébellion provoque la scission du pays voisin. C’est une catastrophe pour le Mali, totalement enclavé, dont les trois quarts des échanges commerciaux transitent par le port d’Abidjan. La fermeture des frontières terrestres avec la Côte d’Ivoire imposée par les événements prive le Trésor public de plusieurs milliards de F CFA de recettes douanières. Les menaces qui pèsent sur la communauté malienne en Côte d’Ivoire sont un casse-tête supplémentaire pour le locataire de Koulouba. Prenant conscience de la trop forte dépendance du pays vis-à-vis d’Abidjan, ATT lance un vaste programme d’investissement dans les infrastructures pour relier Bamako aux autres ports de la région (Dakar, Conakry et Téma, voir page 67) par des axes routiers bitumés.
La crise ivoirienne n’est pas le seul problème qui se pose à ATT à son retour aux affaires. Il doit faire face à une forte sécheresse qui provoque un désastre, les ruraux (plus de 72 % de la population) étant les plus touchés. Aux aléas climatiques succède une invasion acridienne. Ces deux calamités, qui touchent également les pays voisins, coûtent plusieurs points de croissance économique. « Cela a retardé le rythme de développement, mais jamais notre détermination, affirme le Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga. Après une année 2004 difficile, nos performances macroéconomiques sont pour nous une fierté. L’extension du réseau routier, la réhabilitation de la voie ferrée Bamako-Dakar, l’exécution des programmes de développement régionaux toutes ces opérations ont progressé de manière significative à partir de 2005. »
C’est cette même année que le consensus national va voler en éclats. Deux événements vont alors sortir la classe politique de la douce torpeur qui s’était emparée d’elle. Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), ancien Premier ministre du président Alpha Oumar Konaré entre 1994 et 2000, président du Rassemblement pour le Mali (RPM), actuellement au perchoir de l’Assemblée nationale, annonce son intention de se présenter à la présidentielle de 2007. Deux mois plus tard, en novembre, l’Adéma tient une convention et décide de transformer son soutien politique au président ATT en alliance électorale. Ces deux événements précipitent le débat sur la présidentielle, le consensus s’effrite peu à peu et finit par rendre l’âme. Aujourd’hui, l’échiquier politique se présente sous la forme de deux blocs antagonistes. Le premier est l’Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP), qui comprend le Mouvement citoyen (une kyrielle d’associations soutenant ATT), une trentaine de partis, dont l’Adéma, la Convention de la nouvelle initiative démocratique (CNID de Me Mountaga Tall, premier vice-président de l’Assemblée) et le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR de Choguel Maïga, ministre de l’Industrie et du Commerce). L’ADP demande au président sortant de briguer un nouveau mandat et l’assure de son soutien.
Le deuxième bloc politique est le Front pour la démocratie et la république (FDR), qui regroupe seize partis. Son objectif ? L’alternance. Le FDR regroupe le RPM d’IBK, le Parti de la renaissance nationale (Parena de Tiébilé Dramé, ancien ministre des Affaires étrangères d’ATT durant la transition entre 1991 et 1992), la Convention de la démocratie sociale (CDS de Blaise Sangaré). À l’instar du RPM, les autres formations politiques ont décidé d’investir un candidat. Alliance politique, le FDR se veut aussi alliance électorale, avec l’engagement de soutenir le candidat le mieux placé en cas de second tour.
Parmi les fondateurs du FDR figure Soumeylou Boubèye Maïga. Ayant refusé la décision de son parti, l’Adéma, dont il était le premier vice-président, il en a été suspendu en février dernier. Soumeylou Boubèye Maïga devait transformer son association, Convergence 2007 en parti politique et annoncer sa candidature à la mi-mars. De par ses statuts, le FDR est dirigé par un présidium qui élit son chef pour un mandat de six mois. Premier à occuper cette fonction : IBK. Le choix de l’ancien Premier ministre crée une situation originale au Mali, qui se caractérise par une bipolarisation de la vie politique. Et le prochain scrutin a pris des allures d’une confrontation entre le président de la République et le président de l’Assemblée nationale. Les partisans du premier sont certains d’une réélection dès le premier tour. Quant aux inconditionnels du second, ils affichent la certitude de contraindre ATT à un second tour qui lui serait fatal.
S’agit-il d’un scrutin à risques ? « Une consultation électorale est toujours un moment délicat pour les démocraties fragiles, affirme le général Kafougouna Koné, ministre de l’Administration territoriale, en charge de l’organisation des opérations de vote. Mais ce n’est pas le cas du Mali. Du moins, j’ose l’espérer. » Les Maliens aussi.

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