La nouvelle alliance

Pétrole oblige, Pékin resserre ses liens avec l’Iran et les pays du Golfe. Et se pose en futur partenaire privilégié dans une région longtemps dominée par les États-Unis.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

« Ces cent dernières années, la Chine et le Moyen-Orient se sont ignorés, constate Victor Chou, PDG de First Eastern, un groupe d’investissement de Hong Kong, mais le rapprochement est aujourd’hui très net, politiquement et économiquement. » Selon Jon Alterman, directeur de programme au Centre d’études internationales et stratégiques de Washington, les gouvernements occidentaux doivent être conscients que la Chine va jouer un rôle de plus en plus important au Moyen-Orient et qu’elle doit être invitée à participer au débat sur la sécurité régionale. « Plus la Chine approfondira son expérience sur le Moyen-Orient, plus elle dépendra de la région pour son énergie, explique-t-il, et plus elle cherchera à utiliser ses atouts militaires et diplomatiques pour défendre ses intérêts. »
Dans son rapport 2006 sur l’énergie dans le monde, le département américain de l’Énergie souligne que la dépendance grandissante de la Chine à l’égard du pétrole du Moyen-Orient a des implications géopolitiques à la fois sur leurs relations et sur la consommation mondiale de pétrole. Selon ses chiffres, le Moyen-Orient fournit actuellement 46 % du pétrole importé par la Chine. Et l’on estime que ses achats d’or noir vont quadrupler entre 2003 et 2030, dont une grande partie en provenance du Golfe.
« Dans une certaine mesure, indique Flynt Leverett, directeur de la Géopolitique de l’Initiative énergie à la New America Foundation, la stratégie de la Chine en Afrique subsaharienne a pour objectif de réduire sa dépendance à l’égard du Moyen-Orient. L’évaluation la plus optimiste de cette diversification montre cependant qu’elle continuera à acheter au moins la moitié de son pétrole au Moyen-Orient. Elle souhaite donc avoir des relations plus stratégiques avec les producteurs de pétrole du Golfe, afin de se tailler une place privilégiée et de devenir un client hyperprioritaire. »
La crise du nucléaire iranien a donné à la Chine un ticket d’entrée dans le secteur gaz et pétrole de ce pays, signe de la priorité qu’elle accorde à ses problèmes d’énergie. Avec la détérioration de ses relations avec l’Europe et l’aggravation de la querelle nucléaire, Téhéran s’est tourné diplomatiquement vers l’Est, et espère dégager de ses accords commerciaux avec la Chine un soutien politique au Conseil de sécurité des Nations unies.
La China National Offshore Oil Corp. (CNOOC), maison mère des deux agences de New York et de Hong Kong, serait, dit-on, en train de négocier un contrat pour l’exploitation des réserves de gaz naturel de la province de Pars, en Iran. Deux autres grandes entreprises publiques chinoises sont aussi en négociations avec Téhéran. Au total, ces contrats représentent des dizaines de milliards de dollars. Des dizaines d’entreprises chinoises travaillent parallèlement à des projets de travaux d’infrastructures dans ce pays en mal d’investissements qu’est l’Iran. Parmi ces projets, le métro de Téhéran. Pékin a également tenté de relancer les accords d’exploration pétrolière qui avaient été conclus en Irak avec le régime de Saddam Hussein. Mais en attendant que la situation se clarifie à Bagdad, où l’on n’a toujours pas voté la loi sur les hydrocarbures, la Chine a concentré ses efforts sur l’Iran et l’Arabie saoudite, ses deux principaux fournisseurs du Moyen-Orient, son premier fournisseur individuel étant aujourd’hui l’Angola.
L’Arabie saoudite, alliée des États-Unis, est pour les Chinois un partenaire plus difficile que l’Iran. L’amont de son secteur pétrolier reste fermé aux investisseurs internationaux et le royaume a moins besoin d’argent étranger. Mais depuis que les attentats du 11 septembre 2001 ont révélé la fragilité des relations américano-saoudiennes, Riyad a diversifié ses liens et voit dans la Chine un partenaire qui ne cherche pas à se mêler de ses affaires intérieures. L’accord sino-saoudien le plus important est le joint-venture (la coentreprise) signé en 2005 entre l’entreprise publique saoudienne Aramco, l’américain ExxonMobil et le chinois Sinopec pour la construction d’un complexe intégré de raffinage d’éthylène et de pétrole pour la province de Fujian. Sinopec est également associé à l’Aramco dans un projet de production de gaz et de condensés dans la province du Rub al-Khali.
« Les échanges commerciaux de la Chine avec la plupart des pays de la région ont augmenté de plus de 30 % ces dernières années, les liens économiques avec les pays du Golfe ont donc été très renforcés, et des liens politiques se sont resserrés », explique Tang Zhichao, chercheur à l’Institut chinois des relations internationales contemporaines de Pékin. « Le modèle de développement de la Chine est très apprécié au Moyen-Orient, et nos investissements ont contribué à réduire la dépendance de la région à l’égard des États-Unis. »
Ces six derniers mois, la Chine a entamé des négociations avec l’Égypte sur un investissement mixte de 2,5 milliards de dollars. Selon le ministère égyptien du Commerce et de l’Investissement, les deux parties se sont également mises d’accord pour faire bondir les échanges commerciaux de 2 milliards de dollars aujourd’hui à plus de 5 milliards.
Le boom économique du Golfe a encore conforté la stratégie moyen-orientale de la Chine. Les pays de la région ont lancé des projets d’infrastructures et des initiatives dans l’agriculture, l’éducation, la santé et la technologie de l’information, ouvrant ainsi des portes aux groupes chinois. « Pour les dix prochaines années, il y a en Arabie saoudite des projets d’infrastructures représentant 1 000 milliards de dollars, estime Victor Chou. Les dirigeants du Moyen-Orient ont compris que les entreprises d’infrastructures chinoises ont maintenant le pied à l’étrier. »
Les responsables de l’investissement des pays du Golfe ont, de leur côté, cherché des opportunités en Asie. L’argent arabe s’est intéressé à des offres publiques chinoises. L’Autorité de l’investissement du Koweït a acheté, en 2006, pour 720 millions de dollars d’actions de la Banque industrielle et commerciale de Chine. Le cabinet McKinsey & Co calcule que pas moins de 250 milliards de dollars seront disponibles dans les cinq prochaines années pour être investis en Asie : la Chine sera l’un des principaux bénéficiaires. Le resserrement des liens de l’empire du Milieu avec le Moyen-Orient aura pour corollaire le renforcement de l’influence politique de Pékin dans une région longtemps dominée par les États-Unis. De quoi donner à réfléchir à Washington.

© Financial Times et Jeune Afrique 2007.
Tous droits réservés.

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