Kabila au pied du mur

Cent jours après son investiture, le président congolais est plus que jamais confronté aux immenses défis d’un pays à reconstruire.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Le géant endormi dans les vapeurs de la fête, tout étourdi encore de ce miracle démocratique que fut l’élection présidentielle d’octobre 2006, a mis quatre mois à se réveiller. Les lampions sont éteints, une gestation douloureuse de six semaines a accouché d’un gouvernement menacé par l’obésité, et 55 millions de Congolais guettent les prémices de la « révolution morale » promise par un président de 35 ans et son Premier ministre de 82 ans. Sur le papier, au stade des intentions et au regard de ce que l’on sait de la psychologie du tandem, tout ou presque devrait changer – en mieux. Élu avec 58 % des voix à la tête d’un pays dont il est le premier à dire que son état général est « déplorable, pire qu’à l’indépendance en 1960 », et « à 95 % informel », Joseph Kabila explique à qui veut l’entendre que la paralysie totale de ces dernières années était due au régime de transition, acéphale et budgétivore, qui lui fut imposé. Désormais débarrassé du monstre, il annonce « un ménage général », assure que « les Congolais vont être étonnés » et menace, dans une interview à Politique internationale, les contrevenants du pire : « Je veux prévenir tous ceux qui entrent dans ce gouvernement avec l’idée de gagner beaucoup d’argent : ces gens-là risquent fort de finir en prison. » Tout devrait changer donc. Et pour bien le démontrer, le chef de l’État pour qui Kinshasa la frondeuse n’a pas la valeur symbolique que lui prêtent les Congolais de l’Ouest – il lui préfère Kisangani, « là où le lingala et le swahili se mélangent sans conflit », là où, dit-il, il se retirera plus tard à l’heure de la retraite – prévoit d’instaurer un mode de présidence itinérant : un mois dans chaque capitale provinciale, avec tout le gouvernement. Remarqués aussi ses appels du pied en direction du million de Congolais de la diaspora, répartis entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Afrique australe, cadres, médecins, enseignants, vrais ou faux réfugiés politiques, as de la débrouille et de la créativité : « Rentrez chez vous, répète-t-il, il y a de la place pour tout le monde, liberté d’expression et sécurité de chacun sont garanties. »

Aux côtés de Joseph Kabila, celui qui aurait pu être son grand-père et qu’il appelle lui-même avec une certaine vénération « le Patriarche », Antoine Gizenga, fait en quelque sorte figure de garantie morale. Ce monument historique tout droit sorti des années 1960, enthousiastes et patriotiques, quand sur l’air d’« indépendance cha cha » les danseurs de rumba proclamaient leur fierté d’être congolais, a une qualité majeure – l’intégrité – et un avantage sur tout le monde : à son âge, il n’a plus personne à ménager. Lui pour qui Kinshasa est encore un peu Léopoldville a sidéré ses compatriotes en faisant restituer au Trésor public les montants non dépensés pour la réfection de ses bureaux et en promettant que tous ses collaborateurs seront désormais tenus de déclarer leur patrimoine. Surtout, il a piloté avec doigté la formation d’un gouvernement d’une soixantaine de membres, savant dosage d’alliés politiques et de jeunes technocrates dans lequel il contrôle, via ses fidèles, une partie de la chaîne économique et financière – les mines et le budget notamment. Si l’on excepte le très sophistiqué Olivier Kamitatu (Plan), l’ancien protégé de Museveni Antipas Mbusa Nyamwisi (Affaires étrangères), le militant associatif Pierre Lumbi Okongo, fondateur de « Solidarité paysanne » (lequel s’est vu confier le portefeuille clé des Infrastructures et de la Reconstruction), ainsi bien sûr que le général Denis Kalume (Intérieur), militaire à poigne et juriste spécialisé en criminologie, à qui l’on doit l’organisation des obsèques de Kabila père, celle du mariage de Joseph et Marie-Olive et la bonne tenue générale de l’élection présidentielle, nombre de ministres sont des inconnus hors du Congo et parfois hors de leur région d’origine. Ce qui, au vu du degré d’usure des caciques et autres ripoux du gouvernement précédent dont certains ont embarqué avec eux, en guise de solde de tout compte, la caisse et les meubles de leur ministère, est sans doute beaucoup plus un avantage qu’un inconvénient. À ce groupe restreint de personnalités dont la notoriété dépasse les frontières, il convient d’ajouter un autre « fils de » : Nzanga Mobutu, ministre d’État à l’Agriculture et numéro deux dans l’ordre protocolaire. Le triangle qu’il forme avec Kabila et Gizenga résume à lui seul les trois étapes historiques du Congo indépendant, en même temps qu’il résorbe quelque peu la fameuse fracture Est-Ouest.
Même s’il convient effectivement de la relativiser, cette coupure en deux du pays apparue à l’occasion de la présidentielle est l’un des principaux défis avec la réforme d’une armée fragile, hétérogène et souvent criminogène auquel doit faire face le nouvel exécutif. C’est l’Est qui a fait élire Joseph Kabila, et les priorités de cette partie du Congo (avant tout la paix et la sécurité) n’ont que peu de choses à voir avec celles de l’Ouest (emploi et niveau de vie). Les récents troubles du Bas-Congo et le choix présidentiel de considérer Jean-Pierre Bemba comme un adversaire politique dont le rôle est de s’opposer démocratiquement à la majorité plutôt que comme un partenaire avec qui négocier démontrent que la césure demeure réelle. Le charismatique Bemba, révélation d’un scrutin auquel il a obtenu 42 % des voix, et dans une certaine mesure l’inusable Étienne Tshisekedi, amoindri par une stratégie suicidaire de boycottage, n’ont évidemment pas dit leur dernier mot. Même si l’on attend beaucoup, pour apaiser les tensions, de la sagesse du président Kabila et des initiatives consensuelles du très habile président de l’Assemblée nationale (et député de Bukavu) Vital Kamerhe, les capacités de nuisance voire insurrectionnelles des battus du 29 octobre 2006 restent intactes. Pour le fils du « Mzee », auteur jusqu’ici d’un parcours quasi sans fautes, il n’est qu’un seul moyen de tarir la source inépuisable des mécontentements : développer le Congo. La tâche est-elle à la mesure de celui qui n’est plus, depuis longtemps, le « jeune homme » à la casquette cubaine, parachuté au pouvoir une nuit de janvier 2001 dans les circonstances shakespeariennes que chacun connaît ? Plus que jamais, Joseph Kabila est au pied du mur.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires