Et s’ils s’entendaient ?

Le chef de l’État et le Premier ministre, qui se connaissent de longue date, ont jusqu’ici entretenu de bonnes relations. Mais nul ?ne peut dire s’ils sauront travailler ensemble.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

Vont-ils jouer en tandem ? Vont-ils rompre ? Peut-on beaucoup espérer de leur cohabitation ? Ces questions n’en finissent pas de hanter Conakry en proie aux rumeurs les plus contradictoires. À en croire leurs entourages, le chef de l’État, Lansana Conté, et son nouveau Premier ministre « de consensus », Lansana Kouyaté, entretiennent de « très bon rapports ». Rien pourtant dans leurs profils respectifs ne prédispose les deux hommes à s’entendre.
Porté au pouvoir par un coup d’État, le 3 avril 1984, Conté est un soldat « jusqu’à la moelle des os », doublé d’un paysan un tant soit peu têtu, incapable de souplesse, plus prompt à commander qu’à dialoguer, et totalement fermé à tout ce qui vient de l’étranger. Diplomate de carrière, revenu au pays après deux décennies passées à parcourir le monde et à découvrir d’autres cultures, Kouyaté est un homme ouvert, aux prises avec les réalités contemporaines, qui a consacré l’essentiel de sa vie professionnelle à essayer de démêler les conflits.
Deux parcours opposés qui n’en sont pas moins complémentaires. D’habitude grognon et cassant, Conté ne se montre que très rarement désagréable avec Kouyaté. D’humeur toujours égale, le chef du gouvernement, lui, anime les discussions d’une voix forte, raconte des blagues, et, au final, amuse le chef de l’État au lieu de l’irriter. De source proche de l’entourage présidentiel, Conté n’a cessé de vanter, ces derniers jours, le nouveau Premier ministre. « Kouyaté est agréable. Il sait parler à un chef », aurait-il même déclaré.
Au-delà des affaires de l’État, c’est leur amour partagé pour la terre qui alimente leurs conversations. Véritable passion et thème de prédilection du président Conté, l’agriculture a su rapprocher les deux hommes. Kouyaté possède dans sa ville natale de Koba, à 200 km de la capitale, une exploitation agropastorale où il aime passer ses week-ends. Ce qui n’est pas sans rappeler un certain Sidya Touré. Au début de l’année 1996, le chef de l’État était rapidement tombé sous le charme de ce « cadre guinéen » établi en Côte d’Ivoire. Celui qui allait devenir quelques mois plus tard son Premier ministre détient une impressionnante exploitation d’anacardiers, de palmiers et de cocotiers à Boffa. Après avoir eu tous les pouvoirs à son arrivée à la primature, en juillet 1996, Touré a toutefois fini par partir, en mars 1999, sans avoir réussi à mener toutes les réformes qu’il souhaitait.
Un destin partagé par François Lonsény Fall. Très apprécié du président, ce dernier n’aura occupé le poste de chef du gouvernement que trois mois durant (de février à avril 2004). Fall a démissionné après avoir été désavoué par le chef de l’État qui n’a pas accepté qu’il s’attaque, au nom de l’assainissement des finances publiques, aux privilèges d’hommes d’affaires proches du palais.
Kouyaté aura-t-il la main plus heureuse ? Si les rapports entre le chef de l’État et son Premier ministre sont aujourd’hui quasi idylliques, au point que ce dernier proclame avoir « tout le soutien du président », personne ne sait ce qu’il en sera demain. Toutefois, le chef du gouvernement bénéficie, contrairement à ses prédécesseurs, d’un contexte particulier : il doit cohabiter avec un président affaibli, obligé de nommer un « Premier ministre de consensus » qu’une impressionnante mobilisation populaire a fini par imposer. Incapable de contrôler une armée dont les hommes du rang lui échappent de plus en plus, lâché par sa propre majorité parlementaire, qui a voté contre son gré la levée de l’état de siège (décrété du 12 au 23 février), Conté ne peut plus se permettre de faire face à une autre grève « générale et illimitée » qui risquerait d’emporter ce qui reste de son régime. Toutes les personnalités étrangères, de la ministre française déléguée à la Coopération, Brigitte Girardin, au président sénégalais, Abdoulaye Wade, qui ont récemment rencontré le numéro un guinéen, se sont retrouvées devant un homme de 72 ans au regard perdu, marchant pieds nus (afin d’éviter les douleurs que lui occasionne le port de chaussures), frappé d’amnésies passagères, et qui répète étrangement la même formule de remerciement.
Face à un chef de l’État aux capacités réduites, Lansana Kouyaté ne devrait pas rencontrer de grandes difficultés au moment d’exécuter sa « feuille de route ». Dans un passé récent, Conté a toutefois fait montre d’une réelle capacité de nuisance. Cellou Dalein Diallo, son Premier ministre de décembre 2004 à avril 2006, l’a appris à ses dépens. Dans l’impossibilité de mener une quelconque réforme, il a fini par être limogé pour « faute lourde ».
Mais Kouyaté a aujourd’hui l’avantage de ne pas être tributaire de la seule volonté de Conté. Le Premier ministre bénéficie, en outre, du soutien des centrales syndicales, qui ont arraché sa nomination, ainsi que de l’ensemble de la communauté internationale : la France, les États-Unis et l’Union européenne en tête. Et s’il rencontre des blocages, il peut également compter sur l’intervention de quatre de ses « amis » entretenant de bons rapports avec le président Conté : Arafan Camara, le chef d’état-major adjoint de l’armée, le Nigérian Ibrahim Babangida, l’émissaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), Laurent Gbagbo, le chef de l’État ivoirien, et Abdou Diouf, l’ex-président sénégalais devenu secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Le tandem pourra également fonctionner grâce à l’appui d’Henriette Conté. De plus en plus influente depuis le déclenchement de la grève le 10 janvier dernier, la première dame entretient de très bons rapports avec les époux Kouyaté. Nul doute qu’elle continuera, comme elle a commencé à le faire, à peser sur son mari pour l’empêcher de freiner toute dynamique qui pourrait sortir le pays de la crise.
Mais la bonne volonté de la seule Henriette Conté risque de ne pas suffire. Non moins influente, la seconde épouse du chef de l’État, Hadja Kadiatou Seth Conté, est pour beaucoup dans les prises de position du président. Cette ex-miss Guinée, aujourd’hui établie à Londres avec ses enfants, n’a pas manqué, ces derniers jours, de s’activer pour s’assurer de la présence de certains de ses fidèles dans le gouvernement en cours de formation. Tout porte à croire qu’elle pourrait gêner certaines des réformes pour lesquelles le Premier ministre de consensus a été choisi.
Mais c’est compter sans la détermination de ce dernier, qui, de l’avis de la plupart des leaders politiques et de la société civile, est résolu à mener sa mission à bien. Kouyaté peut d’autant plus « contenir » Conté qu’il le connaît bien. Les deux hommes se sont croisés pour la première fois en 1987, lorsque Jean Traoré, alors ministre des Affaires étrangères, propose de nommer Kouyaté ambassadeur au Caire. Représentant de son pays auprès des Nations unies, au début des années 1990, puis sous-secrétaire général de l’ONU, le diplomate garde de bons rapports avec le chef de l’État. Mais c’est en tant que secrétaire exécutif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), poste qu’il occupe dès 1997, qu’il travaille le plus étroitement avec Conté alors engagé dans un bras de fer armé et diplomatique contre son homologue libérien, Charles Taylor. Après ces années passées à la Cedeao, Kouyaté continue de fréquenter le locataire du palais Sékhoutouréya. En avril 2006, il se rend, en tant que représentant du secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), à Conakry pour prodiguer des conseils au chef de l’État qui attend la visite d’Abdou Diouf. Des affinités qui laissent tout de même espérer que le tandem Conté-Kouyaté puisse s’inscrire dans la durée et réussir à sortir le pays de la crise.

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