En attendant les législatives

Les soupçons de fraudes lors du scrutin présidentiel s’invitent dans la campagne pour l’élection des députés. Au risque de phagocyter le débat.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

La proclamation officielle des résultats du scrutin présidentiel par le Conseil constitutionnel, le 11 mars, n’a pas calmé les ardeurs de l’opposition sénégalaise. En première ligne, le Parti socialiste (PS) est bien décidé à faire des élections législatives, prévues en juin, un second tour contre le président Abdoulaye Wade, réélu avec 55,9 % des voix. Après le rejet par les magistrats des recours en annulation pour irrégularités, toutes les attaques visent à présent « le mystérieux fichier électoral dont il faut percer les secrets » et « les manipulations informatiques » dont se serait rendu coupable le camp présidentiel.
Nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, filiation parentale, appartenance religieuse, activités militantes « Nous avons mis à la disposition du chef de l’État une multitude d’informations sur nos sympathisants », admet le conseiller à la présidence en charge des nouvelles technologies, Thierno Ousmane Sy, avant de réfuter « toute volonté de fichage des Sénégalais ». Il n’empêche, « cette base de données était actualisée et accompagnée de commentaires, confie volontiers Sy. Cela nous a permis de suivre la distribution des cartes d’électeur et de cibler les zones à mobiliser ».
Sûr de son fait, Abdoulaye Wade avait annoncé, avant la tenue du scrutin, qu’il obtiendrait 56 % des suffrages. Pari gagné. « Il s’est appuyé sur les données informatiques, mais c’est son nez politique qui a fait la différence. Le chef de l’État a une connaissance très fine du pays », tranche le conseiller qui assure avoir fait du « militantisme électronique » pour le seul compte du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir). Cet informaticien réputé au Sénégal promet, notamment, « ne s’être jamais occupé ni de près ni de loin du fichier électoral placé sous la responsabilité exclusive du ministère de l’Intérieur. Certains nous accusent de magie, c’est absurde. Il n’y a eu aucun tripatouillage », conclut-il.
Incrédule, l’état-major du candidat socialiste Ousmane Tanor Dieng aimerait être certain qu’il n’y a pas eu d’échanges d’informations entre le PDS et le ministère. « Nous les soupçonnons d’avoir modifié l’affectation des électeurs dans les bureaux de vote en fonction de la carte électorale dont ils connaissaient parfaitement les contours », avance Khalifa Sall, le directeur de campagne du candidat PS. Selon lui, même s’il est incapable d’en évaluer l’ampleur, ces manuvres ont permis d’organiser plus facilement « la fraude, les doubles votes et le bourrage d’urnes ». « Le PDS et la présidence n’ont jamais eu le code d’accès au fichier. Quant au décret présidentiel de 2001 qui devait placer mes services sous l’autorité de la direction informatique de l’État, il n’est jamais entré en application », répond Habib Fall de la Direction de l’automatisation des fichiers (DAF), au ministère de l’Intérieur.
Il n’est pas certain que cela suffise à rassurer une partie des militants de l’opposition, bien en peine d’expliquer la défaite du 25 février. Le PS demande un nouvel audit indépendant du fichier ainsi qu’une révision complète des listes électorales, et ce avant le dépôt des candidatures aux législatives fixé au 3 avril. Dans l’entourage de Dieng, on s’interroge aussi à demi-mot sur le rôle de certaines sociétés privées sénégalaises qui ont travaillé dans les locaux de la DAF (voir J.A. n° 2409). Prenant les devants, le ministre de l’Intérieur Ousmane Ngom a promis « une analyse fine » des paramètres qui suscitent la polémique, comme notamment la distribution des cartes d’électeur. Officiellement, le taux est de 95 %. Un chiffre que contestent toujours les socialistes.
« Nous sommes le seul pays au monde à avoir un système biométrique fiable à 100 % avec une numérisation de la signature et des empruntes digitales sur chaque carte d’électeur », se réjouissait, avant sa victoire, le président Wade, évoquant avec fierté l’informatisation du fichier électoral conçue pour fiabiliser les scrutins et rompre définitivement avec les habituelles contestations des vaincus. C’est peine perdue. La seule formule imparable aurait été d’équiper les 12 000 bureaux de vote d’un lecteur numérique relié à la « boîte noire » de la DAF, afin d’identifier, sans controverse possible, chaque électeur. Mais les 24 milliards de F CFA dépensés pour l’informatisation des fichiers auraient été largement dépassés. Une couverture Internet sur l’ensemble du territoire était, en outre, nécessaire. Ce sera peut-être pour la prochaine présidentielle. En attendant, la guerre de l’informatique au Sénégal ne fait que commencer.

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