[Tribune] Armer l’Afrique contre le coronavirus grâce à un moratoire sur la dette et un renforcement de l’aide

Il est dans l’intérêt de tous que l’Afrique batte le Covid-19, estiment Tidjane Thiam, ex-directeur général de Credit Suisse, et Jamie Drummond, co-fondateur de ONE.org, qui appellent à un moratoire sur la dette et un renforcement de l’aide.

Pulvérisation de désinfectant devant une école de Dakar, le 1er avril 2020. © Sylvain Cherkaoui/AP/SIPA

Pulvérisation de désinfectant devant une école de Dakar, le 1er avril 2020. © Sylvain Cherkaoui/AP/SIPA

Publié le 14 avril 2020 Lecture : 6 minutes.

Les leaders de la finance mondiale, qui vont pour la première fois se réunir « virtuellement » pour les assemblées de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, savent que des mesures exceptionnelles seront nécessaires pour combattre le coronavirus. Il est essentiel qu’ils réalisent aussi que ces mesures doivent être étendues à l’Afrique et qu’elles doivent être accompagnées de la mise en œuvre de partenariats radicalement novateurs , utilisant « big data » et digital pour délivrer des solutions sur le terrain de manière sûre, performante et peu coûteuse.

Nous deux, les auteurs de ce texte, travaillons ensemble depuis plus de vingt ans et cela à partir d’un partenariat relativement inédit entre un activiste anti-corruption et anti-pauvreté et un ancien dirigeant de banque, ancien ministre africain. Notre objectif est de contribuer à donner plus d’écho aux appels déjà lancés par l’Union africaine, la commission économique pour l’Afrique et les leaders de la société civile et du secteur privé en faveur d’un plan d’action à trois volets : suspension des paiements sur la dette pendant deux ans, doublement de l’aide, et utilisation du digital et de la technologie pour délivrer des solutions efficaces.

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Suspension des paiements sur la dette

Les États africains étaient censés verser 44 milliards de dollars au titre de leur dette en 2020. Nous croyons qu’aucun paiement ne devrait avoir lieu à ce titre cette année ni l’année prochaine. Le Club de Paris et les créanciers privés doivent accepter un moratoire complet sur la dette.

Un tel moratoire permettra aux gouvernements africains d’avoir accès sans délai à de l’argent frais à consacrer à la lutte contre le coronavirus

Compte tenu de son rôle en Afrique, la Chine est devenue un des principaux créanciers du continent. Les autorités chinoises se doivent de donner l’exemple en interrompant les paiements sur la dette privée ou publique due à la Chine. Un tel moratoire permettra aux gouvernements africains d’avoir accès sans délai à de l’argent frais à consacrer à la lutte contre le coronavirus, alors qu‘ils doivent simultanément faire face à une chute du prix des matières premières, à des recettes fiscales en chute libre, des monnaies sous pression et des dépenses en forte augmentation. Ces mesures permettront de fournir de l’argent frais aux ministères des Finances qui, pour la plupart, font du mieux qu’ils peuvent, mais sont confrontés à la baisse des prix des matières premières, à la diminution des recettes, à l’effondrement des devises et à l’augmentation des besoins intérieurs.

Il n’est pas concevable que la Chine ne s’associe pas à ces efforts. Il est impensable que les banques commerciales ne comprennent pas la nécessité de ces mesures exceptionnelles pour sauver des vies. Dans les économies développées, les banques ont demandé et obtenu des mesures exceptionnelles destinées à les aider pour faire face à cette crise. Le regard que l’histoire portera sur elles sera sans merci si elles n’acceptent pas que la même logique s’applique à l’Afrique.

Doublement de l’aide

Apres une augmentation significative dans les années 2000, les financements publics concessionnels et l’aide à l’Afrique sont restés autour de 45 milliards de dollars depuis 2010. Les institutions financières internationales ont proposé 50 milliards de dollars additionnels pour les pays émergents et les pays les moins développés. Si l’Afrique recevait l’essentiel de ce dernier montant, l’appui au continent s’élèverait a environ 100 milliards de dollars.

L’Afrique est extrêmement bien placée en terme de mobile et de fintech

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Les ministres africains des Finances ont récemment indiqué collectivement que l’Afrique a besoin de 100 milliards de dollars additionnels à court terme. Ce doublement de l’aide pour la porter à 200 milliards de dollars est nécessaire pour contenir un chômage qui croît exponentiellement, la pauvreté, la faim et l’insécurité à travers le continent.

Une partie des 200 milliards sera produite à court terme par le moratoire sur la dette. Il faudra des ressources additionnelles qui pourront résulter de Droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI). Cela pourrait se faire soit par l’émission de nouveaux DTS, la réallocation de DTS existants, ou une combinaison des deux. Si une quantité suffisante de DTS est générée, il sera possible d’assurer le service de la dette commerciale pendant le moratoire, tout en protégeant un des plus importants bien publics mondiaux avec des éléments adéquats : vaccins, médicaments, outils de test et de diagnostic, qui sont les seuls moyens de nous sortir de cette crise.

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Numérique

Il va sans dire que les leaders doivent garantir que ces précieuses ressources, une fois mobilisées, seront utilisées à bon escient. L’Afrique est extrêmement bien placée en terme de mobile et de fintech. Il sera donc possible de diffuser numériquement aux populations des informations exactes sur la crise, collecter des données en temps réel sur les symptômes, suivre les contacts avec les personnes testées positives comme récemment au Liberia, suivre les flux financiers et s’appuyer sur des réseaux de « factivistes » de la société civile sur le terrain.

Toutes ces informations pourront être analysées grâce à l’intelligence artificielle. À l’heure où nous écrivons ces lignes, des travaux dirigés par des sociétés africaines, avec parfois l’appui de Silicon Valley, avancent sur le terrain pour développer de telles solutions. Il sera ainsi possible de cibler digitalement les interventions et le cash vers les secteurs – par exemple le tourisme – ou encore les régions ou les individus les plus durement touchés par cette crise.

L’humanité a aujourd’hui un ennemi commun, un prédateur commun. Nous le vaincrons tous ensemble ou pas du tout

Ces outils ne doivent pas permettre aux régimes non démocratiques de porter atteinte aux libertés individuelles, ni aux opérateurs privés de générer des profits hors norme. Ces partenariats d’un type nouveau doivent étendre la connectivité plus rapidement, de manière plus équitable pour les hommes et les femmes, en veillant à ce que tout soit régi dans l’intérêt public. Ce type de collaboration permettra aussi d’identifier des opportunités de fabriquer en Afrique équipements médicaux ou produits pharmaceutiques à un moment ou règne une compétition féroce entre pays et régions du monde pour se procurer ces produits.

Reconstruire ensemble

Certains décideurs dans les pays de l’OCDE mettront peut-être en question le coût de cette aide à l’Afrique, pensant qu’il est trop élevé compte tenu des défis internes que ces pays riches doivent eux-mêmes relever. Nous devons nous convaincre les uns les autres que nous n’avons pas le choix.

Cet investissement pour l’Afrique sera remboursé en termes de sécurité sanitaire collective et d’activité économique durable, et ne représentera que 2 %, une infime fraction, du stimulus mondial jusqu’à présent.

L’humanité a aujourd’hui un ennemi commun, un prédateur commun. Nous le vaincrons tous ensemble ou pas du tout. Pendant que nous le combattons, nous apprendrons à former de nouvelles alliances, des partenariats innovants, de nature à provoquer les changements systémiques nécessaires pour continuer à avancer au-delà du Covid-19 : parvenir à l’égalité des sexes, combattre le changement climatique, atteindre les objectifs de développement durable et construire des vies plus saines, des sociétés plus saines et des environnements plus sains pour chaque citoyen partout dans le monde.

Mais aucun d’entre nous ne vivra ce futur attrayant si les décideurs financiers ne s’entendent pas cette semaine sur une solution qui combine dette, aide, transparence, et de nouveaux partenariats digitaux avec une Afrique responsable et en charge de son destin.

Tidjane Thiam,membre du Council on Foreign Relations (États-Unis), ancien directeur général de Crédit Suisse

Jamie Drummond, co-fondateur de ONE.org, stratégiste pour les Objectifs de développement durable et « Drop the Debt »

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