Aldo Ajello

Ancien représentant spécial de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Le représentant spécial de l’Union européenne dans la région des Grands Lacs, Aldo Ajello, a tiré sa révérence le 28 février, après onze années de bons et loyaux services. Le Burundi est revenu à la paix et les premières élections démocratiques en RD Congo ont fini par se tenir. C’est donc avec la satisfaction du devoir accompli que ce diplomate italien transmet les dossiers à son successeur, tout en commençant à rassembler ses souvenirs pour les besoins d’un livre. Mais celui qui dit « nous » pour parler des Congolais ou de leurs dirigeants reconnaît qu’il y a encore beaucoup de travail à accomplir.
Jeune Afrique : Voilà trois mois que Joseph Kabila a été élu et que les institutions sont en place. Quelle est la première leçon que vous tirez de ces cent jours ?
Aldo Ajello : Tout ce temps pour ne former qu’un gouvernement, c’est trop. Même si nous sommes conscients des difficultés auxquelles est confronté le Premier ministre, Antoine Gizenga, c’est regrettable. La bonne nouvelle, c’est que cette équipe est née sous le signe du renouvellement. Des noms sont apparus pour la première fois. Le revers de la médaille, c’est que ces nouveaux venus n’ont pas d’expérience. Je mets également au rang des regrets le fait que la majorité présidentielle ait donné l’impression de vouloir rafler toute la mise. Le bureau de l’Assemblée nationale, par exemple, est monocolore. L’opposition y est absente. J’espère qu’à l’avenir les dirigeants sauront dépasser cette tentation.
Sinon
Si l’opposition est exclue des institutions, elle réapparaîtra inexorablement dans la rue. Et, la rue, à Kinshasa, nous la connaissons. Nous savons les dégâts qu’elle peut produire. Cela dit, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, semble sensible à cette question. Les relations qu’il entretient avec le chef du groupe MLC [Mouvement pour la libération du Congo] sont assez bonnes et je crois qu’il veut rééquilibrer le rapport des forces, notamment dans la composition des commissions du Parlement.
Comment jugez-vous l’attelage entre le chef de l’État et le Premier ministre ?
Il n’y a rien à juger pour le moment, étant donné que personne ne s’est mis au travail. Une chose est sûre : les Congolais s’attendent maintenant à ce que ces élections aient un impact sur leur vie quotidienne. Ou, à tout le moins, que des signes de changement leur soient rapidement envoyés.
À l’est du pays, certains foyers de tensions ne se sont pas éteints et d’autres se réveillent. Les craintes de voir le pays se scinder en deux sont-elles justifiées ?
Elles sont moins justifiées que ce qu’on a d’abord cru. Les résultats du scrutin présidentiel ont donné l’impression d’une déchirure profonde entre l’ouest et l’est de la RD Congo. Déchirure qui n’a pas été confirmée au moment des élections provinciales, ni des législatives. En revanche, les tensions avec les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda, rebelles hutus] et la LRA [Armée de résistance du Seigneur, rebelles ougandais] ne se sont pas apaisées. Le président et la communauté internationale ont jugé que les élections étaient prioritaires. Dans la mesure où les rebelles ne gênaient pas directement le processus électoral, nous avons décidé de ne pas les embêter. Paul Kagamé et Yoweri Museveni ont accepté l’idée que ces problèmes soient pris en considération après les élections. Maintenant, il faut absolument les régler.
Comment ?
En constituant une armée. C’est fondamental. Les tensions politiques, la lenteur de la formation du gouvernement sont des dysfonctionnements physiologiques. L’armée, c’est un problème pathologique. Elle n’est ni nourrie, ni payée, ni entraînée, ni disciplinée. Elle vit sur le dos de la population civile et représente un facteur de déstabilisation important.
Où en est le brassage de l’armée ?
Le brassage, c’était une gentille opération dont le but était de réunir différentes factions afin d’éviter qu’elles ne se tirent dessus. Mais nous n’avons pas encore formé de brigades réellement intégrées. Tout reste à faire. La communauté internationale est prête à aider le pays pour réformer le secteur de la sécurité. Nous ne pourrons former une véritable armée que dans quelques années. Mais, entre-temps, il faut faire en sorte que ce que nous avons réussi à intégrer reste uni. En payant les salaires, par exemple. Et il faut remettre sans tarder la pression militaire sur les FDLR et la LRA.
Quelles sont aujourd’hui les relations entre Kabila et ses voisins ?
Pendant longtemps, les relations entre Kabila et Kagamé ont été troubles. Elles sont au beau fixe depuis la cérémonie d’investiture du président tanzanien, Jakaya Kikwete. À Dar es-Salaam, le 21 décembre 2005, les deux présidents se sont rencontrés longuement. Kabila s’est engagé à prendre en compte les intérêts vitaux du Rwanda. Depuis, tout va bien. Alors que la communauté internationale prévoyait une catastrophe à l’Est pendant les élections. Avec l’Ouganda, les choses ont été un peu plus difficiles, mais lors de ma dernière rencontre avec Kabila, le 25 février dans sa ferme, il m’a assuré que ses relations avec Museveni s’amélioraient.
À l’heure de votre départ, que conseillez-vous à vos amis congolais ?
De se mettre au travail rapidement ! Dresser au plus vite une liste des priorités. Enfin, ne pas se laisser bercer par l’illusion que la démocratie commence et se termine en même temps que les élections. Un dialogue permanent entre la majorité et l’opposition doit être maintenu. Il faut également que les dirigeants congolais résistent à la tentation d’avoir la haute main sur tout le pouvoir. L’espace que l’on donne à l’opposition est essentiel pour la bonne santé démocratique du pays.
Vous êtes optimiste ?
Je ne connais pas tous les membres du gouvernement, mais parmi eux je sais qu’il y a des gens de qualité comme Olivier Kamitatu. Je connais surtout le président Kabila. Voilà un jeune homme qui a hérité d’une situation absolument catastrophique. Avec habileté, il a su prendre complètement à revers la politique de son père tout en donnant l’impression qu’il restait dans la continuité. Il a lancé une offensive de charme dans les pays occidentaux, à l’inverse de son père qui s’était mis tout le monde à dos. Il a également eu la chance d’avoir en face de lui des opposants qui ont joué correctement leur rôle, comme Azarias Ruberwa ou Jean-Pierre Bemba, qui s’est certes battu jusqu’à la fin, mais a respecté les règles du jeu. C’est une raison supplémentaire pour respecter l’opposition. Au final, quelqu’un qui est parvenu à accomplir tout ça devrait réussir à faire avancer son pays.

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