A armes égales

Trente mille voix séparent les deux candidats arrivés en tête au premier tour de l’élection présidentielle.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

Le paisible Sidi Ould Cheikh Abdallahi (69 ans) contre le fougueux Ahmed Ould Daddah (66 ans), le candidat indépendant contre l’opposant historique : la seconde manche de la présidentielle mauritanienne, le 25 mars, mettra aux prises deux hommes aux tempéraments et aux parcours politiques bien différents, mais aux origines sociales identiques : ils sont l’un et l’autre issus de familles maures maraboutiques aisées. Quant à leurs chances de victoire, elles sont quasi équivalentes. Le premier a recueilli au premier tour 24,79 % des suffrages, le second 20,68 % (pour un taux de participation de 70,07 %). Au total, ils ne sont séparés que par 30 501 voix, sur un total de 741 066 votants.
C’est dire que, dans toutes les moughata (préfecture), ils vont se disputer férocement le moindre électeur. L’incertitude est totale : pour la première fois dans l’histoire du pays, la fraude ne permettra pas de piper les dés. Qu’ils représentent l’Union africaine, l’Union européenne, l’Organisation internationale de la Francophonie ou la société civile, les mille observateurs présents sur le terrain ont salué la transparence du scrutin du 11 mars.
À Nouakchott, la bataille a commencé, dans les heures qui ont suivi la proclamation des résultats provisoires, le 12 mars, par d’aimables coups de fil aux dix-sept candidats éliminés au premier tour. Elle s’est poursuivie par des visites de courtoisie des deux finalistes – ou de leurs émissaires – à ces mêmes adversaires malheureux. Les rencontres ont parfois eu lieu dans un hôtel du centre-ville, parfois « à la maison ». Dans un système où les préférences idéologiques résistent rarement à une promesse de maroquin ministériel, il est capital d’obtenir de fermes engagements concernant le report des voix. Mais si claires soient-elles, il n’est pas assuré que les consignes soient suivies d’effets. Ni même que les électeurs déçus par l’échec de leur candidat prendront la peine de voter. C’est en effet la première fois que les Mauritaniens sont appelés à participer au second tour d’un scrutin présidentiel Jusqu’au 25 mars, le jeu restera ouvert. Adversaires politiques le jour, amis à la nuit tombée, les notables nouakchottois passeront sans doute de longues soirées à tirer des plans sur la comète
Dans cette lutte pied à pied pour conquérir un électorat très nomade, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, réapparu en juillet 2006 sur la scène politique après presque vingt ans d’absence, dispose d’un atout : n’ayant jamais été un militant, il a beau jeu de se présenter en homme de rassemblement. Avec des mots choisis et sur un ton invariablement mesuré – qui, aux dires de certains de ses supporteurs, manque parfois de pugnacité -, l’ancien ministre des Pêches de Maaouiya Ould Taya (tombé en disgrâce, il choisira par la suite de s’exiler au Koweït, puis au Niger) prône l’unité nationale. Son slogan de campagne, le « Changement dans la sérénité », rassure. Oui, explique-t-il, il trouvera une solution au « passif humanitaire » (l’expression désigne la répression dont furent victimes les Négro-Mauritaniens, notamment dans l’armée, au tournant des années 1990), mais dans « la tolérance et le pardon ». Il n’y aura donc pas de chasse aux sorcières pour punir les coupables.
Avocat d’une réconciliation sur un mode « équitable, paisible et dépassionné », Ahmed Ould Daddah – que Cheikh Abdallahi a soutenu à la présidentielle de 2003 -, ne dit pas autre chose. Mais son costume d’opposant historique à Ould Taya (il a fait les frais de fraudes massives lors des scrutins de 1992 et de 2003) le gêne un peu aux entournures. À l’inverse des citadins, en majorité acquis à l’alternance qu’il incarne naturellement, nombre de caciques et de cadres de « l’ancien système », dont certains jouent le rôle de « grands électeurs », craignent une possible revanche. Le comportement passionné des militants du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), son parti, suscite par ailleurs l’appréhension d’un certain nombre d’électeurs. Les plus exaltés n’ont-ils pas dénoncé des fraudes électorales avant même le premier tour ?
Mais Ould Daddah dispose d’une machine électorale efficace, capable d’assurer un « maillage » serré du territoire. Au premier tour, ses partisans étaient présents jusque dans les régions les plus reculées. En face, le consensuel Cheikh Abdallahi tente de faire front avec une équipe d’une trentaine de techniciens qui peaufinent sa stratégie, soignent ses discours et tentent de rallier les « grands électeurs » de l’intérieur du pays (chefs de tribu, autorités spirituelles ou notables locaux) et constituent des groupes de négociateurs adaptés à chacun des faiseurs de roi. La loi électorale interdit de faire campagne entre les deux tours. Mais les deux finalistes ont néanmoins besoin de moyens financiers importants. De ce point de vue, ils paraissent à peu près à égalité. Soucieux de la pérennité de leurs affaires, patrons et banquiers veillent à pourvoir à leurs besoins et ne manquent pas une occasion de s’afficher en leur compagnie.
Avec le petit jeu des ralliements, les cartes vont être quelque peu redistribuées. Cheikh Abdallahi espère pouvoir compter sur les 15,27 % des suffrages qui se sont portés sur Zeine Ould Zeidane. L’ancien gouverneur de la Banque centrale (il a démissionné, en septembre 2006, pour se porter candidat) est le « troisième homme » de ce scrutin. À 41 ans, c’est une performance dans ce pays où les hommes d’expérience bénéficient traditionnellement d’un a priori favorable. Ce technocrate sûr de lui qui porte plus volontiers le costume cravate que le boubou est populaire dans l’est du pays et dans l’Adrar, l’ancien fief d’Ould Taya. Gourmand, il négocie avec les deux camps et n’exige rien de moins qu’un poste de Premier ministre irrévocable pendant deux ans ainsi que quatre ministères pour ses collaborateurs. Il impose également la réalisation d’une partie de son programme, à savoir la création de 120 000 emplois et la construction de 20 000 logements en cinq ans. Il a déjà le regard fixé sur la présidentielle de 2012, raison pour laquelle il a annoncé la création prochaine d’un parti. Reste à savoir si un éventuel appel d’Ould Zeidane à voter pour Cheikh Abdallahi serait massivement suivi. À côté de représentants de l’ancien système, son électorat compte beaucoup de jeunes urbains plus volontiers enclins à voter Ould Daddah.
De son côté, le chef du RFD tentera jusqu’au bout de recoller les morceaux de la Coalition des forces du changement démocratique (CFCD). Ce rassemblement de l’ex-opposition avait été constitué à la veille des législatives de novembre-décembre 2006, mais il a été fragilisé par les querelles de personnes à l’approche de l’échéance présidentielle. Au lendemain du premier tour, les ténors de la CFCD se sont empressés de faire monter les enchères en rappelant qu’ils n’étaient liés par aucun engagement. Avec Ould Daddah, dont ils sont naturellement plus proches, comme avec Cheikh Abdallahi, les négociations sont donc, dans un premier temps, « bilatérales », ce qui n’exclut pas, ensuite, la proposition d’un accord global aux deux candidats.
Avec 9,8 % des voix, Messaoud Ould Boulkheir (65 ans), ancien ministre d’Ould Taya et défenseur de la cause des Haratines (les descendants d’esclaves), dispose d’une marge de manuvre importante. Il en profite pour faire durer les pourparlers avec les deux camps. Comme lui, Ibrahima Moktar Sarr, un membre de l’ethnie pular qui n’a déclaré sa candidature qu’au tout dernier moment, profite de la lame de fond identitaire pour faire monter les enchères. Mais il reconnaît avoir « un compagnonnage politique de longue date » avec Ould Daddah. Ses électeurs l’entendront probablement ainsi (voir encadré ci-contre).
Ceux du candidat islamiste Saleh Ould Hanenna (7,65 % des voix) sont probablement dans le même cas (voir encadré p. 38). Et ceux de Mohamed Ould Maouloud (4,08 %), également, bien que le chef de l’Union des forces de progrès (UFP) entretienne des relations difficiles avec Ahmed Ould Daddah. Mais les faiseurs de roi se montrent exigeants. De l’avis de nombreux observateurs, Ould Maouloud, ancien professeur d’histoire, se verrait bien au ministère de l’Éducation nationale. S’il l’emporte, Ould Daddah pourrait être tenté de couper court aux ambitions personnelles en nommant un technocrate à la primature.
Bien entendu, la simple addition des scores du premier tour en fonction des ralliements des uns et des autres ne donnera pas le nom du futur président. Car il faut compter avec les membres du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD). La junte au pouvoir depuis août 2005 a promis de rester neutre. Mais les pressions exercées en coulisse par certains de ses membres sont un secret de polichinelle. La vérité est qu’elle semble divisée. Reste qu’en l’absence de tout sondage – l’affluence aux meetings est la seule évaluation possible de l’état de l’opinion -, la donnée la plus mystérieuse reste, fort heureusement, le comportement des électeurs. Et c’est très bien ainsi.

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