Quand on exécutait les dictateurs

Les ruptures politiques brutales n’ont pas manqué au cours des dernières décennies. Mais celles qui se sont traduites par la condamnation puis la mise à mort d’anciens dirigeants ont été relativement rares.

Publié le 19 février 2007 Lecture : 4 minutes.

La barbarie avec laquelle a été exécuté, le 30 décembre dernier, Saddam Hussein a bouleversé l’opinion internationale. Mais, par-delà l’horreur des images diffusées par les médias, la seule idée de la pendaison de l’ancien chef de l’État irakien, suivie par celle, le 15 janvier, de Barzan al-Tikriti, ex-chef des services de sécurité, ainsi que de l’ancien président du Tribunal révolutionnaire Awad al-Bandar, a choqué tous les adversaires de la peine capitale, en Europe en particulier, où elle a été abolie dans pratiquement tous les pays.
Ces épisodes sanglants renvoient à un passé que beaucoup pensaient révolu. Il faut remonter à la pendaison du président pakistanais Ali Bhutto, en avril 1979, et à la Révolution iranienne pour voir les responsables d’un pouvoir déchu exécutés après avoir été condamnés à mort. Le 15 février 1979, un mois après la fuite du shah, quatre hauts responsables de l’ancien régime étaient fusillés au terme d’un procès expéditif : les généraux Mehdi Rahimi, ex-gouverneur de la loi martiale ; Nematollah Nassiri, ex-chef de la Savak, la police politique de l’ancien régime ; Manuchehr Khosrowdad, ex-commandant de l’armée de l’air ; et Naji, ex-gouverneur militaire de Téhéran. En avril, c’était au tour d’Amir Abbas Hoveyda, Premier ministre de 1965 à 1977, et du général Nasser Moghadem, autre ancien chef de la Savak, de finir leur vie dans des conditions comparables.
Les ruptures politiques brutales n’ont pas manqué au cours des dernières décennies. Elles ont parfois été marquées par la suppression expéditive de chefs d’État déchus. Parmi les cas les plus célèbres, ceux du duce Benito Mussolini, fusillé par des résistants italiens en avril 1945, du président libérien Samuel Doe, torturé à mort par ses adversaires en septembre 1990, et de l’Afghan Mohamed Najibullah, sauvagement assassiné par les talibans en septembre 1996. D’autres chefs d’État ont été tués lors de coups d’État, comme Thomas Sankara au Burkina en octobre 1987. Mais les ruptures qui se sont traduites par la condamnation à mort puis l’exécution d’anciens dirigeants ont été relativement rares. L’effondrement du bloc communiste d’Europe de l’Est au début des années 1990 n’a pas eu d’issues sanglantes. Excepté en Roumanie, où l’ancien dictateur Nicolae Ceaucescu a été fusillé avec son épouse le 25 décembre 1989 après un simulacre de procès.
Rien à voir avec ce qui s’est passé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les Français avaient donné le ton dès 1945 en jugeant les deux figures principales de la collaboration avec l’Allemagne : le maréchal Pétain, chef de l’État qui s’était mis aux ordres de l’occupant, condamné à mort avant que sa peine soit commuée en prison à perpétuité, et Pierre Laval, vice-président du gouvernement de Vichy, envoyé, lui, au peloton d’exécution le 15 octobre 1945. À Nuremberg, en octobre 1946, ce sont pas moins de vingt-quatre criminels de guerre nazis qui étaient jugés par le tribunal international créé en 1945 par les puissances alliées victorieuses (États-Unis, Union soviétique, Royaume-Uni, France). Douze d’entre eux écoperont de la peine de mort, dont l’un, Martin Bormann, par contumace. Les onze autres – sauf Hermann Goering, qui s’était suicidé la veille – seront pendus le 16 octobre dans l’ancien gymnase du palais de justice de Nuremberg. Ceux qui seront condamnés à l’emprisonnement purgeront leur peine à la prison de Spandau, à Berlin.
Parallèlement, un tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient était mis sur pied pour juger les principaux criminels de guerre japonais. Vingt-huit personnes (19 militaires et 9 civils) furent poursuivies, dont deux moururent de causes naturelles et l’une fut internée pour troubles mentaux. Au final, le 12 novembre 1948, sept prévenus, dont deux anciens Premiers ministres, furent condamnés à mort avant d’être exécutés par pendaison le 23 décembre suivant.
Il fallut attendre presque trente ans pour que la sentence capitale frappe de nouveau des dirigeants déchus. En 1975, vingt-quatre membres de l’ancienne dictature grecque comparaissaient devant un tribunal spécial. Trois d’entre eux, dont le chef de la junte militaire, Georgios Papadopoulos, seront condamnés à mort le 24 août. Mais leur peine sera commuée en détention à perpétuité.
Au cours des trente années qui suivront – hormis le cas iranien évoqué ci-?dessus -, d’autres peines capitales seront prononcées, mais aucune ne sera appliquée. Ainsi, l’ancien dictateur malien Moussa Traoré, condamné à mort en 1993 pour la répression d’une série de manifestations de lycéens qui avaient fait plus de cent morts en 1991, puis de nouveau en 1999 pour « crimes économiques », a vu sa peine commuée en prison à perpétuité avant d’être gracié en 2002. Idem pour Jean-Bedel Bokassa, condamné à mort par contumace en 1987, peine commuée en vingt ans de détention, puis finalement libéré en 1993.
Les dirigeants criminels ont désormais de plus en plus de mal à échapper à la justice, qu’il s’agisse de celle de leur pays ou de celle de tribunaux internationaux. Des chefs de la junte militaire argentine (1976-1983) aux commanditaires du génocide rwandais de 1994, en passant par les responsables des massacres en ex-Yougoslavie, beaucoup de civils ou de militaires qui se rendus coupables de violations des droits de l’homme ont déjà dû rendre des comptes. D’autres devraient suivre. Si le général Augusto Pinochet est mort libre le 10 décembre 2006 à Santiago du Chili avant d’avoir été jugé, plusieurs dictateurs de la même veine, notamment le Libérien Charles Taylor et le Tchadien Hissein Habré, préparent leur défense ou s’apprêtent à le faire. Mais quelles que soient les horreurs qui sont reprochées aux uns et aux autres, la peine de mort ne fait plus partie de la panoplie des juges du XXIe siècle. Sauf pour quelques pays, dont l’un, les États-Unis, se veut à l’avant-garde de la civilisation.

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