Pourquoi le documentaire fait recette

Publié le 19 février 2007 Lecture : 3 minutes.

Un signe ne trompe pas : depuis trois ans, les festivals de cinéma consacrés au documentaire poussent comme des champignons sur le continent. À Cotonou, Maputo, Niamey ou Tunis, les spectateurs prennent l’habitude de venir voir des films d’auteur qui signent « une autre manière de dire ou de lire la réalité africaine ». Sanvi Panou, fondateur d’Images d’ailleurs, temple du cinéma africain à Paris, est catégorique : « Le public africain est saturé de fiction télévisuelle formatée. Il veut qu’on lui raconte des histoires vraies, mais traitées avec émotion et talent. » La création, cette année, au Fespaco d’un prix du documentaire constitue à cet égard la marque d’une évolution certaine du cinéma et d’un marché prometteur.
« C’est un genre qui fait son petit bonhomme de chemin, constate le cinéaste camerounais Jean-Marie Teno. C’est maintenant qu’il faut se donner les moyens de nos ambitions. » Même sentiment de la part de Nour Eddine Sail, directeur du Centre cinématographique marocain : « Il existe, c’est vrai, une génération de nouveaux réalisateurs et un public de plus en plus réceptif au documentaire. L’influence de Canal+ y est pour quelque chose » La technologie aussi.
Pour la révélation sénégalaise du Fespaco 2005, Moussa Touré, interrogé récemment par RFI, la caméra DV a totalement transformé le rapport au cinéma. Selon l’auteur du superbe documentaire sur la polygamie à Dakar intitulé 5/5 : « Si j’ai envie de te filmer aujourd’hui, c’est moi qui ai envie de te filmer et c’est moi qui te filme. Avec un équipement classique, il faut que j’aille voir mon chef opérateur et ses assistants, qui vont demander ce que je veux filmer exactement, il faudra leur donner des explications, discuter avec eux Avec la vidéo numérique (DV), tout ce temps qu’on perd d’ordinaire en palabres, on le gagne en réflexion et en spontanéité »
C’est également l’avis du cinéaste congolais Balufu Bakupa-Kanyinda, formé à la réalisation aux États-Unis, et auteur il y a deux ans d’Afro@digital, un road-movie documentaire traitant de la « révolution numérique » sur le continent. Mais aussi celui du réalisateur du récent et triomphal Bamako, une fiction fort documentée, Abderrahmane Sissako, qui ajoute : « Le propos documentaire agit, séduit, et véhicule un autre discours. Du contre on est tranquillement en train de passer au pour. Il y a des pépites là-dedans. »
À côté de la fiction cinématographique et télévisuelle émerge donc un nouveau genre. Pourquoi ? À l’énorme difficulté de produire et de diffuser laborieusement des longs-métrages de fiction sur le Continent s’ajoute une « découverte » : la nouvelle génération de réalisateurs africains a, selon ses aînés, « une manière bien africaine, très contemporaine de saisir la poésie du réel ». Également auteur de L’Amazone candidate, un documentaire qui traite de la campagne de Me Marie-Élise Gbedo à l’élection présidentielle de mars dernier au Bénin (sorti il y a quelques mois), Sanvi Panou montre de façon exemplaire comment les cinéastes s’emparent de l’actualité pour porter le fer là où ça fait mal. En l’occurrence la politique. Dans la même veine, quand le Sud-Africain Toboho Edkins réalise en 2004 Ask me I’m positive, présenté au Fespaco 2005, il réussit à bouleverser le public tellement sa manière délicate de capter les conversations douloureuses de ces trois personnages séropositifs est juste. C’est l’irresponsabilité des décideurs qui est en cause dans le propos, mais c’est le cinéma d’auteur qui s’en empare et le transforme en uvre d’art.
Est-ce à dire qu’il existe une « patte africaine » du genre ? Rien n’est moins sûr. La plupart des documentaristes comme les réalisateurs de fictions originaires d’Afrique sont désormais des nomades transcontinentaux. Ils butinent partout sur la terre, vivent à Paris, Toronto, New York ou Bruxelles mais aussi à Dakar, Bamako, Jo’burg ou Brazzaville. Ils sont anglais, américains, franco-béninois ou belgo-congolais, mais cinéastes avant tout. Sauf que le sol africain est devenu autant la proie des Goliath de la production hollywoodienne de fictions (Lord of War, Blood Diamond) que celle des David du docu international. Ces derniers s’inspirent comme les autres du pathos continental (Congo River, Le Cauchemar de Darwin, Sisters in Law) et ajoutent, par l’incontestable succès commercial de leurs uvres, un sentiment de malaise sur cet « imaginaire du réel africain ». Une chose en revanche est sûre : l’émergence tranquille et continue d’un cinéma documentaire de qualité, certes artisanal mais créatif, convaincant et engagé, continue de faire école partout en Afrique. Elle permet aux Africains de fournir eux-mêmes des images d’auteurs authentiques pour témoigner de leur vie et de leur Histoire. Reste à séparer le bon grain de l’ivraie. C’est au public, désormais, de trancher.

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