Main tendue

Malgré une économie florissante, le malaise social persiste. Et pousse le chef de l’État à inviter les forces vives du pays au dialogue.

Publié le 19 février 2007 Lecture : 5 minutes.

L’intervention éthiopienne en Somalie, pour prêter main-forte au gouvernement de transition de Mohamed Youssouf, encerclé à Baidoa par les miliciens des Tribunaux islamiques, fin décembre 2006, avait provoqué un sérieux coup de froid entre Addis-Abeba et Djibouti. Mais aujourd’hui, les deux capitales veulent tourner la page. Fort de sa situation géographique privilégiée, l’ancien territoire français des Afars et des Issas, situé au carrefour des routes maritimes entre l’Europe, le monde arabe, l’Afrique et l’Asie, constitue la desserte naturelle de l’Éthiopie, grand marché de 77 millions d’habitants, enclavé depuis l’accession à l’indépendance de l’Érythrée voisin. Et ni les Djiboutiens ni les Éthiopiens, dont les économies sont devenues interdépendantes, ne peuvent se permettre une brouille durable. Le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh et le Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi se sont d’ailleurs entretenus, en tête à tête, à Addis-Abeba, le 30 janvier dernier, en marge du 8e sommet de l’Union africaine. Une rencontre qui a levé les derniers malentendus. Et, côté djiboutien, on se félicite des dispositions plus conciliantes du gouvernement de Baidoa, qui a accepté le principe d’un « dialogue politique inclusif », c’est-à-dire avec toutes les parties prenantes à la crise somalienne, y compris les islamistes modérés.
Le contentieux diplomatique désormais vidé, les relations économiques peuvent repartir de plus belle. L’idée de créer un pipeline pour évacuer sur Djibouti le gaz naturel de l’Ogaden commence à faire son chemin. Un gaz qui pourrait être liquéfié à Doraleh, à proximité du grand port pétrolier en construction, et stocké sous forme liquide avant d’être exporté. Rien n’est encore officiel, mais, de bonne source, le projet est qualifié de sérieux. L’économie djiboutienne, après avoir longtemps vécu adossée aux rentes portuaire et stratégique (location de la base militaire à l’armée française), est actuellement en pleine mutation. À l’origine de cette diversification accélérée : l’afflux des investisseurs arabes, venus dans le sillage de ceux de Dubaï. Le partenariat avec le groupe DP World, qui gère l’ensemble des infrastructures portuaires ainsi que la zone franche, la construction d’un terminal pétrolier et d’un terminal vraquier, entrés en service l’an dernier, et d’un terminal à conteneurs, prévu pour 2008, ont déjà permis l’injection de plus de 600 millions de dollars dans l’économie de ce petit pays de 700 000 habitants. À terme, Djibouti, qui a d’ailleurs hérité, en novembre dernier, de la présidence tournante du Comesa, le Marché commun de l’Afrique australe et orientale (qui regroupe près de 400 millions de consommateurs), ambitionne de devenir la porte d’entrée des investisseurs dans la partie orientale de l’Afrique, et la porte de sortie pour les producteurs africains vers les marchés des autres continents.
D’autres chantiers sont en cours ou sur le point d’être lancés. Financée par des privés koweïtiens, une raffinerie d’une capacité de 250 000 barils/jour et d’un coût total de 4 milliards de dollars entrera en service à l’horizon 2012. Le chemin de fer reliant Djibouti aux villes éthiopiennes de Dire-Dawa et Addis-Abeba, achevé en 1917, et qui serpente sur près de 785 kilomètres, fonctionnel mais vieillissant, vient d’être privatisé. Le repreneur est un consortium belgo-sud-africain. Le secteur de l’hôtellerie, dopé par l’inauguration, en novembre 2006, du Kempinsky Palace, établissement ultramoderne et luxueux de 400 chambres ayant coûté la bagatelle de 130 millions de dollars, est également en plein essor. Les visiteurs étrangers sont passés de 20 000 à 40 000 en six ans, et à la clientèle française traditionnelle s’ajoutent désormais celle des Américains, presque aussi nombreux, et celle des Arabes du Golfe. La banque, longtemps dominée par les filiales d’établissements français, s’ouvre, elle aussi, à la concurrence, avec l’arrivée des Yéménites, des Suisses et des Malaisiens. Une aubaine pour les entrepreneurs de la place, qui déploraient, depuis des années, un coût du crédit prohibitif.
Cependant, les retombées en termes d’emploi et de redistribution de cette transformation économique tardent à se faire sentir. Même si, avec un revenu annuel moyen de 1 030 dollars par habitant, les Djiboutiens sont, et de loin, les mieux lotis de la région, la stagnation du pays à une peu reluisante 150e position (sur 177 classés) au classement du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) alimente un malaise social diffus, amplifié par les déséquilibres territoriaux et la fracture entre une capitale hypertrophiée et le reste de la République. Les sécheresses à répétition, et le stress hydrique croissant, fragilisant les populations nomades, n’arrangent rien. Toute une série de mesures ciblées ont toutefois été lancées en direction des campagnes : grand programme de forage et d’adduction d’eau, minibarrages, citernes enterrées, recréation de périmètres agricoles et fourragers, ainsi que l’ouverture, à Damerjog, d’un centre d’exportation du bétail, respectant les normes vétérinaires internationales. Centre qui a d’ores et déjà permis d’exporter 340 000 têtes en direction de l’Arabie saoudite et des Émirats, des marchés où la viande d’Afrique de l’Est était bannie en raison de l’épidémie de fièvre aphteuse.
L’année 2006 s’est terminée sur une note positive, avec une croissance légèrement supérieure à 5 %, alors qu’elle n’avait pas dépassé les 3,5 % en 2005. Afin d’en mieux répartir les fruits, et de freiner l’exode rural, le président Ismaïl Omar Guelleh a lancé, début janvier, l’« Initiative nationale pour le développement social ». Un ambitieux chantier « participatif », dont les contours définitifs seront précisés au fil des discussions, qui s’achèvera d’ici à la fin d’avril. « L’originalité de cette initiative réside dans la méthode choisie par le chef de l’État, explique un de ses conseillers. Il a invité toutes les forces vives de la nation au dialogue. Les syndicats ont saisi la balle au bond. L’opposition hésite encore, mais elle aurait tort de laisser passer l’occasion d’être ainsi associée à la décision publique. Car le plan répond à une attente forte de la population et s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de la décentralisation entamée en mars 2006. »
Le dialogue politique avec l’opposition, galaxie composite de plusieurs formations regroupées au sein de l’Union pour une alternance démocratique (UAD), qui était au point mort depuis le boycottage par celle-ci de l’élection présidentielle d’avril 2005, est en passe de se renouer. Répondant à une revendication ancienne de l’UAD, les autorités ont décidé une refonte du fichier électoral. La mise à jour, qui a débuté, et s’étalera tout au long de l’année, permettra d’aborder les élections législatives de janvier 2008 dans un climat de sérénité. Des élections auxquelles l’opposition a annoncé son intention de participer

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