Coronavirus : « On peut encore changer la physionomie de cette épidémie en Afrique », assure l’OMS
Alors que le cap des 20 000 malades et des 1 000 morts va bientôt être franchi, l’OMS, le Forum économique mondial et les grandes agences internationales estiment que beaucoup de pays peuvent encore limiter les dégâts du coronavirus. Mais soulignent que l’impact économique, lui, sera sévère et inévitable.
Après les polémiques sur les essais cliniques en Afrique et les menaces américaines, cette semaine a été celle de la rupture, avec l’annonce par Donald Trump que les États-Unis suspendaient leur contribution financière à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), que le président américain juge trop critique à son égard, trop complaisante avec la Chine, et dont il critique l’efficacité. Le moment semble évidemment mal choisi, mais Donald Trump a habitué le monde à son impulsivité et se vante même de son imprévisibilité.
Sur le front sanitaire, le nombre de cas et de décès augmente, tandis que certains pays affichent des taux de guérison étonnamment élevés.
- Une évolution inégale d’un pays à l’autre
En une semaine, le nombre de cas sur le continent est passé de 10 000 à 20 000 environ, et le nombre de morts a doublé lui aussi. Pour Matshisido Moeti, la directrice régionale de l’OMS en Afrique, il est donc clair que la pandémie continue à s’étendre, mais de manière très inégale d’un pays à l’autre. Sur ces derniers jours, elle s’inquiète particulièrement de l’évolution au Niger, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Cameroun.
Responsable des opérations d’urgence de l’OMS sur le continent, le Dr Michel Yao souligne de son côté que « 28 pays n’ont encore que des cas sporadiques » et estime qu’ « on peut encore contenir l’épidémie dans la plupart des pays si les communautés se mobilisent et si les moyens sont disponibles ». Comme beaucoup d’autres parties du monde, l’Afrique souffre du trop faible nombre de tests disponibles.
- Un tiers des emplois menacés sur le continent
« L’Afrique va enregistrer en 2020 sa première récession depuis vingt-cinq ans », prévient Elsie Kanza, la responsable Afrique du Forum économique mondial. De son côté, le Boston Consulting Group estime que la contraction du PIB pourrait être de 1 à 2 % si la pandémie fait un nombre limité de victimes, mais de 6 à 7 % si le scénario ressemble à celui de la Chine, de l’Europe ou des États-Unis.
Mme Kanza rappelle aussi que selon une étude de McKinsey, un tiers des Africains pourraient perdre leur emploi, essentiellement dans le secteur informel. Et que les chaînes d’approvisionnement, en particulier entre les agriculteurs et la distribution, sont déjà très affectées.
L’ONU reste le principal contributeur de l’OMS
- Le coronavirus se répand hors des capitales
La nouveauté de ces derniers jours, notent les spécialistes, c’est que la maladie n’est plus cantonnée dans les capitales mais se répand dans les régions. L’urgence est donc de faire en sorte que les moyens médicaux adaptés se déplacent, eux aussi, vers les centres de soins de province. Selon Michel Yao, le Sénégal et l’Afrique du Sud sont les pays qui ont le plus sérieusement anticipé cette évolution, mais le déplacement des moyens est compliqué, notamment, par la quasi disparition du trafic aérien.
- L’Afrique du Sud, un modèle à suivre ?
Si l’Afrique du Sud est l’un des pays où les cas sont les plus nombreux, elle connaît aussi un taux de mortalité très bas et, après plusieurs semaines de confinement, la courbe semble se stabiliser. Pour le Dr Michel Yao, il y a plusieurs leçons à en tirer : « L’Afrique du Sud a lancé une recherche active des cas contaminés, a délocalisé sa capacité de tests, ce sont des exemples à suivre ».
Le pays a aussi mis sur pied un conseil scientifique qui assiste les autorités et analyse le scénario de la contagion, modélisant ainsi la propagation de la maladie et annonçant un pic dans le pays pour septembre. Cette date fait débat, mais le fait de lancer des analyses de ce type, par contre, est impératif. Le scénario africain est différent de ce qui a été observé sur d’autres continents, les mesures à prendre seront donc aussi spécifiques. L’OMS travaille sur ces modélisations, de même que l’Africa CDC qui collabore avec l’institut d’études Ipsos.
- Le désengagement américain aura surtout des conséquences à moyen et long terme
En annonçant que les États-Unis suspendaient leur contribution à l’OMS, Donald Trump a choqué et surpris dans le monde entier. Pour le Dr Matshisido Moeti, la décision n’aura pas d’impact immédiat sur la lutte contre le Covid-19 en Afrique : « Le budget de l’OMS pour lutter contre la pandémie sur le continent est actuellement de 300 millions de dollars pour six mois, et l’ONU reste notre principal contributeur. De plus, les États-Unis avaient déjà versé une partie de leur contribution annuelle. Mais la suspension annoncée risque d’avoir un effet négatif sur la lutte contre les maladies comme la poliomyélite, le Sida ou le paludisme. »
- Déscolarisation, violences, malnutrition : les enfants particulièrement vulnérables
« Nous étions parvenus à réduire le nombre d’enfants non scolarisés à 41 millions, conformément aux objectifs de développement de l’ONU, remarque Marie-Pierre Poirier, directrice régionale de l’UNICEF. Depuis le début de la crise, ce chiffre est remonté à 128 millions… »
Un problème parmi d’autres pour les enfants du continent, souligne-t-elle. Car si les jeunes sont a priori moins sévèrement frappés par le virus, ils subissent d’autres conséquences, comme les violences domestiques. La pandémie aggrave aussi les situations de malnutrition, et empêche parfois « les vaccinations de routine » assurées par les organisations non gouvernementales.
- Vers une hausse des migrations clandestines et des trafics humains
Autre population vulnérable, les migrants souffrent eux aussi de la pandémie et de ses conséquences, souligne Mohammed Abdiker, qui dirige l’Organisation internationale pour les migrations (Uniom) en Afrique de l’Est : « La mobilité est l’une des premières victimes de la crise et nous voyons beaucoup de migrants placés en quarantaine à Djibouti, en Éthiopie, en Somalie, à la frontière entre le Burundi et la Tanzanie… Certains pays déplacent des populations de migrants vers leurs voisins ce qui n’est évidemment pas la chose à faire. »
L’organisation déplore aussi de nombreuses manifestations de xénophobie et constate que la fermeture des frontières a des conséquences problématiques : « Nous voyons beaucoup de trafics, au Nigeria par exemple. Et aussi des mouvements de population qui se font maintenant de façon clandestine. Les points de contrôle officiel sont contournés et aucune mesure ne peut donc être prise pour empêcher la propagation du virus, dans le cas où certaines personnes seraient infectées. »
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