Haizam Amirah-Fernández : « Cette crise est un moment de vérité pour les gouvernements arabes »

Le Maghreb semble aujourd’hui être la sous-région africaine la plus touchée par le Covid-19. Chercheur principal sur la Méditerranée et le monde arabe à l’Institut Royal Elcano de Madrid, Haizam Amirah-Fernández analyse ses forces et ses faiblesses face à la crise.

Le chercheur Haizam Amirah-Fernandez © DR

Le chercheur Haizam Amirah-Fernandez © DR

Publié le 20 avril 2020 Lecture : 6 minutes.

Alors que le premier cas de Covid-19 en Afrique est apparu en février 2020, en Égypte, pas moins de 52 pays africains sur 54 sont actuellement touchés par le coronavirus. Mais c’est bien au Maghreb que l’épidémie semble en être à son stade le plus avancé, selon le décompte fait par Jeune Afrique.

En Afrique du Nord, les mesures de confinement décidées en Europe sont difficiles à faire appliquer, en raison de la précarité de nombre de travailleurs de l’informel, et d’us et coutumes qui favorisent la proximité sociale. Le marasme économique menace d’y être plus grave qu’ailleurs, à en croire le FMI.

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L’analyste spécialiste des relations internationales Haizam Amirah-Fernández, professeur en Affaires publiques à la IE Business School et chercheur principal sur la Méditerranée et le monde arabe à l’Institut Royal Elcano de Madrid, évoque pour Jeune Afrique les faiblesses de la sous-région mais aussi ses atouts pour surmonter la crise. Interview.

Jeune Afrique : La réponse des pays du Maghreb est-elle efficace face à l’ampleur de la crise ?

Haizam Amirah- Fernandez : Lorsque l’OMS a averti les pays d’Afrique du Nord d’une aggravation de la situation, les gouvernants ont rapidement pris des mesures préventives, comme la fermeture des frontières, le verrouillage des aéroports, la rupture des liaisons aériennes, la fermeture des mosquées et des églises.

Pour l’instant, les chiffres officiels montrent que l’épidémie progresse, mais elle semble être contenue et ne pas suivre, pour l’instant, la trajectoire européenne.

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Mais comme pour tous les pays du monde, il y a deux volets à cette crise : ce qui relève du sanitaire, et ce qui est de l’ordre socio-économique. Les États sont confrontés à un grand dilemme : faut-il étendre les mesures de confinement pour stopper net la propagation du virus et provoquer des difficultés économiques et sociales pour une grande partie de la population ? Ou faut-il préserver l’activité économique et prendre le risque de l’effondrement des systèmes de santé, ce qui engendrerait, à n’en pas douter, la colère populaire ?

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L’Égypte est-elle dans ce cas de figure ?

Comme les pays du Maghreb, l’Égypte a fermé ses frontières, pris des mesures préventives, et se retrouve confrontée au même dilemme. Le défi est énorme. Cette pandémie est un moment de vérité, et un test pour le gouvernement : elle révèle l’efficacité des politiques publiques, des routines, de la méthode…

Il semblerait que les jeunes se remettent bien mieux de la maladie que les seniors. Cela peut jouer en faveur des sociétés arabes

La densité du Caire, ou d’autres recoins ruraux, est un facteur d’accélération de la propagation du virus. La culture du pays, qui favorise le contact humain et la proximité sociale, en est un autre. Enfin, beaucoup de personnes dépendent de revenus journaliers et n’ont pas de filet de sécurité sociale. Cela rend plus difficile la mise en place d’un confinement comme en Europe. Paralyser l’activité économique revient à imposer la faim à de nombreuses familles.

Les systèmes de santé des cinq pays d’Afrique du Nord sont jugés lacunaires. Cette crise peut-elle entraîner une grande réforme des systèmes de soins, de Rabat au Caire ?

Je crois que les changements iront bien au-delà. Certes, les infrastructures sanitaires maghrébines sont déficientes, même si nous avons vu ici ou là la construction rapide d’hôpitaux.

Mais si l’épidémie continue de se propager, et en l’absence de vaccin, ce n’est pas seulement les systèmes de santé qui risquent de s’effondrer, mais l’ensemble des services publics, et dans certains cas, les institutions même.

Il faut rappeler que lorsque les élites arabes tombent malades, elles sont généralement soignées hors de leurs pays respectifs. Cette crise va changer beaucoup de choses, en matière de gouvernance, de responsabilité et de transparence.

Votre dernier article pour l’Instituto Elcano souligne que la démographie peut jouer en faveur des pays d’Afrique du Nord, car les populations y sont particulièrement jeunes...

L’OMS a constaté qu’en Chine, en Italie et en Espagne – où je vis -, les personnes âgées sont plus vulnérables au virus. Il semblerait que les jeunes se remettent bien mieux de la maladie que les seniors. Cela peut jouer en faveur des sociétés arabes.

Je tempérerais cet optimisme par une autre donnée, celle de la prévalence de maladies chroniques, du Maroc à l’Égypte. La présence de diabète, de maladies cardiaques et coronariennes peut compliquer les effets du Covid-19.

Le dernier point à observer est l’évolution de l’épidémie au sein même des élites dirigeantes. Au Maghreb, vous avez des sociétés très jeunes avec une élite beaucoup plus âgée. C’est l’inverse en Europe, où des sociétés vieillissantes sont dirigées par des personnes relativement jeunes. C’est un facteur à surveiller.

Le Quai d’Orsay en France s’inquiète du fait que l’épidémie fragilise des régimes déjà faibles. Cette crainte est-elle fondée ?

Tout va dépendre de la durée de la pandémie, et des mesures pour atténuer les conséquences sociales et économiques. Mais le défi est le même pour tous les pays. En règle générale, les systèmes politiques tirent leur légitimité des résultats qu’ils obtiennent – aux élections ou dans la conduite des affaires publiques. Dans le cas de certains pays du Maghreb, la volonté des gouvernants est imposée par la coercition.

Le président algérien Tebboune fait partie d’un système qui n’a pas le capital politique pour faire face à une crise aussi importante

Ce type de fonctionnement autoritaire, qui repose sur l’ordre et l’obéissance, peut fonctionner dans des circonstances normales. Mais ce ne sont pas des circonstances normales. Et les solutions classiques pour résorber les chocs – aide étrangère, prêts, liquidités de pays riches avec des intérêts stratégiques – auront des effets limités tant l’ampleur de cette crise était inenvisagée. C’est la raison pour laquelle je parlais de moment de vérité et de test.

Quelles peuvent être les conséquences politiques de cette crise sur un pays comme l’Algérie, qui sort à peine de mois difficiles ?

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune fait partie d’un système qui n’a ni le capital politique ni la légitimité électorale pour faire face à une crise aussi importante, avec autant d’externalités négatives.

Avant même l’apparition du Covid-19, l’économie ne se portait pas bien. Est venue s’ajouter aujourd’hui une guerre des prix sur le marché pétrolier mondial. Les revenus algériens à l’export chutent drastiquement, la production est en baisse, et la consommation locale reste hors de contrôle. Les réserves de change ont fondu comme neige au soleil depuis 2014, et la diminution va se poursuivre, à un rythme plus rapide maintenant.

Et puis il y a la crise politique, qui a éclaté le 22 février 2019 et qui se poursuit… Tout cela aggrave une situation déjà mauvaise pour le système politique algérien.

Au-delà du cas algérien, diriez-vous que la crise fait déjà sentir ses effets sur l’économie, et sur le tourisme notamment, dont dépendent nombre de pays ?

Les pays du Maghreb et l’Égypte souffrent déjà d’annulations de séjours et de réservations d’hôtels. Mais pour que le tourisme reprenne, il ne suffit pas que les restrictions de vols soient levées, il faut aussi que les touristes reviennent d’Asie, d’Europe et d’Amérique. Et qu’ils se sentent en sécurité, d’un point de vue sanitaire et économique. On en revient encore au vaccin : à quelle échéance sera-t-il disponible ? Et quand le sera-t-il pour tous ?

Dans un monde interconnecté, la partie la plus faible d’un système souffre toujours plus que la partie la plus forte

D’un point de vue économique, le FMI prévoit que le monde connaisse sa plus grande récession depuis celle des années 1930. Les effets de cette crise se feront sentir pendant des années, l’impact va bien au-delà du court terme, et bien au-delà du tourisme. Au Maghreb, pensez à ces autres sources de revenus qui proviennent du commerce international, dont les échanges maritimes, qui ont diminué.

Cette crise va changer beaucoup de choses dans le monde entier, et pas seulement en Afrique du Nord. Mais même si les États-Unis et l’Europe ont été durement touchés, dans un monde interconnecté, la partie la plus faible d’un système souffre toujours plus que la partie la plus forte.

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