Ibrahim Boubacar Keïta

Le premier candidat déclaré à la présidentielle malienne, qui espère imposer une alternance au pouvoir, durcit le ton envers le chef de l’État sortant.

Publié le 19 février 2007 Lecture : 7 minutes.

Investi, le 28 janvier, par le Rassemblement pour le Mali (RPM), Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), président de l’Assemblée nationale, est présenté comme le rival le plus sérieux du chef de l’État sortant, Amadou Toumani Touré (ATT), si ce dernier devait briguer un second mandat, le 29 avril 2007. Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, de 1995 à 2000, brutalement limogé, pour s’être autoproclamé dauphin naturel de celui-ci, qui ne pouvait constitutionnellement se représenter, IBK n’a jamais fait mystère de ses ambitions présidentielles. Cet épisode lui vaudra la perte cumulée de la primature et de la présidence de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema), redoutable machine électorale. Trahi par les siens, IBK quitte Bamako pour y revenir quelques mois plus tard créer avec une poignée de fidèles le RPM, en décembre 2001, et se lancer dans la compétition électorale d’avril 2002. Arrivé en troisième position, il apporte son soutien ainsi que celui de l’alliance politique qu’il a lancée (Espoir 2002) au candidat indépendant ATT contre celui de l’Adema, Soumaïla Cissé. Lors des législatives de la même année, le RPM devient la deuxième force politique du pays avec 44 députés sur 147.
En septembre 2005, IBK vit une nouvelle trahison. Pour avoir rendu publique sa décision de se présenter à la présidentielle de 2007, sa coalition, Espoir 2002, le lâche à l’occasion du renouvellement du bureau de l’Assemblée. Isolé, le RPM perd toute représentation dans les commissions. IBK ne reste au perchoir que grâce à une disposition de la Constitution qui stipule que le président de l’Assemblée est élu pour toute la durée de la législature, quelle que soit l’évolution des rapports de force dans l’Hémicycle. Premier candidat déclaré, premier candidat investi, le champion du RPM, 62 ans, en campagne depuis de longues semaines déjà reste égal à sa réputation : entier et fonceur, serein dans la démarche et ferme sur le ton, qui se veut débarrassé de toute langue de bois. Entretien.

Jeune Afrique : Dans votre discours d’investiture pour la présidentielle, vous affirmez être un candidat de mission et de devoir. Qu’entendez-vous au juste par là ?
Ibrahim Boubacar Keïta : En 2002, le chef de l’État avait sollicité notre soutien pour le deuxième tour de la présidentielle. Nous le lui avions accordé et fait avec lui un bout de chemin, convaincus que ce partenariat pouvait être positif pour notre pays. Après évaluation de ce parcours, force est de constater que, si au plan du développement des infrastructures et du logement social, un effort a été accompli dans la poursuite des programmes engagés par le précédent président Alpha Oumar Konaré, nous avons constaté un net recul démocratique.
Comment ce recul démocratique se manifeste-t-il ?
On le voit dans le fonctionnement des grands médias publics, aujourd’hui au service et aux ordres du chef de l’État au détriment de l’ensemble de la classe politique. Nous n’avons pas lutté près d’un demi-siècle pour la démocratie et voir le Mali en arriver là. Nous avons payé le prix fort pour mettre un terme à la dictature. Nous ne resterons pas passifs face à « l’homme autoproclamé providentiel », celui sans lequel aucun avenir n’est possible. Voilà pourquoi nous assumons notre rôle de parti politique en nous lançant dans la compétition électorale. C’est pour nous et une mission et un devoir.
Pourriez-vous nous préciser en quoi le président ATT constitue une menace pour la démocratie ?
Par son régionalisme outrancier, par l’instrumentalisation éhontée des institutions de la République, de l’administration à la justice en passant par les forces de sécurité et, enfin, par la marginalisation des partis politiques, éléments essentiels de la pratique démocratique. À l’occasion d’une élection partielle à Mopti, nous avons eu tout le loisir de constater que ce système n’avait rien à envier aux pires dictatures.
En avez-vous été victime ?
Pas personnellement. Encore heureux. Mais de nombreux militants du RPM ont été arrêtés, tabassés et harcelés à Mopti, car nous avions osé présenter un candidat contre un poulain du chef de l’État dans sa ville natale. Ces dérives constituent une réelle menace pour la stabilité de notre pays.
Craignez-vous une manipulation lors du prochain scrutin ?
C’est ma plus grande crainte. On est en train de faire accroire que la victoire du chef de l’État sortant ne souffre d’aucun doute et qu’un seul tour de scrutin suffira. Cela est loin de la réalité. Aujourd’hui, il n’y a qu’à voir les démarches entreprises par le pouvoir pour constater que lui-même n’est pas convaincu que la partie est déjà jouée. Renoncer à assister à un sommet de l’Union africaine, avec des enjeux déterminants pour le Mali, au motif qu’il faut accompagner un ministre luxembourgeois à l’inauguration d’un château d’eau dans le pays profond, confirme que le pouvoir est en plein désarroi et que ce désarroi pourrait l’amener à commettre l’irréparable.
Quelle serait votre réaction en cas de fraudes grossières ?
Pour avoir été spolié d’une présence au second tour en 2002, le RPM peut se targuer d’une expérience en matière de fraudes. Cela dit, nous saurons toujours raison garder. Nous avons le souci de rester légaliste, lequel tient à notre respect du droit et des institutions. Nous aurons donc recours aux institutions de ce pays.
Vous êtes très sévère sur la gestion d’ATT et de son gouvernement, même si votre formation politique y est représentée
Nous n’avons jamais demandé à faire partie du gouvernement, on nous a suppliés d’y aller. Le RPM n’y dispose que d’un seul représentant. Que peut un seul ministre dans une équipe qui en compte vingt-cinq ? Notre présence au sein de l’exécutif est le produit de notre soutien à un candidat qui briguait, en 2002, la magistrature suprême, elle est donc tout à fait justifiée. Mais si notre décision de présenter un candidat à la présidentielle déplaît et qu’elle doit entraîner notre départ du gouvernement, que le chef de l’État sortant en prenne la responsabilité. Ce n’est pas à notre ministre de se démettre. Le président de la République peut procéder à un remaniement si cela lui convient, mais s’il le fait, cela ne manquera pas de soulever de multiples interrogations. Comment peut-il nommer un nouveau gouvernement à deux mois d’une élection sans que cela ne soit interprété comme une volonté de distribuer des prébendes aux partis politiques soutenant sa candidature pour un deuxième mandat ? Vous m’aviez demandé quelles étaient mes craintes pour la démocratie malienne, je vous réponds : sa tropicalisation.
Vous avez affiché votre hostilité aux accords d’Alger signés entre le gouvernement malien et les rebelles touaregs qui ont attaqué, le 23 mai 2006, deux unités de l’armée à Kidal et à Menaka. Envisagez-vous d’en faire un thème de campagne électorale ?
Notre rejet des accords d’Alger a été un moment pénible pour nous, car il a été interprété comme une volonté de casser du Touareg, et le RPM a été assimilé à un parti de va-t-en-guerre. Ce qui n’est évidemment pas le cas. En fait, nous voulions signifier à l’État qu’il devait assumer ses fonctions régaliennes. Nous n’avons pas compris qu’une simple mutinerie au sein des forces armées se transforme en crise d’État au point d’impliquer une puissance amie dans la recherche d’une solution. Le contenu de ces accords pose deux autres problèmes : ils ne garantissent aucunement la paix, d’une part ; d’autre part, ils exposent la communauté touarègue à une stigmatisation, voire à une marginalisation. Les problèmes du Nord sont bien réels, et le déficit de développement y est criant. En aucun cas les accords d’Alger ne constituent une réponse adéquate.
Quels thèmes de campagne développerez-vous dans les jours à venir ?
Ils sont si nombreux ! Mais je commencerai par essayer de retrouver l’État Mali que nous avions rêvé de mettre en place, le président Konaré et moi-même, quand nous étions aux affaires. Rétablir l’État ne signifie pas autoritarisme, mais droit et justice. Pour nous, au RPM, ce défi est fondateur. Les problèmes scolaires constituent également une grande préoccupation. Quand on voit le fonctionnement de l’école, on ne peut que s’inquiéter pour notre avenir, car cela touche un secteur essentiel du développement : les ressources humaines. J’ai une grande admiration pour ce qui a été entrepris en Tunisie, par exemple, en matière de formation de cadres, dans un monde marqué par une compétition de tous les instants. L’autre axe de notre campagne ciblera le développement agricole, le moyen le plus efficace pour lutter contre la pauvreté. Ce n’est pas en distribuant quelques tracteurs, par-ci par-là, que l’on obtiendra une meilleure organisation des cultivateurs et de leur production. La terre nourricière n’a que faire de la démagogie, nous lui devons plutôt des mesures concrètes pour la protection de l’écosystème.
En 2002, vous aviez lancé une coalition politique, « Espoir 2002 », qui avait permis à ATT de l’emporter au second tour. En 2007, vous récidivez en signant un protocole pour la création d’un Front pour la démocratie et la république (FDR). Cette stratégie sera-t-elle plus payante cette fois-ci ?
Elle est surtout incontournable, car nous faisons face à un président sortant convaincu qu’il sera réélu dès le premier tour. Le FDR se veut une plate-forme politique engageant des candidats appartenant à un parti ou indépendants pour réussir à imposer une alternance au pouvoir. Il s’agit de sauver la démocratie malienne, et nous comptons nous donner tous les moyens avec cette alliance politique.

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