Conté ou comment s’en débarrasser

Jusqu’à quand le chef de l’État imposera-t-il à son pays la force brute pour se maintenir au pouvoir ? Combien de crises, combien de morts faudra-t-il pour que l’Afrique et le reste du monde l’obligent à se retirer ?

Publié le 19 février 2007 Lecture : 4 minutes.

« Mon seul adversaire, c’est moi-même. » Prononcée il y a une dizaine d’années lors d’une interview à J.A., cette petite phrase du président guinéen Lansana Conté résume à elle seule l’obstination suicidaire de ce dernier représentant d’une espèce en voie d’extinction : celle des chefs absolus sortis des casernes pour « sauver » la patrie, persuadés que Dieu leur a confié une mission, convaincus de ne pas avoir à se justifier devant l’opinion et déterminés à mourir au pouvoir – quitte pour cela à faire tirer sur leur propre peuple. Mobutu, Bokassa, Eyadéma sont morts. Reste Conté.
On dira certes que ce fils de paysan né vers 1934 (« Je ne connais même pas la date exacte de ma naissance », confia-t-il un jour) n’était pas un dictateur au sens convenu du terme. Putschiste en 1984, il avait, depuis, revêtu la Guinée du boubou contraint des démocratures électorales, où la chicotte cohabite avec l’urne. Après tout, il existe dans ce pays une vraie opposition, une vraie presse critique, et l’on s’exprime plus librement dans les rues de Conakry que dans celles de Tunis, de Kigali, d’Addis ou de Tripoli. Ou plutôt, on s’exprimait.
Car depuis un mois, Conté le démocrate malgré lui est redevenu Conté le père Fouettard. Celui que la presse satirique surnomme « Fory coco » – le rustre – ne fait plus rire personne. Plus que jamais, Conté, c’est « pessé » : en soussou, celui qui parle – et qui agit – brut. Quels que soient les espaces de lucidité que lui laisse encore sa maladie et la réalité de son emprise sur le pouvoir, le président guinéen ne peut qu’être tenu pour responsable des morts de Conakry, de Kindia, de Labé et d’ailleurs. Le pays se noie, la population est exsangue. L’ultime service que ce militaire qui considère ses opposants comme des « malfaiteurs » puisse rendre à la Guinée est donc de quitter le pouvoir. Ici et maintenant.
Partira-t-il de son plein gré ? Apparemment non. « On peut me dire demain qu’on n’a plus besoin de moi et je partirai », expliquait-il à J.A. en septembre 1996. Depuis, la demande s’est faite de plus en plus pressante, mais Conté, tel un baobab mangé par les termites, tient bon. Face à la leucémie qui le ronge, face au feu – lors de la mutinerie de février 1996, il demeura jusqu’au bout dans son palais que les chars bombardaient à tir tendu, refusant l’hélicoptère et le bateau prêts à l’emmener vers l’exil -, ce général a toujours fait preuve d’un réel courage physique. Guinéen par toutes ses fibres, se souciant comme d’une guigne de son image extérieure, totalement imperméable aux pressions étrangères, cet homme qui n’a ni biens, ni réseaux, ni lobbies dans le monde des Blancs et que l’on croirait tout droit issu d’un roman de Kourouma a pour tout horizon intellectuel ses plantations. « J’ai commencé à cultiver la terre à l’âge de 7 ans, avant même d’aller à l’école, dit-il. Pour moi, cultiver c’est comme une maladie. Si je ne le fais pas, je suis mal à l’aise. D’ailleurs, quand j’ai des maux de tête, la seule vue d’un champ les efface aussitôt, car ce que je vois est beau. »
Pensée sommaire, dira-t-on. Mais ce serait méconnaître le côté rusé, madré, du paysan prompt à se délecter avec roublardise des espérances de ceux qui l’ont maintes fois décrit à l’article de la mort. Diabétique du genre atrabilaire, convaincu que « Dieu a voulu » qu’il soit président, Lansana Conté a deux béquilles qui le font marcher depuis toujours. Le terroir, on l’a vu. Et la caserne. Entré dans l’armée à 14 ans, via l’école d’enfants de troupe de Bingerville, en Côte d’Ivoire, il n’en est plus sorti depuis. « On m’a trouvé soldat, on me laissera soldat, explique-t-il. Pour moi, le pouvoir est une mission. Quand elle sera achevée, l’armée me mettra à la retraite et me fournira une pension. Je retournerai au camp. Je veux que ma retraite provienne de l’armée et non d’ailleurs. »
Cette dernière confession en dit long. À la fois sur sa volonté de ne pas céder à la rue, aux syndicalistes, aux civils, qu’il méprise. Et sur la seule voie de sortie qu’il semble envisager comme honorable : la force, le coup d’État militaire, bref la méthode expéditive avec laquelle lui-même s’est octroyé le pouvoir il y a vingt-trois ans. « Une chose est certaine, nous confiait-il, quand je serai fatigué, je m’en irai. » Avant d’ajouter : « Rien ne me fera quitter la Guinée. Je dis bien : rien ! » Le problème est que lui seul pense être en mesure de fixer l’heure de sa sortie et que plus la révolte gronde, plus la Guinée s’engouffre dans le marasme économique et l’émeute permanente, plus Conté se persuade qu’il est indispensable. Lui et le chaos. Il y a quelque chose d’effarant et de profondément archaïque dans la psychologie de cet homme qui ne conçoit le pouvoir qu’en termes médiévaux de butin à arracher, puis à conserver, arc-bouté sur ses attributs, jusqu’au moment où un rival vous passe sur le corps pour le ravir à son tour. « La démocratie à l’occidentale, je ne sais pas très bien ce que cela signifie », avouait-il il y a onze ans, dans son salon flambant neuf du « Petit Palais » de Boulbinet, à Conakry.
Jusqu’à quand Lansana Conté fera-t-il vivre à la Guinée les affres de sa pathologie dévorante ? Combien de crises, combien de morts sous le regard impuissant de ses pairs africains ce chef de village anachronique imposera-t-il encore à ses 10 millions de compatriotes ? À la question de savoir s’il pensait avoir « la baraka », cette chance invisible, Conté répondait : « Évidemment. Sinon, je ne serais pas là, à discuter avec vous. » Que Dieu protège les Guinéens

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