Baba Hama : « Ce ne sont pas les films qui manquent »

Publié le 19 février 2007 Lecture : 7 minutes.

Jeune Afrique : Vu l’état actuel du cinéma africain, n’a-t-il pas été difficile de faire une sélection de films de bon niveau pour la compétition ?
Baba Hama : Certaines régions d’Afrique, c’est vrai, en particulier la zone soudano-sahélienne, celle qui va du Sénégal jusqu’au Cameroun, n’ont pas été très productives ces derniers temps. Surtout par comparaison avec le Maghreb ou l’Afrique du Sud. Mais il ne faut pas croire qu’on a manqué de films pour opérer les diverses sélections. On a reçu au total, tous formats confondus, plus de 500 uvres de réalisateurs qui voulaient participer au Fespaco. Sans compter la vidéo, où l’on nous a proposé à peu près autant de films.

Plus que d’habitude ?
Mais oui, plus que d’habitude. Bien entendu, le plus grand nombre de ceux qui voulaient être sélectionnés ont envoyé des courts-métrages. Ce qui montre d’ailleurs la vitalité de la jeune génération. On a reçu cependant une centaine de longs-métrages « classiques » – quatre-vingt-dix-neuf exactement. Contre environ soixante-dix il y a deux ans.

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Ceux qui ont l’impression que la production n’est pas florissante en ce moment en Afrique, surtout au sud du Sahara, se tromperaient-ils donc totalement ?
C’est l’impression qu’on a sans doute en Europe. Et aussi parfois sur le continent. Car ces films n’ont pas souvent l’occasion d’être montrés. C’est justement l’intérêt du Fespaco, qui joue un peu le rôle d’un observatoire du cinéma africain, de faire apparaître la vitalité de cette production et, hélas aussi, la difficulté qu’elle a à circuler.

L’apparition de la technologie numérique, qui permet de monter des productions plus légères, moins coûteuses, explique-t-elle cette vitalité ?
Bon nombre des uvres reçues ont effectivement été tournées en numérique, même si on doit « kinescoper » ensuite celles qu’on retient puisqu’on ne sélectionne que des films qu’on peut projeter dans la plupart des salles, donc en 35 mm. Mais ce n’est sans doute pas encore la majorité pour les longs-métrages.

Des films qui coûtent relativement cher à produire et qui ne circulent guère Cela veut-il dire que les films africains ne sont jamais rentables ?
Il est clair que la grande majorité d’entre eux ne le sont pas. Dans la politique de production des films africains, la question de la rentabilité n’est généralement pas la première mise en avant. La plupart des partenaires qui interviennent dans le financement de ces films, notamment les États et les institutions ou les télévisions européennes, se préoccupent surtout de leur valeur esthétique et artistique, de leur contribution à la constitution du patrimoine culturel mondial. Les considérations commerciales ne viennent qu’après. Et c’est cela, cette politique volontariste, qui permet au cinéma d’auteur africain d’exister. Parfois, comme au Maroc, c’est surtout une politique volontariste nationale qui a porté ses fruits. C’est un cas exemplaire, dont on voudrait que d’autres pays s’inspirent, et c’est pour cela qu’on a organisé cette année, au-delà de la compétition, un « focus » sur le Maroc, pour lui rendre hommage.

À regarder la sélection, on a la surprise de voir qu’elle met en valeur, avec trois films, une cinématographie vraiment peu prolifique jusqu’ici, celle d’un État d’ailleurs en grande difficulté, la Guinée. Comment expliquer une telle renaissance ?
On a voulu mettre l’accent, c’est important pour nous, sur les nouveautés. D’où ces films guinéens qui nous paraissaient intéressants. Mais il faut être lucide. Leurs auteurs ne vivent pas en Guinée, mais en France. C’est un des paradoxes du cinéma africain : les réalisateurs, en majorité, ne sont pas soutenus par leur État et ne résident pas dans leur pays. Ils deviennent ainsi les porte-étendards de pays qui, bien souvent, ignorent même qu’ils sont en train de tourner des films.

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Pourquoi l’Afrique du Sud, qui était le pays phare du dernier Fespaco, n’est-elle cette fois que peu présente, avec seulement deux films, dont celui, déjà connu, Mon nom est Tsotsi, qui a obtenu l’oscar du film étranger en 2006 ?
Justement parce qu’on voulait laisser de la place pour d’autres cinématographies, comme celles de la Guinée, mais aussi du Tchad, du Gabon, du Bénin, du Nigeria ou de la RD Congo, moins souvent montrées et qui réapparaissent après un long temps d’absence. En marge du festival officiel, l’Afrique du Sud sera cependant très présente, car la National Film and Video Foundation, l’organisme qui promeut le cinéma du pays, organisera de nombreuses projections.

Un seul film pour la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, aucun pour l’Égypte Pourquoi l’Afrique au nord du Sahara est-elle si peu présente cette année ?
Pour la même raison que celle que je vous ai donnée pour l’Afrique du Sud. Certaines années, afin de pouvoir montrer des cinématographies émergentes, on en sacrifie un peu d’autres, très présentes lors des manifestations précédentes. Cette fois, encore plus sans doute qu’auparavant, on a privilégié le sud du Sahara au détriment de pays du nord, plus productifs pourtant. Mais il y aura des années où ce ne sera pas le cas.

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La mise en valeur du documentaire, avec la création d’une compétition spécialisée, est-elle vraiment la marque d’une renaissance de ce genre cinématographique en Afrique ?
Le phénomène est réel. Sans aucun doute. On a reçu énormément de films dans cette catégorie. Et cela s’explique. C’est l’un des genres certainement le plus facilement commercialisable et diffusable, notamment grâce aux chaînes de télévision. Et c’est un genre qui attire beaucoup de jeunes car c’est celui qui peut le plus immédiatement rendre compte des réalités sociales, économiques, politiques, culturelles du continent. Et qui se prête le mieux à l’utilisation du numérique. Malheureusement, beaucoup de réalisateurs confondent reportage et documentaire. Et si on a reçu plus de vingt films inscrits sous ce label, une dizaine d’entre eux seulement méritaient d’être considérés comme de vrais documentaires avec de vrais auteurs. On a d’ailleurs accepté dans la sélection des vidéos. Quoi qu’il en soit, le genre est en pleine effervescence. Et en dehors des sélections, il y aura encore cette année la manifestation « Côté Doc » qui présentera aussi de nombreux films pendant le Fespaco.
Donc le cinéma africain, selon vous, se porte bien
Du point de vue du rythme de production, en effet, cela ne va pas trop mal. Il n’y a en tout cas pas de recul, au contraire. Il y a cependant des problèmes, tout à fait réels. Il est vrai qu’on peut regretter que le cinéma africain soit si peu vu, notamment en Europe. Sans doute faudrait-il habituer le public européen à voir les films africains, notamment avec l’aide des chaînes de télévision. Petit à petit, il y prendra goût, j’en suis sûr. Surtout, il y a le problème de la fermeture des salles au sud du Sahara. Il faut tirer la sonnette d’alarme à ce sujet. Pour mobiliser les États et l’Union africaine. Il est temps que l’on aide plus ce secteur, avec des politiques de soutien de la distribution et de l’exploitation en particulier – défiscalisation, formation des professionnels, etc. En dehors du Burkina, il y a déjà des initiatives intéressantes au Gabon, bientôt peut-être au Mali. Mais il faut faire plus, beaucoup plus.

Le problème est-il surtout budgétaire ou au niveau de la prise de conscience par les autorités de l’importance pour l’Afrique de produire ses propres images, de se raconter elle-même ?
C’est avant tout une question de budget. Je ne crois pas qu’il y ait un seul État qui ne comprenne pas l’importance du problème, l’importance de la diversité culturelle, dont on a fait d’ailleurs cette année le thème central de la manifestation. Le cinéma – qui ne le sait ? – coûte cher. Et l’on peut avoir tendance à penser que le soutenir, c’est un luxe. Mais il ne faut pas baisser les bras. Et il faut trouver le moyen d’intéresser aussi, en dehors des États, le secteur privé au cinéma. Notamment pour la distribution et l’exploitation. Car il n’est pas dit que cela ne peut pas devenir rentable, en Afrique aussi.

Comment se présente l’avenir du Fespaco ? Son financement pose-t-il parfois des problèmes ?
Non, nous avons la chance d’avoir des partenaires fidèles, la moitié venant de l’État burkinabè, l’autre de l’étranger. Et comme nous n’avons pas de politique inflationniste, comme nous ne pensons pas qu’il faut nécessairement augmenter de beaucoup le budget pour faire mieux, tout se passe bien. De toute façon, étant donné les infrastructures dont nous disposons, notamment au niveau du parc des salles à Ouagadougou, nous ne pouvons pas voir beaucoup plus grand. Mais je ne me fais aucun souci pour l’avenir du Fespaco.

Vous qui avez déjà vu tous les films qui seront en compétition, pensez-vous que le Fespaco 2007 sera un grand cru ?
Je crois que la sélection est très variée. D’un point de vue technique, ils sont tous de bon niveau. Je ne sais si cela sera un très grand cru d’un point de vue artistique, mais il y aura des surprises, des bonnes surprises. Laissons le jury apprécier cette sélection et nous faire part de son avis à la fin du festival.

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