[Tribune] Une urgence de santé économique : sauver les PME et les start-up africaines

Les réponses économiques et sanitaires au Covid-19 en Afrique risquent de sacrifier les jeunes pousses et les petites et moyennes entreprises, indispensables pour l’emploi et la relance après la crise. Il est possible d’éviter ce piège.

Dans l’atelier de Touty Sy, à Dakar, qui propose d’offrir des masques en tissus aux personnes vulnérables, le 20 avril 2020. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Dans l’atelier de Touty Sy, à Dakar, qui propose d’offrir des masques en tissus aux personnes vulnérables, le 20 avril 2020. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Jean-Michel Severino Jean-Michel Severino (France), ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD), aujoiurd’hui dirigeant d’Investisseurs et Partenaires (I&P), une équipe d’investissement de mission (impact investors) consacrée à la promotion des entrepreneurs africains et des petites et moyennes entreprises (PME) africaines. A RFI, le 30.09.2016. © Vincent Fournier/JA

Publié le 21 avril 2020 Lecture : 4 minutes.

Le continent africain offre la particularité remarquable de voir la crise économique devancer le gros de la crise sanitaire. La première risque de faire davantage de victimes que la seconde, tant la mortalité est dépendante, en Afrique, de la croissance et des niveaux de pauvreté. Elle commence aussi à dévaster les PME et les start-up africaines.

Et ce, en raison d’une implacable mécanique de transmission de la crise économique à des petites entreprises fragiles. Les mécanismes sont simples. Les PME dont l’approvisionnement dépendait de la Chine ont été perturbées par l’immobilisation de ce pays. Celles qui exportaient vers l’Asie et l’Europe ont vu leur marché disparaître du jour au lendemain. Celles qui étaient en cours de levée de fonds, particulièrement dans le secteur de la technologie, ont vu se fermer brusquement toutes leurs perspectives.

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Ce n’est que le début. Les problèmes opérationnels liés aux mesures de distanciation sociale vont venir ajouter un choc de demande domestique, d’autant plus que la quasi-absence de filets de sécurité sociaux dans la plupart des pays du continent pourrait pousser des millions de gens dans l’extrême pauvreté. Le FMI vient d’évoquer une baisse de 1,6 % du PIB de l’Afrique subsaharienne en 2020 : cela implique un ravage dans les petites entreprises.

La bataille de l’emploi se joue sur le front des PME

Une réponse macroéconomique est insuffisante par nature quelle que soit son ampleur. La mobilisation nationale et internationale se fait actuellement surtout autour du financement des déséquilibres budgétaires publics et de la balance des paiements, comme de la crise sanitaire.  On commence à entrevoir des pistes significatives d’allègement de la dette, ce qu’il faut saluer. Cela est indispensable, mais insuffisant.

Il est urgent que les gouvernements africains, les banques de développement et les bailleurs de fonds internationaux  se penchent sur le sort du secteur privé formel de tailles petite et moyenne, en chute libre. De cette attention dépend la préservation de la dynamique créatrice qui était l’une des caractéristiques du continent africain durant la précédente décennie, et qui a tant joué pour réduire la pression sur le chômage : la bataille de l’emploi se joue en grande partie sur le front des PME. Pour ce faire, trois grandes directions pourraient être prises.

Trois types de mesures microéconomiques clés

D’abord, il est important de ne pas générer d’arriérés intérieurs. Ils sont la plaie des économies africaines. Ils se répandent comme un poison monétaire susceptible de tuer le secteur privé dans les mois qui vont venir. Ce dernier ne doit pas être le financeur en dernier recours des États. Les plans de soutien et de relance dont l’Afrique a besoin doivent accorder une priorité à ce sujet trop souvent passé sous silence.

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Ensuite, il est nécessaire de cibler les PME via le secteur bancaire, par l’adoption par les banques centrales de politiques monétaires et prudentielles appropriées, par une capitalisation adéquate des établissements bancaires, et par la mise en place de lignes de garantie et de prêts. Ce soutien ne doit pas oublier les institutions de microfinance, durement frappées. Or, elles sont un vecteur important de confort des très petits entrepreneurs, à la marge entre le formel et l’informel. Les aider peut faire beaucoup pour absorber la crise en devenir.

Enfin, il s’agit de renforcer en direct, et pas seulement par des mesures macroéconomiques, toujours insuffisamment ciblées, le secteur productif national. Les institutions publiques de financement du secteur privé, comme les bailleurs, pourraient ainsi soutenir des programmes microéconomiques, permettant, avec des subventions par exemple, de financer du renforcement de capacité comme des prêts concessionnels ou de l’apport en capital, à des petites entreprises ou des start-up bien choisies pour leur qualité, afin de permettre leur retournement et leur expansion.

Ce travail fin de politique industrielle, ciblant les secteurs d’avenir pour les pays, doit éviter les pièges des gestions bureaucratiques du passé

Ce travail fin de politique industrielle, ciblant les secteurs d’avenir pour les pays, doit éviter les pièges des gestions bureaucratiques du passé. Il peut être mis en œuvre par les fonds d’investissement existants, des associations professionnelles, des clubs d’entrepreneurs, des agences territoriales…

Voir au-delà de la crise sanitaire
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Il est essentiel que la mobilisation internationale émergente au profit de la crise sanitaire regarde loin et ne fasse pas que recycler des ressources existantes. Alors que les fragilités africaines sont immenses, il n’est pas souhaitable de sacrifier des programmes, par exemple dans l’éducation, l’accès à l’eau, ou encore l’énergie, en réaffectant leur financement à la gestion d’urgence de la crise actuelle.

Ce n’est pas une crainte fantasmée : la lutte contre Ebola, par exemple, avait conduit à sacrifier des programmes médicaux liés à la santé sexuelle et reproductive. Ces sacrifices avaient accru la mortalité maternelle. Ne reproduisons pas ces mêmes erreurs.

Sachons dès à présent créer les conditions de la reprise dans le secteur privé

Sachons en particulier, dès à présent, créer les conditions de la reprise dans le secteur privé, en préservant les entreprises existantes. Ne pas le faire retardera le redémarrage quand la crise sanitaire s’estompera, ce qui se répercutera massivement sur l’emploi mais aussi sur tout l’écosystème entrepreneurial africain, avec, in fine, un coût accru pour les contribuables nationaux comme internationaux. Et cela aura surtout, en bout de chaîne, de dramatiques conséquences sur la mortalité et la morbidité à travers tout le continent.

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