Afrique du Sud : à la recherche d’une nouvelle identité

Publié le 19 février 2007 Lecture : 5 minutes.

On l’a dit et redit : avec ses nombreuses récompenses obtenues en 2005 et 2006 dans les plus prestigieux festivals internationaux et son oscar du meilleur film étranger encore tout chaud (Mon Nom est Tsotsi, de Gavin Hood), le cinéma sud-africain d’aujourd’hui se porte bien. Mais pour que les lendemains de fête ne soient pas trop difficiles, la cinématographie émergente de la nation Arc-en-Ciel ne doit évidemment pas se reposer sur cette petite gloire fraîchement acquise. Les problèmes demeurent immenses, notamment dans le domaine de la distribution, et la diversité des films produits est encore loin de constituer un ensemble cohérent.
C’est probablement sur ce dernier point, la question identitaire, que se jouera d’ailleurs l’avenir du cinéma sud-africain dans les prochaines années. Le chantier est ouvert : rassembler les énergies, favoriser les jeunes auteurs venus des milieux défavorisés, organiser une politique d’aide structurée, tels sont les enjeux du NFVF (National Film and Video Foundation), organisation publique créée à la fin des années 1990 pour promouvoir le septième art dans la patrie de Nelson Mandela.
Pour Eddie Mbalo, directeur de la NFVF, l’embellie récente du cinéma sud-africain « n’est pas un miracle : c’est le résultat d’un long processus entrepris depuis plusieurs années ». C’est effectivement grâce à l’impulsion de cet organisme d’État, et plus largement à la volonté générale de donner une identité à ce cinéma où domine encore trop systématiquement l’influence d’Hollywood et de la télévision, que l’on trouve aujourd’hui à Johannesburg une nouvelle génération de cinéastes ou de producteurs bien décidés à rompre avec la logique « commerciale » qui commande l’industrie. Loin du Cap, où se concentrent les principales infrastructures de l’industrie de la publicité et les grands studios destinés à accueillir les superproductions du monde entier (le cinéma sud-africain n’était il y a encore peu qu’un prestigieux prestataire de services), Johannesburg est aujourd’hui l’épicentre du renouveau. Ramadan Suleman, réalisateur du récent Zulu Love Letter (présenté au Fespaco 2005), où une journaliste noire retrouve d’anciens membres de la police secrète des années d’apartheid, auteur du premier film noir postapartheid (Fools, 1996), peut être vu comme la figure paternelle de cette nouvelle génération : cinéma engagé, volontaire, tourné dans les quartiers les plus difficiles de Johannesburg et où se déploie la volonté d’en découdre avec le passé.
La question de l’identité du cinéma sud-africain passe bien sûr par cette capacité à digérer – et à apprendre à mettre en scène – la lourde histoire de la nation qui ne fut pas toujours Arc-en-Ciel. Ramadan Suleman en est persuadé : « La plupart des films sud-africains se contentent de traiter de l’insécurité, sans jamais remonter aux origines de ce mal. Il nous faut apprendre à débattre, à discuter, sans quoi d’ici à vingt ans tout ce qui fonde notre identité sera oublié. » Un jeune cinéaste comme Teddy Mattera, le réalisateur de Max et Mona, première comédie noire du pays, lui emboîte le pas : « Parler de gangs ou de violence dans les townships ne suffit pas. Je suis surpris de voir que le même schéma se répète depuis la fin de l’apartheid : des Blancs racontent la vie des Noirs sur un versant misérabiliste ou sensationnaliste, voyez Tsotsi, Hi Jack Stories (montré à Cannes avec succès il y a quelques années), etc. » Toute une bohême de jeunes artistes se rassemble ainsi à la moindre occasion dans les quartiers chauds de Jo’burg pour faire valoir cette nouvelle énergie.
Fêtant la fin du tournage d’un film réalisé dans la zone sinistrée de Berea, en plein cur de la jungle urbaine apocalyptique de « Jo’burg », acteurs, cinéastes, saltimbanques et golden boys de tous horizons sont réunis dans le loft d’un jeune producteur : « Il se passe ici quelque chose d’unique, nous sommes dans une sorte de laboratoire pour l’avenir, à nous d’en tirer le meilleur », résume devant nous Coco Merkel, comédien vu dans Max et Mona.
L’après-midi suivante, Khalo Matabane, jeune auteur de documentaires primés dans de nombreux festivals (Story of a Beautiful Country, Conversations on a Sunday Afternoon), célèbre avec son équipe le début de la diffusion, sur la chaîne publique SABC, de la série When we were Black. Les acteurs ont tous entre 10 et 17 ans, viennent des quartiers pauvres de Soweto et n’ont aucune expérience en comédie. La série, qui relate la vie d’adolescents durant les émeutes tragiques de Soweto en 1976, sera diffusée en prime time. Écrite et réalisée par Matabane, tournée en langue zouloue, elle représente une petite révolution dont se félicite le cinéaste : « Mes films sont appréciés aux États-Unis, en Europe, sans être vus ici. J’ai donc sauté sur l’occasion et réalisé cette série pour montrer qu’être cinéaste en Afrique du Sud, c’est avant tout se battre pour parler de notre identité profonde : on peut être fan des films de Godard, de Scorsese, et simultanément parler de nos problèmes les plus intimes. L’important est d’en revenir toujours à notre identité : qu’est-ce qui nous fonde, qu’est-ce qui nous rassemble ? Partager l’expérience d’un tournage avec ces jeunes acteurs merveilleux a été un formidable premier pas. » La réalisation de son prochain long-métrage, Violence, devrait confirmer le statut de jeune espoir de Matabane.
De son côté, Teboho Mahlatsi, autre jeune cinéaste, auteur de la série culte Yizo Yizo et de deux courts-métrages magnifiques (Portrait of a Young Man drowning, Sekalli le meokgo), réalise une sitcom sur « l’afristocratie », la nouvelle classe de la jeunesse noire dorée postdémocratie. Tournée dans le luxe d’une immense villa, avec les moyens illimités de la chaîne privée M-Net, la série témoigne à sa façon, et non sans ironie, d’un basculement : donner du rêve à la jeune génération noire en renversant les clichés habituellement liés au fantasme d’une société blanche toute-puissante. Mahlatsi lui aussi patiente en attendant de réaliser Scar, son premier long-métrage : le cinéma peut attendre, la jeune star n’oubliant pas « que l’audience des sitcoms, c’est 90 % de notre public : quelle meilleure cible pour débattre ? »
Prise entre ses rêves de cinéma et la réalité d’un pays où celui-ci ne représente qu’un chantier parmi tant d’autres, la jeune génération des réalisateurs de la nation Arc-en-Ciel a fait le choix du pragmatisme. Inutile de se précipiter : riche de ses immenses ressources – politiques, économiques, culturelles et bien sûr humaines -, le nouveau cinéma sud-africain a le temps de voir venir, sa liberté est à ce prix.

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