Nigeria – Wole Soyinka : « S’en prendre à la culture, c’est s’en prendre à l’humanité »

Gouvernance au Nigeria, art et démocratie, monde africain… Le Prix Nobel de littérature, âgé de 85 ans, n’a pas rangé les gants. Toujours sur la brèche tant au niveau politique que dans ses œuvres, le grand collectionneur revient pour JA sur ses passions. 

Le dramaturge, poète et essayiste Wole Soyinka lors du Festival international de littérature de Venise, en Italie, le 7 avril 2018. © Simone Padovani/Awakening/Getty Images

Le dramaturge, poète et essayiste Wole Soyinka lors du Festival international de littérature de Venise, en Italie, le 7 avril 2018. © Simone Padovani/Awakening/Getty Images

Publié le 21 avril 2020 Lecture : 8 minutes.

La crise du coronavirus l’oblige, comme tout le monde, à rester chez lui. Mais Wole Soyinka, premier auteur africain à avoir reçu le Nobel de littérature, en 1986, ne s’en plaint pas. Dans sa maison d’Abeokuta, tapie dans la forêt à 100 km au nord de Lagos, cet hyperactif profite enfin d’un peu de quiétude. Rien ne le rend plus heureux, dit-il, que d’écrire chez lui, au calme, entouré de son impressionnante collection d’art africain. Or, la plupart du temps, il est sur la route, enchaînant encore, à 85 ans, les conférences et les festivals de littérature, quand il n’est pas au chevet d’une cause politique. Un paradoxe qu’il explique par « un gène de professeur », qui le rend incapable de résister à une occasion de transmettre.

Auréolé de son prix et de son passé de résistant, Wole Soyinka est un symbole qui peut peser lourd, et il le sait. Difficile donc pour lui de ne pas s’impliquer s’il peut aider. C’est ainsi qu’on l’a vu arriver au tribunal d’Abuja, le 12 février dernier, marchant de son pas calme mais déterminé, les mains dans les poches et la tête couronnée de son inimitable halo de cheveux blancs. Dans ces murs, ce jour-là, Omoyele Sowore, ancien candidat à la présidence du Nigeria et militant des droits de l’homme, était jugé, accusé de trahison pour avoir appelé à une série de manifestations contre le gouvernement fédéral. « Un procès absurde », pour l’homme de lettres, qui réclame lui-même une transformation radicale de la gouvernance dans son pays.

Le professeur Soyinka, comme on l’appelle respectueusement au Nigeria, n’a jamais eu peur de dire le fond de sa pensée, lui qui a fait deux ans de prison pour avoir appelé à un cessez-le-feu au moment de la guerre du Biafra (1967-1969) et qui a dû s’exiler à la suite de sa condamnation à mort par le gouvernement de Sani Abacha (1994). En 2016, furieux contre l’élection de Donald Trump, cet homme de conviction déchirait la carte verte qui lui permettait de résider aux États-Unis. Et donc le voilà, aux portes d’un tribunal, parce qu’il sait que sa seule présence peut peser dans la balance de la justice.

Il n’avait pourtant pas prévu d’être là. Avant le procès, il se trouvait à Abou Dhabi, la capitale des Émirats arabes unis, invité par une université à parler des causes qui lui sont chères : la culture et la liberté. Il devait y rester, puisque quelques jours plus tard, il participait au Hay Festival, qui tenait sa première édition dans la même ville. C’est là, au retour de son séjour express à Abuja, que Jeune Afrique a rencontré cet homme de conviction, écrivain, homme de théâtre, enseignant et collectionneur. Morceaux choisis d’une conversation sur l’art, la résistance et le « monde africain ».

Jeune Afrique : Vous êtes rentré au Nigeria pour soutenir Omoyele Sowore, alors que vous deviez rester pour quelque temps à Abou Dhabi. Que dit son procès de la situation actuelle dans votre pays ?

Wole Soyinka : Ce jeune est accusé de trahison alors qu’il a simplement dit que le Nigeria avait besoin d’une transformation radicale, à tous les niveaux. Il n’a pas appelé à prendre les armes. Seul un fou complaisant ne serait pas d’accord avec lui et tout le monde réclame d’ailleurs ce changement à grands cris. Le pays ne va pas bien et a besoin d’une profonde restructuration.  Pour l’instant, la gouvernance au Nigeria n’est rien d’autre qu’un pouvoir militaire hyper-centralisé sous le masque d’une démocratie. Nous avons besoin d’un nouveau système, qui permette davantage de décentralisation et une plus grande proximité avec le peuple et ses besoins.

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Il y a eu, en 2019, des soulèvements en Algérie et au Soudan, impulsés par la jeune génération. Est-ce que cela vous donne de l’espoir pour l’avenir ?

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