En Tunisie, les enterrements des victimes du Covid-19 créent la psychose
À chaque inhumation, les riverains des cimetières tunisiens craignent d’être contaminés à leur tour par le coronavirus. Le corps médical assure pourtant que cette peur n’a pas lieu d’être.
L’épidémie de coronavirus est « presque maîtrisée » s’est félicité, au soir du 19 avril, le chef de gouvernement Elyes Fakhfakh. Mais la nature même de l’ennemi – invisible, dangereux et mortel parfois – favorise la psychose et les mouvements de panique. Qui s’expriment lors des enterrements par les vives protestations des riverains de cimetières craignant d’être contaminés par les dépouilles.
Le 31 mars, à Bizerte (Nord), des riverains de la Cité Ouali ont défié le couvre-feu pour s’opposer à l’inhumation d’une femme décédée du coronavirus dans le cimetière local. « Sa famille l’a enterrée, allons la déterrer et mettre le feu à la tombe », propose la foule. Des voix exhortent les hommes à retrousser leurs manches et à se munir de pelles. Il faudra l’intervention des forces de l’ordre pour que chacun reprenne ses esprits.
Quelques jours plus tard, les mêmes scènes se répètent, à Dar Fadhal, en banlieue de Tunis, ou à Medjez el-Bab (Nord). Certains avancent que les certificats établis par les médecins omettent à dessein la cause du décès – le Covid-19 – pour permettre aux familles d’inhumer les défunts de manière ordinaire. Le corps médical a beau répéter qu’il ne déroge pas aux règles, difficile de faire entendre raison à des personnes effrayées.
Il n’y a « aucun risque de contamination des personnes vivantes lors de l’enterrement des défunts », insiste pourtant le Dr Moncef Hamdoun, chef du service de médecine légale de l’hôpital Charles-Nicolle, l’un des centres d’accueil de malades du Covid-19 de Tunis. Rien n’y fait. « La peur a été générée par l’absence de consignes claires en amont sur la conduite des funérailles », regrette le sociologue Mohamed Jouili.
Opérations blanches
« Ces réactions sociales indiquent un repli sur soi pour se protéger mais relèvent aussi d’une mécanique de la vie, analyse son confrère Maher Haffani. Nous voyons beaucoup de personnes sortir et s’agglutiner pour faire les courses et assurer leur pitance. Mais les mêmes rejettent la mort telle que symbolisée et incarnée par la dépouille. »
On tue une seconde fois les victimes du virus, qui ont le droit de reposer dans nos cimetières
Pour apaiser les tensions, les communes ont organisé des simulations de funérailles à vocation pédagogique. Durant ces « opérations blanches », les agents municipaux se familiarisent avec le protocole funéraire en vigueur depuis mi-mars, et recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les règles sanitaires exigent la mise en terre des corps dans un sac hermétique scellé. Les tombes doivent être creusées à trois mètres de profondeur. Le personnel qui manipule les dépouilles, lui, est soigneusement désinfecté aussitôt l’inhumation finie. Si le mode opératoire respecte le rituel funéraire musulman, la cérémonie écarte en revanche la famille et les proches du disparu.
« Comme des parias »
Impossible en outre d’organiser el-farq (la cérémonie du troisième jour) ou el-arbîine (celle du quarantième jour), qui permettent aux familles, en temps normal, de surmonter collectivement le traumatisme de la perte. Au temps du Covid-19, le deuil se vit seul. « Et à l’isolement dû au confinement, s’ajoute la douleur d’être perçus comme des parias », confie le fils d’une victime. Il aura fallu l’intervention dans les médias d’Othman Battikh, mufti de la République, et d’autres figures religieuses faisant autorité pour que cesse la stigmatisation des morts du coronavirus.
« C’est une honte, s’est insurgé l’islamologue Cheikh Badri Madani. On tue une seconde fois les victimes du virus, qui ont le droit de reposer dans nos cimetières. Le même respect est dû aux vivants et aux défunts. » À la télévision, le même a invité à relire les textes religieux, qui permettent que la prière au mort soit assurée par une seule personne.
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