Un Moubarak peut en cacher un autre

En dépit de ses dénégations, le chef de l’État envisage bel et bien de confier sa succession à son fils cadet. Même si la désignation d’un militaire comme le général Omar Souleymane n’est pas exclue.

Publié le 16 janvier 2004 Lecture : 4 minutes.

Quand la question de la succession de Hosni Moubarak (75 ans) est évoquée, les Égyptiens répondent invariablement par cette formule faussement naïve : « Houa ahna îndana ghirou ? » [Qui pourrait le remplacer ?] Le raïs est au pouvoir depuis vingt-trois ans. Beaucoup plus que tous les présidents qui se sont succédé depuis l’abolition de la monarchie et la proclamation de la république, en 1953. En 1999, il a été reconduit pour un quatrième mandat, par un score-fleuve : il est vrai qu’il était seul candidat ! Aux yeux d’une population très jeune, qui, souvent, n’a pas connu d’autre dirigeant, il représente la stabilité. Sera-t-il une nouvelle fois sur les rangs en 2005 ? Ou a-t-il l’intention, comme beaucoup l’en soupçonnent, de passer le relais à Gamal (40 ans), son fils cadet ?
Homme d’affaires et porte-drapeau du libéralisme débridé à l’américaine, ce dernier a été « bombardé », en 2002, à la tête de l’importante commission politique du Parti nationaliste démocratique (PND, au pouvoir). Cette promotion a été promptement interprétée comme le signe qu’il pourrait succéder à son père, à l’instar d’un Bachar el-Assad en Syrie, il y a trois ans. Certains analystes sont d’ailleurs convaincus que l’administration Bush ne verrait pas d’un mauvais oeil cette succession quasi monarchique. En matière d’allégeance aux États-Unis, le fils a en effet tendance à surpasser son père. À supposer la chose possible. Quoi qu’il en soit, Gamal a été reçu à Washington, en juin 2003, avec tous les honneurs, alors qu’il n’est pas même membre du gouvernement. Il a successivement rencontré le vice-président Dick Cheney, le secrétaire d’État Colin Powell, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et la patronne du Conseil national de sécurité Condoleezza Rice. De quoi réveiller les ambitions les mieux refoulées…
Fin septembre, lors du congrès du PND, c’est la ligne réformiste et moderniste représentée par Gamal qui a prévalu, les caciques du régime s’étant complaisamment effacés. Pourtant, le raïs dément catégoriquement vouloir remettre le pouvoir à son fils. « C’est absurde, a-t-il déclaré, le 1er janvier, à la radio égyptienne. L’Égypte est une république, pas une monarchie héréditaire. Si certains pays ont connu des successions de ce genre, cela n’arrivera pas ici. Les rumeurs ont commencé après que mon fils a rejoint le PND. Mais il ne l’a fait qu’avec beaucoup de difficultés, en dépit de nombreuses intercessions en sa faveur. »
Ce démenti mettra-t-il fin auxdites rumeurs ? Al-Ahram et Al-Goumhouriya, les deux grands quotidiens cairotes, le soutiennent, mais il n’est pas interdit d’en douter. En fait, tout en donnant l’impression de vouloir dissiper les doutes de ses administrés, Moubarak n’a fait qu’entretenir le mystère sur ses véritables intentions. Plusieurs questions continuent donc de se poser. Briguera-t-il, oui ou non, un cinquième mandat ou cédera-t-il le pouvoir à l’un de ses proches ? Dans la seconde hypothèse, qui est le mieux placé pour lui succéder ? Pourquoi, en dépit des nombreux attentats dont il a été la cible, continue-t-il de refuser de nommer un vice-président appelé, en cas de vacance du pouvoir, à assurer la continuité à la tête de l’État ?
Le raïs s’est soigneusement abstenu de répondre à toutes ces interrogations. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il connaisse les réponses. Apparemment, il hésite entre plusieurs scénarios et préfère garder plusieurs fers au feu. Son indécision est sans doute le reflet du climat d’incertitude qui prévaut aujourd’hui dans le monde arabe. À l’extérieur, la chute du régime baasiste en Irak, le blocage du processus de paix au Proche-Orient et les pressions américaines en vue d’une accélération des réformes démocratiques dans la région réduisent considérablement sa marge de manoeuvre. À l’intérieur, la crise économique laisse peu de répit au gouvernement dirigé par Atef Abid, dont l’impopularité atteint des sommets. Face à la montée du mécontentement, le président pourra difficilement continuer d’ignorer les revendications de l’opposition. Très critique envers l’immobilisme du gouvernement, celle-ci demande la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis l’assassinat d’Anouar el-Sadate, en octobre 1981, mais aussi la réforme du système de désignation du chef de l’État. Elle est favorable à une élection au suffrage universel direct.
Les institutions égyptiennes reposent sur la Constitution mise en place en 1971 par Sadate. Il s’agit d’un régime présidentiel dans lequel le Parlement désigne à la majorité des deux tiers le président de la République pour un mandat de six ans. Cette nomination est ensuite approuvée par voie référendaire. La Constitution prévoit par ailleurs qu’en cas de vacance du pouvoir l’intérim est assuré par le président de l’Assemblée du peuple, qui doit organiser une nouvelle élection dans un délai de soixante jours.
Depuis la révolution de 1952, la succession du président décédé – Nasser en 1970, Sadate en 1981 – a toujours été assurée par le vice-président, en l’occurrence Sadate et Moubarak. Mais la mise en oeuvre de ce mécanisme est aujourd’hui plus qu’aléatoire. Et pour cause : Moubarak se refuse obstinément à désigner un ou plusieurs vice-présidents, comme la Constitution lui en laisse la possibilité. Le débat sur la succession est donc en permanence d’actualité.
Outre une éventuelle candidature du fils du président, les spécialistes évoquent une autre possibilité : la désignation d’un militaire. Le nom le plus fréquemment cité est celui du général Omar Souleymane, le chef du renseignement militaire, que les Américains et des Israéliens apprécient, semble-t-il. Les deux scénarios ne sont d’ailleurs nullement inconciliables. Pourquoi pas Souleymane à la présidence et Gamal à la vice-présidence ? Cela permettrait au jeune leader du PND de se familiariser avec les arcanes du pouvoir, au côté d’un militaire chevronné…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires