Un homme sur Mars dans quinze ans ?

Modibo Diarra, Malien, est ingénieur à la Nasa. Il fait le point sur la conquête de la planète Rouge et sur la recherche scientifique en Afrique.

Publié le 16 janvier 2004 Lecture : 7 minutes.

Originaire de Ségou au Mali, Cheick Modibo Diarra, 51 ans, travaille pour la NASA depuis quatorze ans. Embauché en 1988 au Jet Propulsion Laboratory de Pasadena (Californie) comme navigateur interplanétaire et membre de l’équipe de Pathfinder, la première sonde sur Mars, le fils prodigue est de retour dans son pays natal pour trois années de disponibilité qu’il souhaite mettre à profit pour aider le continent. Interview

Jeune Afrique/L’intelligent : Quelles étapes marquent les récentes réussites européenne (Mars Express) et américaine (Mars Rover) dans la découverte de la planète Mars ?
Modibo Diarra : Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, les choses ont changé. À la situation compétitive, où chacun essayait de tout inventer, s’est substituée une collaboration entre agences spatiales travaillant les unes avec les autres pour ne pas refaire ce que les autres ont déjà fait. Mars est une très petite planète, mais comme elle n’a pas d’océans, explorer sa surface revient à prospecter tous les continents de la Terre réunis. Cette nouvelle étape est passionnante car nous allons pouvoir explorer tous les endroits qui, sur les images satellitaires, ressemblent à des canyons ou à des lits de fleuve. Nous avons une feuille de route internationale, ce qui va nous aider à répondre aux questions suivantes : Une vie est-elle apparue sur Mars ? Si c’est le cas, pourquoi s’est-elle éteinte ? Y a-t-il ou y a-t-il eu de l’eau sur Mars ? Améliorer la connaissance globale de Mars pourrait nous permettre à terme de comprendre un peu mieux notre place sur la Terre et la fragilité de notre planète. Un exemple de cette coopération est l’acharnement des appareils de la NASA pour capter d’éventuels signaux envoyés par Beagle 2 [le petit atterrisseur largué par la sonde européenne Mars Express, ndlr]. Si des signaux sont captés, les données que fournira Beagle 2 compléteront celles qui émaneront de Spirit [largué par la sonde américaine Mars Rover].

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J.A.I. : Vous avez dirigé cinq missions spatiales, dont une sur Mars, lorsque vous étiez navigateur planétaire pour la NASA. Que ressentez-vous quand vous faites découvrir l’inconnu en direct aux Terriens, comme ce fut le cas en 1997 avec Mars Pathfinder ?
M.D. : C’est un sentiment d’exaltation car le domaine de l’espace réveille en chacun de nous, spécialiste ou non, l’enfant rêveur. Participer à ces missions et faire découvrir en direct ces images, comme nous l’avons fait en 1997 et comme mes collègues le font en ce moment, procure la joie de voir le monde célébrer vos succès avec vous, ce qui est le couronnement d’un extraordinaire travail d’équipe et de beaucoup d’abnégation. Mais le plaisir est également de découvrir ensemble des images qu’aucun oeil humain n’avait aperçues depuis la création de notre système solaire.

J.A.I. : Quel lien unit les scientifiques aux engins envoyés dans l’espace ?
M.D. :
C’est un lien de parenté. Deux équipes travaillent à concevoir ces robots, les scientifiques et les équipes techniques, composées d’ingénieurs. En fonction des types d’expériences que les premiers souhaitent réaliser, les seconds conçoivent des systèmes d’atterrissage et des instruments adaptés. Ces deux équipes collaborent pendant deux ou trois ans à créer un robot, qui est comme leur enfant. Un beau jour, on l’envoie tout seul dans un espace inconnu, noir et très froid, pour un voyage de près de sept mois. Lors de son entrée dans l’atmosphère de Mars, il est brutalement confronté à des conditions qui provoquent une surchauffe atteignant des milliers de degrés et toutes sortes de pressions. Au sol, rien n’est gagné, il peut s’être posé du mauvais côté ou ses équipements peuvent être endommagés. Nous suivons chacune de ces étapes comme des parents suivraient les progrès de leur enfant. Une fois l’atterrissage réussi sans dommage, l’engin devient une extension du scientifique et remplace ses sens. Il capte la température, voit et se déplace pour lui.

J.A.I. : Comment sait-on qu’une planète a accueilli la vie ?
M.D. : La découverte de fossiles ou de bactéries vivantes apporte la preuve que la vie s’est développée sur une planète. La surface de Mars ayant été complètement stérilisée par les rayons cosmiques venant du Soleil, ces traces de vie ne pourraient se trouver que sous le sol. En enquêtant sur cette planète, nous pourrons déterminer si la vie est apparue et jusqu’à quel point elle a évolué. Sans eau, pas de vie telle que nous la connaissons. C’est pour cette raison que nous traquons cet élément. Si nous en trouvons, nous pourrons l’utiliser. Si on cassait l’eau en ses éléments essentiels que sont l’hydrogène et l’oxygène, on pourrait par exemple combiner l’hydrogène avec le carbone, qui compose 95 % de l’atmosphère de cette planète, pour faire des carburants. La partie oxygène pourrait servir à entretenir la vie, par exemple humaine, quand on enverra des explorateurs.

J.A.I. : Les vols habités sur Mars sont-ils pour demain ?
M.D. : Il arrivera certainement un moment où les machines auront atteint leurs limites d’exploration, et alors le temps sera venu d’envoyer une équipe d’êtres humains sur Mars. Si la volonté politique et les budgets existaient bel et bien, chaque agence pourrait lancer des programmes de recherche spécifiques. Je suis certain qu’en nous y mettant dès maintenant, nous pourrions voir marcher un homme sur la planète Rouge dans moins de quinze ans. Il faudra surmonter des problèmes biologiques comme la protection contre les radiations ou la décalcification osseuse. En effet, les os cessent de métaboliser du calcium dès que la gravité terrestre disparaît. Sans machines capables de recréer des effets gravitationnels, les os des spationautes pourraient être réduits en poudre après quelque temps de voyage spatial. Celui vers Mars durerait sept à neuf mois. De plus, il faut un alignement géométrique adapté pour aller de la Terre à Mars. Ce qui implique un bon alignement au moment du départ, mais aussi lors du retour, une fois la mission achevée. Compte tenu de ces contraintes, le voyage durerait au total près de trois ans. La gravité sur Mars représente 38 % de celle de la Terre, il n’y a pas d’air respirable à l’état naturel et il faudrait emmagasiner eau et nourriture pour plusieurs années. D’où la complexité du problème.

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J.A.I. : Cette exploration des espaces interstellaires est-elle compatible avec des convictions religieuses ?
M.D. : Bien sûr. Moi, par exemple, je suis musulman, et mes collègues de la NASA sont pour la plupart protestants ou chrétiens, ils vont à l’église le samedi tandis que je prie au bureau cinq fois par jour. Ce n’est pas incompatible. Au contraire, face à l’immensité et à l’organisation extraordinaire de l’univers, l’humilité ne peut que s’imposer à nous.

J.A.I. : Quel est votre parcours depuis que vous avez quitté la NASA ?
M.D. : En avril 2002, je me suis mis en disponibilité de mon poste à la NASA pour trois années, que je vais essayer de mettre à profit pour aider mon continent. Face au phénomène de la fuite des cerveaux, j’ai pris le parti de me localiser physiquement sur le continent africain pour mettre en pratique mes idées sur le sujet. Je veux voir s’il existe pour moi une possibilité de contribuer au développement de nos pays. Je veux essayer de jouer le rôle du passeur entre mes compatriotes africains expatriés et mes frères du continent. Nous allons réfléchir aux structures qui permettraient que cet échange de connaissances reste perpétuellement ouvert entre les Africains de la diaspora et leurs pays d’origine. Cela peut passer par l’établissement de réseaux entre professionnels à partir d’une banque de données africaine mobilisable par les organismes publics et privés.

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J.A.I. : Quelle place occupent les compétences africaines au sein de la communauté scientifique internationale ?
M.D. : Nous avons organisé le premier Sommet africain de la science et des nouvelles technologies (Sasnet) à Libreville en 1999 et, deux ans plus tard, le second à Nouakchott. Près de trois cents personnes sont venues, pas seulement des Africains, mais aussi des Asiatiques et des Européens. Nous avons travaillé trois jours pour examiner les progrès accomplis en deux ans. Je me suis rendu compte qu’il fallait absolument établir la connexion entre ces sommets scientifiques et les décideurs africains pour que les choses avancent réellement. Nous pouvons toujours nous rencontrer, faire des analyses et sortir des documents, mais il faut que ces conclusions puissent être portées à la connaissance des politiques pour qu’ils considèrent l’opportunité d’adopter ces stratégies. Le fait de se réunir crée l’engouement chez les jeunes ; et les représentants sous-régionaux du Sasnet sensibilisent les nouvelles générations aux sciences entre deux sommets.

J.A.I. : Que deviennent les programmes destinés aux jeunes femmes scientifiques ?
M.D. : Il y a trois ans, j’ai créé un camp d’excellence pour jeunes femmes prometteuses scientifiquement. Cette structure couvre maintenant onze pays, du Maroc à la Côte d’Ivoire et du Sénégal au Togo. Nous identifions 45 jeunes prodiges de classe de première et nous les regroupons dans un camp d’été, pour préparer l’ensemble du programme de terminale sous la houlette de professeurs de haut niveau, recrutés par le ministère de l’Éducation du pays hôte, qui était le Maroc en 2003. Ces formations estivales doivent les aider à décrocher un excellent baccalauréat et à intégrer les meilleures écoles africaines ou internationales. Le but consiste à mettre en réseau ces filles de différentes nationalités et, grâce aux promotions successives, de créer une élite féminine africaine.

J.A.I. : Rejoindrez-vous à terme la NASA ?
M.D. : Lorsque j’aurai terminé mon congé sabbatique, je consulterai les différentes opportunités qui se présentent à la Nasa. Mais si ma contribution africaine s’avère être absolument utile, la Nasa, qui emploie quarante mille très bons ingénieurs, pourra se passer de moi. Cela ne l’empêchera pas de très bien fonctionner.

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