Une année chargée

Les partis d’opposition et la mouvance présidentielle se préparent aux trois scrutins majeurs programmés en 2004.

Publié le 16 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

A lire certains organes de presse locaux, la démocratie nigérienne, minée par les chamailleries politiciennes, serait, comme à la veille du coup d’État qui a porté au pouvoir le général Ibrahim Maïnassara Baré en janvier 1996, en péril. Il est vrai qu’ici, peut-être plus qu’ailleurs dans la région, les dissensions partisanes occultent souvent les questions de fond. Dernier épisode en date, l’éclatement de la Convention démocratique et sociale (CDS-Rahama), le parti de l’ancien chef de l’État Mahamane Ousmane, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale. Après avoir échoué à prendre le contrôle de cette formation membre de la majorité au pouvoir, Cheïffou Amadou, Premier ministre de la première transition (1991-1993), a créé le 4 janvier son propre parti, le Rassemblement social démocrate (RSD-Gaskya).
Cette scission prend d’autant plus d’importance – il n’est pas exclu que Cheïffou Amadou change de camp et rejoigne les rangs de l’opposition – qu’elle survient à l’entame d’un calendrier électoral particulièrement chargé. Celui-ci débute en mars avec les municipales, qui prennent des allures de répétition générale avant les législatives et la présidentielle, prévues respectivement pour novembre et décembre 2004. L’opposition, qui présente des listes communes dans une majorité de circonscriptions, pense avoir des chances de l’emporter à Zinder, Maradi, Dosso et Tillabéri. Alors que le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarrayya) de Mahamadou Issoufou, rival malheureux de Mamadou Tandja au second tour de la présidentielle de 1999, semble imbattable dans son fief de Tahoua, au nord-est de la capitale, cette dernière devrait rester entre les mains de l’ancien parti unique, le Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara), auxquels appartiennent à la fois le président de la République et son Premier ministre Hama Amadou.
Bien avant l’ouverture de la campagne pour ces élections locales, c’est sur les règles du jeu qu’a porté l’affrontement. Le pouvoir a tenté de revenir sur la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), pourtant fixée par la Constitution. Il souhaitait aussi revoir une mesure du Code électoral faisant obligation aux membres du gouvernement de démissionner pour pouvoir postuler à un mandat électif. Dans l’un et l’autre cas, la Cour constitutionnelle a annulé les textes votés par l’Assemblée.
Nul doute que le Niger a fait de considérables progrès en matière de pratiques démocratiques. Le ton avait été donné dès le lendemain de la présidentielle de 1999. Confirmant que le scrutin s’était déroulé dans la transparence, Mahamadou Issoufou avait reconnu sa défaite. Ainsi, si rien de grave n’arrive d’ici à la fin de l’année, ce sera la première fois depuis 1993 qu’un chef de l’État aura achevé son mandat.
Par-delà les polémiques, l’ensemble de la classe politique admet que les libertés sont plutôt préservées dans le pays. Le patron de presse Maman Abou en convenait lui-même, le 6 janvier, jour de sa libération après deux mois d’emprisonnement pour diffamation à l’égard du Premier ministre. Pour le directeur de l’hebdomadaire Le Républicain, la presse est globalement libre. Tant qu’elle ne se risque pas à aborder certains aspects de la gestion gouvernementale, nuance-t-il toutefois aussitôt. C’est en effet la publication d’un document établissant des irrégularités dans la passation d’un marché qui lui a valu d’être embastillé. Bien qu’un autre chef d’inculpation – le recel de documents administratifs – pèse sur Maman Abou, sa mise en liberté provisoire prouve, il l’a lui même reconnu, que la justice n’est pas totalement aux ordres de l’exécutif. Mais si le sommet de l’institution, comme l’ont également illustré les décisions de la Cour constitutionnelle évoquées plus haut, manifeste régulièrement son indépendance à l’égard du pouvoir, il n’en va pas de même pour les échelons inférieurs. C’est en tout cas le sentiment du président de la Cour suprême, Malam Awami. Lors de la cérémonie de présentation des voeux au chef de l’État, joignant sa voix à celle de l’opposition, le responsable de la plus haute instance juridictionnelle a dénoncé l’instrumentalisation de la justice. Les ténors de la politique ont, il est vrai, les moyens de se défendre dans la capitale. Dans les régions, en revanche, un préfet peut facilement faire pression sur la magistrature locale pour entraver les actions des militants de base.
L’affaire Maman Abou, qui a fait grand bruit dans le pays et à l’étranger, est l’arbre qui ne doit pas cacher la forêt. Les médias d’État restent au service du pouvoir, mais la presse privée jouit d’une grande liberté de ton, dont elle use et abuse, colportant parfois les ragots les plus invraisemblables – les nombreux procès intentés à des journalistes ne sont pas toujours infondés.
La démocratie se voit aussi consolidée par le règlement, en douceur, des problèmes politico-militaires qui ont marqué l’histoire récente du pays. Grâce, notamment, à une politique de « discrimination positive » dans l’administration en faveur des cadres originaires du Nord, la rébellion touarègue ne semble plus qu’un mauvais souvenir. Si l’on ne peut préjuger de rien dans un pays qui a été dirigé par des officiers pendant une vingtaine d’années, la menace d’une intervention de l’armée paraît elle aussi s’éloigner. La classe politique y a mis du sien en s’interdisant de rouvrir le dossier de l’assassinat, en avril 1999, du général Ibrahim Maïnassara Baré. Seul le Rassemblement pour la démocratie et le progrès (RDP), la formation créée par le défunt président, se bat pour que les auteurs de cet assassinat, qui seraient des membres de la garde présidentielle conduits par le commandant Daouda Malam Wanké, soient traduits en justice. Les autres partis s’abritent derrière l’amnistie inscrite dans la Constitution de 1999. Allié du RDP, et s’il fallait vraiment régler cette question, le PNDS préférerait une formule à la sud-africaine, avec la création d’une « commission vérité et réconciliation » opérant en dehors du système judiciaire ordinaire.
De plus, l’opposition a d’autres chevaux de bataille politiques que « l’affaire Wanké ». Ainsi demande-t-elle des éclaircissements sur le sort des officiers arrêtés à l’issue de la mutinerie d’août 2002 et détenus depuis seize mois au camp de gendarmerie de Niamey. De même qu’elle continue à contester la destitution, en juillet 2001, du sultan de Zinder. Mais là où elle se montre le plus déterminée, c’est pour dénoncer l’exclusion de l’administration dont sont victimes, selon elle, ses cadres et ses militants.
Ses critiques se placent enfin sur le terrain des performances économiques et sociales. Avec un taux de croissance de 4 % en 2003, le Niger se classe 5e sur 8 dans le palmarès des membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ne dépassant que des pays (le Togo, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire) en situation de crise politique. Pour que la pauvreté diminue, il faudrait au moins atteindre 7 % de croissance. On est assez loin du compte. Parallèlement, le déficit budgétaire et celui du solde extérieur se sont aggravés.
Le gouvernement se flatte de la réussite du fameux « Programme spécial du président de la République » visant la construction de mille classes, mille cases de santé et cent minibarrages. Ses détracteurs clament que l’opération est financée sur les fonds de l’initiative de réduction de la dette en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE). Dans beaucoup de cas, disent-ils, les bâtiments construits sont des coquilles vides. À quoi servent des écoles sans enseignants ni fournitures et des centres de santé sans infirmiers ni médicaments ? Il n’empêche : le programme du président n’était pas une vaine promesse et il a apporté un peu de bien-être à de nombreuses familles. Le paiement régulier des salaires est à souligner. Si la corruption, les marchés de complaisance et, de façon générale, la gestion opaque des fonds publics restent monnaie courante, le pays revient de loin après la transition (avril-novembre 1999) marquée par le pillage systématique des biens de l’État. Autant de points positifs qui contribuent à restaurer l’image des pouvoirs publics. Une évolution majeure à porter au crédit du régime… et de l’opposition. Sans cesser de harceler le pouvoir, cette dernière évite la politique du pire. La leçon de 1996 a été retenue de part et d’autre.

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