Cameroun : le gouvernement reconnaît l’implication de militaires dans le massacre de Ngarbuh

Les autorités camerounaises avaient initialement démenti les accusations quant à l’implication de soldats dans le massacre de Ngarbuh, survenu dans la région du Nord-Ouest le 14 février dernier.

Des soldats camerounais déployés en Centrafrique, le 3 janvier 2013 (image d’illustration). © Ben Curtis/AP/SIPA

Des soldats camerounais déployés en Centrafrique, le 3 janvier 2013 (image d’illustration). © Ben Curtis/AP/SIPA

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 22 avril 2020 Lecture : 4 minutes.

L’annonce a provoqué un mini-séisme. À l’issue d’une enquête menée conjointement par des responsables de l’armée camerounaise et des observateurs indépendants, l’implication de quatre militaires dans le massacre de civils à Ngarbuh a finalement été confirmée, comme le soutenaient des acteurs de la société civile et des ONG.

Les conclusions des enquêteurs, rendues publiques ce 21 avril à travers un communiqué de la présidence, accablent ainsi le chef de bataillon Nyiangono Ze Charles Éric, commandant du 52e bataillon d’infanterie motorisée, le sergent Baba Guida, désigné comme l’ordonnateur du drame, le gendarme Sanding Sanding Cyrille et le soldat de première classe, Haranga. Aux côtés de ces quatre personnalités, dix autres civils, membres du comité de vigilance qui accompagnaient les soldats dans cette opération, ont également été inculpés.

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Le président Paul Biya a ainsi prescrit l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre le chef de bataillon Nyiangono Ze pour son absence lors de cette opération pourtant sensible, et d’une procédure judiciaire contre les 13 autres responsables militaires et civils pour leur participation à ce massacre, notamment en raison de la mort de 13 personnes et la mise à feu de maisons pour masquer les faits. Les corps des victimes seront en outre exhumés afin de leur offrir des sépultures dignes, et leurs ayants droits bénéficieront d’indemnisations et de compensations aux frais de l’État.

Volte-face du gouvernement ?

Les faits incriminés remontent au vendredi 14 février dernier. Au cours d’une opération dite de « reconnaissance » menée par l’armée dans les villages de Ntubaw et Ngarbuh, un assaut avait été donné sur un camp renseigné comme étant une base sécessionniste à Ngarbuh 3. Après de violents combats, de nombreux villageois avaient été tués par balles et des maisons incendiés.

James Nunan, chef du Bureau de coordination des Affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU pour les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au moment des faits, dressait alors un bilan d’au moins 22 morts, parmi lesquels 14 enfants. Un bilan confirmé par l’évêque de Kumbo et d’autres ONG à l’instar d’Human Right Watch qui, dans un rapport, mettait également en lumière l’implication de soldats.

Mais ces accusations avaient été rapidement démenties par l’armée camerounaise. Dans un communiqué publié le 17 février, le ministre de la défense Joseph Beti Assomo les qualifiait d’ailleurs de « grotesques allégations », fruit d’un « malheureux montage sur des opérations de sécurisation en cours ». Formels, l’armée camerounaise comme le porte-parole du gouvernement plus tard, campaient sur un bilan de sept terroristes neutralisés et de cinq «  victimes collatérales » civiles, dont quatre enfants, tués dans un incendie déclenché par l’explosion d’un contenant de carburant de contrebande.

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Et bien que le rapport d’enquête dévoilé par la présidence défausse complètement les premières déclarations du gouvernement, Yaoundé se défend de faire une volte-face. « Le sergent Baba Guida, qui a conduit l’opération, a adressé à sa hiérarchie un compte rendu volontairement biaisé sur lequel le gouvernement a initialement fondé sa préoccupation », indique à cet effet le secrétaire général à la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, dans son communiqué.

Un scénario qui rappelle celui du massacre de femmes et d’enfants à Zelevet dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Dans cette affaire, l’armée camerounaise avait là aussi réfuté les allégations des médias et des acteurs de la société civile, avant de traduire sept soldats devant une cour martiale. L’affaire sur le massacre de Ngarbuh relance ainsi la question du respect des droits de l’homme sur les fronts de guerre.

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Satisfaction relative de la société civile

Du côté de la société civile, la satisfaction est relative. Si la publication des résultats de cette enquête est vue d’un bon œil par la plupart des acteurs, son contenu continue d’alimenter la polémique. Pour Lewis Mudge, directeur Afrique centrale de Human Right Watch, « ce rapport est un premier pas dans la bonne direction », bien que l’organisation « ne partage pas certains [de ses] points ». « Des responsabilités doivent également être établies auprès des hauts gradés de l’armée qui ont tenté de couvrir les faits », explique-t-il notamment. Des propos qui rejoignent ceux de Washington qui, par le biais de son ambassade à Yaoundé, s’est réjoui de la « décision de demander des comptes aux personnes soupçonnées d’avoir mené cette action et d’avoir tenté de la dissimuler ».

Pour l’opposante Edith Kah Walla, leader du Front citoyen, un mouvement de la société civile, « la démocratie camerounaise a fait un pas en avant ». « Des milliers de voix ont réclamé justice pour les victimes de Ngarbuh. Le résultat est loin d’être à 100 % satisfaisant, mais c’est le mieux que nous ayons obtenu après des atrocités du gouvernement », s’est-elle félicité.

Début mars, les militaires impliqués dans les évènements de Ngarbuh ont été interpellés et mis à la disposition de la justice militaire, selon la présidence. Les dix civils membres du comité de vigilance, eux, sont toujours recherchés.

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