L’esclavage enfin hors la loi

Les députés ont adopté une législation sévère condamnant les travaux forcés. Près de 900 000 personnes sont concernées.

Publié le 16 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

« Pour le maître, j’étais un objet comme le pilon, la chaise ou le mortier », explique l’ancienne esclave Tumajet Ghousmane. Aujourd’hui libre, cette femme de 40 ans a été séparée des siens à l’âge de 5 ans pour être offerte en cadeau de mariage à la jeune épouse d’un garde républicain dans la localité d’Inatès. Sa périlleuse évasion nocturne de juin 2000 lui a fait retrouver le chemin de la liberté. « Levée la première, je partais chercher de l’eau loin du village, se souvient-elle aujourd’hui. Je revenais vers midi. Je devais alors piler le mil pour le repas du jour, cuisiner et repartir pour une deuxième corvée d’eau. À mon retour, il me restait à faire la vaisselle et à aller chercher du bois. » Battue au moindre prétexte et jamais payée pour son travail, elle ajoute : « Je n’oublierai jamais ce que j’ai subi chez le maître et sa femme tant ils m’ont fait souffrir. Mais je ne réclame aucun droit, je veux seulement ne plus jamais les revoir. »
L’esclavage, une pratique encore courante au Sahel, trace des sillons si profonds dans les esprits des victimes que les évadés ne demandent généralement pas leur reste. Traumatisés à vie, la peur les saisit souvent à l’idée d’affronter à nouveau le maître auquel ils ont échappé. Et puis à quoi bon porter plainte quand on sait que la justice ne donnera pas suite ? En juillet 2000, un maître nigérien a vendu l’une de ses jeunes esclaves à un riche commerçant du Nigeria. L’association nigérienne Timidria (« Fraternité » en touareg) est alors allée rechercher la jeune fille, qui a porté plainte. Les deux hommes ont été immédiatement relâchés par le juge qui « ne voyait dans la transaction qu’un simple mariage », comme l’explique Ilguila Weila, le président de Timidria.
Cette association, créée en 1991, a engagé son bras de fer avec les esclavagistes il y a quatre ans. En 2000, après avoir passé au crible les textes de loi en vigueur dans le pays, elle fait des propositions au ministère de la Justice pour pallier les lacunes juridiques d’un arsenal répressif qui nulle part ne mentionne l’esclavage. Le gouvernement, favorable à la réforme, élabore un projet de loi inspiré des travaux de Timidria. Mais les députés du pays freineront des quatre fers, et le texte soumis à maintes reprises sera renvoyé aux calendes grecques. « Nombre de députés, issus de la chefferie traditionnelle, recourraient aux esclaves, et voyaient d’un mauvais oeil cette nouvelle loi », explique Ilguila Weila.
Pendant ce temps, Timidria mène un intense travail de lobbying auprès des ambassades étrangères, de la société civile (notamment par le biais des associations musulmanes), des chefs de parti politique et même d’anciens ministres. Chaque député est relancé par les militants associatifs qui finissent par faire tomber cette citadelle présumée imprenable : le texte est enfin adopté le 5 mai 2003.
Le nouveau code pénal prévoit des peines de cinq à trente ans de prison pour les propriétaires d’êtres humains et expose les adeptes du « droit de cuissage » à des poursuites pour viol. Cette nouvelle arme juridique permettra aux « personnes forcées à travailler (gratuitement ou pas) et à vivre sous le joug d’une autre » de porter plainte contre leurs exploiteurs. Selon une étude menée en août 2002 par Timidria, quelque 870 000 esclaves pourraient donc se retourner contre leurs maîtres. Ces derniers sont estimés à 580 000.
Cependant, début janvier 2004, le nouveau texte de loi n’était encore pas publié au Journal officiel, les plaignants ne pouvaient donc toujours pas saisir la justice.
« Nous bousculons des pratiques coutumières avec cette loi, opine le secrétaire général du gouvernement Lawal Kader Mahamadou. Il y a inévitablement des résistances. » Seule certitude, pour ce dernier, « il risque d’y avoir du grabuge ! ».
Depuis le 5 mai, des milliers de victimes continuent de se faire connaître auprès de Timidria et certains maîtres ont spontanément libéré leurs esclaves, pour le meilleur, en leur laissant la jouissance de terres, ou, pour le pire, en les chassant comme des chiens errants.
Ce qui donnera du grain à moudre à l’association, qui pourra désormais se constituer partie civile (ce que la nouvelle loi permet même sans accord de la victime en cas de « flagrant délit d’esclavage »), surveiller l’application de la loi dans les tribunaux et aider les centaines de milliers de futurs affranchis à se réinsérer.

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