L’art de manier les sujets qui fâchent

Publié le 16 janvier 2004 Lecture : 2 minutes.

Est-ce l’entrée du pays dans la zone de turbulence électorale de 2004 ? Ou est-ce la volonté de ne pas dévoiler au grand jour certaines affaires qui ont conduit le gouvernement à multiplier les « fortes pressions » à l’égard de la presse privée depuis la fin de l’année 2003 ? Toujours est-il qu’au début du mois d’octobre dernier, une
dizaine de radios privées et communautaires ont été obligées de fermer l’antenne faute d’autorisation d’émettre. Et qu’un mois plus tard, le directeur de publication de l’hebdomadaire Le Républicain, Maman Abou, a été condamné par le tribunal régional de Niamey à six mois de prison, 300 000 F CFA d’amende et 10 millions de F CFA de dommages et intérêts. Une condamnation qui ne doit rien au hasard : Maman Abou est un personnage central dans le paysage médiatique nigérien. Touareg estampillé proche de l’opposition,
très actif en matière d’investigation journalistique, il est aussi homme d’affaires et
propriétaire de l’imprimerie éditant l’ensemble des journaux privés du pays.

Mais si cette arrestation a de quoi choquer, si elle conserve un arrière-goût d’arbitraire, l’événement, selon les confidences du journaliste lui-même, a plus été vécu comme une intimidation, comme une invite adressée à l’ensemble de la presse nationale à ne pas « recommencer » d’accuser des ministres de malversations financières. Preuve de cette simple intimidation ? L’organe de presse dont Maman Abou est propriétaire n’a pas été saisi. Les conditions de détention du journaliste sont restées dignes d’un pays démocratique ; il pouvait même recevoir des visites devant le portail de la maison d’arrêt… côté rue ! Enfin le confrère, remis en liberté provisoire le 6 janvier, reste tout de même autorisé à voyager à l’étranger. On est donc loin, très loin, de certaines périodes noires pour la liberté de la presse, comme en 1998 et 1999 où il n’était pas rare de retrouver des journalistes tabassés et laissés pour morts au bord de la route. Le Niger d’aujourd’hui dispose, comme ailleurs sur le continent, d’un paysage médiatique apaisé et bicéphale. Avec d’un côté une presse publique largement caporalisée par le pouvoir, et de l’autre, une presse privée qui a connu une floraison de journaux et de radios depuis le début des années 1990, et qui jouit d’une assez grande liberté d’expression.

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Une liberté dont elle abuse parfois, colportant rumeurs et ragots, bravant sans complexe les règles les plus élémentaires de la déontologie. Un phénomène d’ailleurs classique suite à la chute d’une dictature, où beaucoup se croient permis d’écrire tout et n’importe quoi, risquant à chaque paragraphe le procès pour diffamation. S’il est donc vrai que les journalistes ont des droits et aussi des devoirs, s’il semble normal qu’en démocratie la diffamation soit passible de sanction, le pouvoir, à son tour, doit se montrer capable de discernement. Ne pas brandir la menace de peines de prison pour la moindre allégation non fondée. Laisser la presse faire son travail même lorsque ses investigations portent sur les dépenses publiques ou sur les agissements du Premier ministre. Ne pas restreindre la liberté d’expression dès le premier sujet qui fâche. Comme le rappelle le bandeau de l’hebdomadaire Le Républicain : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Avis aux amateurs… hommes de plume comme hommes publiques.

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