Illusion d’optique

Publié le 19 janvier 2004 Lecture : 5 minutes.

Au début d’une nouvelle année, s’il a adressé ses voeux à ses lecteurs, il ne reste au chroniqueur qu’à se lancer dans l’exercice (risqué) de la prévision.
Permettez-moi de ne pas m’y hasarder et, en lieu et place, de signaler à votre attention trois grandes évolutions qui marquent, à mon avis, le début de ce siècle.
1) Les petits sont les plus riches ! Nous pensions jusqu’ici que les grands ensembles, États-Unis, Union européenne, Fédération de Russie, Chine, Inde, Brésil… étaient l’avenir des nations et que leur dimension leur donnait un avantage décisif sur les petits pays. Et l’on encourageait ces derniers à se fondre dans plus grand qu’eux : « Le salut est dans l’intégration économique, leur disait-on, car il faut bénéficier des économies d’échelle. »
Cela paraissait logique et séduisant. Mais les faits, dont on sait qu’ils sont têtus, se sont inscrits en faux, et les chiffres, ceux du revenu par habitant, montrent que c’est dans les pays les plus petits qu’on est le plus riche.
Si l’on étudie le classement en fonction du revenu par habitant des quelque deux cents pays membres des Nations unies, on découvre qu’il n’y a, dans les dix premiers, qu’un seul grand : les États-Unis. Les neuf autres, ceux où le revenu est le plus élevé, sont petits, voire minuscules : six ont moins de 1 million d’habitants chacun ; deux, la Norvège et Singapour, entre 1 million et 5 millions ; le neuvième, la Suisse, en compte plus de 7 millions.
Les économistes qui ont étudié les dimensions comparées des nations et l’effet du facteur taille sur la richesse observent toutefois que les petits pays ne peuvent prospérer que dans un monde et à une époque où règne la paix, où le commerce bénéficie des conditions les plus favorables.

2) La course aux armements a repris. Tout aussi étonnante est l’autre illusion d’optique qui nous a fait croire que, la guerre froide s’étant terminée en 1990, nous allions recueillir les « dividendes de la paix » : moins d’argent consacré à la dissuasion militaire, gaspillé en armes inutilisées, et plus de fonds affectés au développement économique et social.
Les budgets militaires ont baissé entre 1992 et 1998, mais, depuis plus de cinq ans, nous nous retrouvons engagés dans une nouvelle course aux armements dont, pour ma part, je ne vois pas la justification.
Les dépenses militaires étaient, en 1998, à un plancher. Depuis, elles sont reparties à la hausse.
La principale raison est l’envolée du budget militaire américain. En janvier 2001 : le président George W. Bush l’a fait bondir de 300 milliards à 400 milliards de dollars, avant d’y inclure 87 milliards pour financer la guerre en Irak et ses suites. On est revenu au niveau de l’ère Reagan.
Le budget américain de la défense représente près de la moitié du total mondial, mais les dépenses militaires augmentent rapidement aussi en Russie, en Chine, en Inde, au Brésil, et dans plusieurs pays de l’Asie de l’Est. De leur côté, les anciens pays du pacte de Varsovie sont obligés d’accroître les leurs pour entrer dans l’OTAN. Les dépenses militaires sont en hausse même en Grande-Bretagne et en France, et elles sont en nette augmentation dans plusieurs pays africains.

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3) Le pétrole sera rare et cher. La troisième de nos illusions est relative au pétrole, source principale d’énergie de toute la planète depuis un siècle, et pour encore, disent les meilleurs spécialistes, un demi-siècle.
Nous pensions généralement qu’elle finirait par s’épuiser, certes, mais qu’elle serait encore abondante, et nous nous attendions, pour les deux ou trois prochaines décennies, à ce qu’elle soit à un prix abordable. Erreur : même si le nucléaire la complète et si l’hydrogène viendra un jour la remplacer, la ressource pétrole (et gaz) va être insuffisante, rare et de plus en plus chère.
Les trois principaux ensembles producteurs de pétrole sont les pays de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), l’ex-Union soviétique et le reste du monde. La production des pays de l’OPEP devrait culminer à environ 45-50 millions de barils par jour (b/j) en 2020. En tenant compte des découvertes récentes dans la mer Caspienne, la production de l’ex-Union soviétique atteindra un maximum de 10 millions de b/j en 2010.
Les perspectives pétrolières de l’OPEP, de l’ex-Union soviétique et des principaux autres pays producteurs – ils sont une quarantaine – annoncent au total un pic de 85 millions de b/j environ, qui sera atteint entre 2010 et 2020.
Il faut y ajouter le pétrole non conventionnel et d’autres dérivés dont la commercialisation sera devenue rentable grâce à la hausse du prix d’une ressource de plus en plus rare. Il s’agit du pétrole issu du charbon et des schistes, du bitume ainsi que des dérivés synthétiques, du pétrole lourd et extralourd, du pétrole polaire et des liquides issus des champs gaziers. Ces sources complémentaires d’énergie pourraient fournir quelque 20 millions de b/j. Au total, entre 2010 et 2020, le monde entier pourra disposer d’environ 100-110 millions de b/j, contre 75 millions en 2004.
Mais, compte tenu du développement à marche forcée de la Chine, de l’Inde, du Brésil et d’autres pays, la demande, elle, sera de 150-160 millions de b/j.
Le « gap » prévisible est énorme : 50 millions de b/j ; et la pénurie de pétrole sera une réalité dès 2015, peut-être même avant.
Si le monde continue sur sa lancée et consomme toujours plus de pétrole, on verra des guerres éclater pour mettre la main, par la force militaire, sur les réserves existantes.
En un mot comme en mille, d’ici à dix ans, la demande de pétrole sera nettement plus forte que l’offre et le prix de cette source d’énergie sera sans aucun doute beaucoup plus élevé.

C’est la raison principale pour laquelle les États-Unis se sont lancés dans la guerre d’Irak, ont entrepris de contrôler la Libye et les autres pays africains producteurs de pétrole. Leur politique vis-à-vis du Mexique, du Venezuela, de la Russie, de l’Indonésie, de l’Arabie saoudite, de l’Iran, de l’Algérie, des émirats du Golfe, du Soudan procède de la même analyse, suit le même « fil d’Ariane ».
L’hyperpuissance s’est donné pour objectif stratégique de s’assurer le meilleur accès aux sources mondiales du pétrole et, d’une pierre, elle fait trois coups : elle agit sur le prix du baril pour qu’il n’échappe pas à tout contrôle, assure son propre approvisionnement en pétrole et gaz – et contrôle celui des autres grands consommateurs-importateurs : l’Europe, le Japon, la Chine, l’Inde… qui se trouvent être ses principaux concurrents (et possibles challengers).

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