Espoir en Kabylie

Un protocole d’accord a été conclu entre le chef du gouvernement et les représentants du mouvement protestataire. La fin de la crise ?

Publié le 16 janvier 2004 Lecture : 4 minutes.

Un climat de quasi-insurrection, une centaine de victimes, des milliers de blessés, plusieurs centaines de millions de dollars de dégâts – et de manque à gagner pour les opérateurs économiques de la région. Tel est le bilan de la crise qui secoue la Kabylie depuis trente-deux mois. Le 6 janvier, à l’issue de discussions-marathons, un protocole d’accord a été conclu entre Ahmed Ouyahia, le chef du gouvernement, et les représentants du mouvement contestataire. Bref rappel des faits.
Le conflit kabyle est né d’une simple bavure policière. Le 19 avril 2001, un lycéen nommé Massinissa Guermah est abattu par une rafale de kalachnikov dans la cour d’une brigade de gendarmerie, à Béni Douala. La réaction de la population, réputée frondeuse et en quête de reconnaissance identitaire, est violente. Et la gestion de la crise par les autorités, catastrophique. Le président Abdelaziz Bouteflika propose au Parlement un amendement constitutionnel reconnaissant le tamazight (la langue berbère) en tant que langue nationale, mais la rue est loin, très loin de s’en contenter. La situation dégénère. Les jeunes émeutiers s’organisent, et des comités de villages et de tribus, les arouch (pluriel de arch, « tribu »), sont mis en place afin de dresser une liste de revendications. Celle-ci sera baptisée « plate-forme d’El-Kseur », du nom de la localité où elle a été mise au point. Ladite plate-forme comporte quinze points « scellés et non négociables ».
Une tentative de dialogue s’engage entre les représentants des arouch et Ali Benflis, alors Premier ministre, mais la majorité des contestataires se désolidarise de ces émissaires. Les arouch regrettent par ailleurs qu’Ali Benflis n’ait pas les coudées franches pour négocier. De nouveau, c’est l’impasse. Les manifestations reprennent, mais la répression se fait moins violente : les forces de l’ordre ne tirent plus à balles réelles. Le nombre des détenus croît, en revanche, de manière exponentielle. Peu à peu, la Kabylie se marginalise par rapport au reste du pays. Les législatives de mai 2002 et les municipales de mois d’octobre suivant se déroulent dans une ambiance d’anarchie. Le quorum de participation au vote n’étant pas atteint, la région n’a pas de députés à l’Assemblée nationale (la Chambre basse du Parlement). Quant aux vainqueurs des municipales, ils sont considérés par les arouch comme des « élus indus ».
Le 5 mai 2003, Ali Benflis est limogé. Lors de la présentation de son programme de politique générale à l’Assemblée nationale, Ahmed Ouyahia, son successeur, étonne en prononçant une partie de son discours en tamazight. Pour inviter les arouch au dialogue. C’est la première fois depuis l’indépendance que la langue kabyle est utilisée à la tribune de l’Assemblée.
Bien entendu, Ouyahia est kabyle. Mais il est surtout habile négociateur. En 1992, c’est lui qui supervisa l’accord de paix entre le gouvernement malien et les rebelles de l’Azawad. Deux ans plus tard, en Kabylie, il parviendra à régler à l’amiable la « crise du cartable ». Lycéens et étudiants s’étant mis en grève pour que le tamazight soit enseigné à l’école, il prendra en marche le train de la négociation et parviendra à convaincre les grévistes de regagner les salles de cours. Il était à l’époque le directeur de cabinet du président Liamine Zéroual. Et le rédacteur de ses discours. C’est lui qui mettra dans la bouche du chef de l’État ces mots restés célèbres : « Nous sommes tous des Amazigh [Berbères] arabisés par l’islam. » Ce qui était une petite révolution.
L’offre de dialogue lancée en mai 2003 par Ouyahia est diversement reçue par des arouch de plus en plus divisés. Pour une raison essentielle : les partis traditionnellement bien implantés en Kabylie, notamment le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Sadi, et le Front des forces socialistes (FFS) d’Hocine Aït Ahmed n’ont pas vraiment apprécié d’être tenus à l’écart par les arouch et s’efforcent de récupérer le « mouvement citoyen ». Avec un succès mitigé. Le RCD parvient quand même à infiltrer l’aile « dure » des arouch, celle qui refuse tout dialogue avec le gouvernement. Du coup, le FFS se retrouve en porte-à-faux. En octobre 2002, passant outre à la consigne de boycottage lancée par les arouch, il décide de participer aux élections locales. Les « élus indus » sont, dans leur écrasante majorité, issus de ce parti.
Otage du conflit entre les « nihilistes » et les partisans du dialogue, la population kabyle finit par se lasser. Trop de manoeuvres dilatoires, de déclarations contradictoires… Le pourrissement de la situation marginalise un peu plus la région. Après d’interminables conciliabules, une délégation de onze personnes est constituée pour rencontrer le Premier ministre, le 3 janvier. À l’ordre du jour des discussions : les six « incidences » de la crise (voir ci-contre). En d’autres termes, les délégués entendent au préalable régler les conséquences de la crise avant d’aborder la question de fond : la mise en oeuvre de la plate-forme d’El-Kseur.
Après cinquante heures de pourparlers non stop, les deux parties mettent au point un protocole d’accord. Le gouvernement s’engage à régler dans l’immédiat cinq « incidences » et à examiner ultérieurement la sixième : la dissolution des assemblées locales où siègent les « élus indus ». La question est délicate, explique Ouyahia, dans la mesure où elle implique un parti, le FFS, qui ne participe pas au gouvernement.
Ledit FFS se retrouve dans une position inconfortable : lui qui se réclame à cor et à cri de la démocratie peut difficilement refuser de remettre en jeu des sièges acquis au terme d’élections controversées. Pourtant, il semble peu disposé à faire des concessions. « C’est un faux dialogue, mené avec de faux délégués en vue d’une fausse solution », estime-t-il dans un communiqué. Une position apparemment mal comprise par l’opinion.
Le succès d’Ouyahia est largement imputable aux mesures d’apaisement qu’il a eu le courage de prendre. Bien sûr, on peut estimer que la proximité de l’élection présidentielle n’y est pas étrangère, mais c’est assurément secondaire. L’essentiel n’est-il pas de parvenir au règlement définitif d’une crise qui n’a que trop duré ?

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