Caméra, stylo et canne à sucre

L’écrivain Barlen Pyamootoo réalise l’adaptation de son premier roman. Rencontre avec un cinéaste débutant.

Publié le 16 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

C’est une petite maison cubique aux murs blanchis à la chaux. Dans l’entrée, une minuscule bibliothèque d’acajou aux illustres locataires (Joyce, Kafka, Dostoïevski, Beckett, Naipaul), deux fauteuils. Sur une table basse, un jeu d’échecs côtoie une poignée de cassettes vidéo : L’Insoumis, du Bengali Satyajit Ray, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Citizen Kane, Meurtre d’un bookmaker chinois… La simplicité de l’installation comme l’éclectisme de l’assemblage : tout ici évoque le désordre d’une maison de campagne, clone modeste de ces campements où, depuis le début du siècle dernier, les grandes familles mauriciennes installent leur tribu au plus fort des chaleurs de l’été austral. C’est ici, à Trou-d’Eau-Douce, que Barlen Pyamootoo se retirait quand, journaliste à L’Express (l’un des deux grands quotidiens du pays), il prenait quelques semaines de congés pour se consacrer à l’écriture. Ici qu’il a écrit ses deux romans, Bénarès et Le Tour de Babylone, et ici qu’il reviendra travailler sitôt qu’aura été donné le dernier tour de manivelle du film adapté du premier.
Devant une tasse de thé, tandis que se déploient les harmoniques du Concerto d’Aranjuez, Pyamootoo évoque ses affres de réalisateur débutant, le poids économique du projet, les intérêts en jeu, mais aussi la recherche fébrile d’une adéquation entre le projet initial, tel qu’il l’a conçu, et sa matérialisation. Faire son deuil d’une scène, transformer les roses du scénario en parterre de géraniums, une brune boulotte en blonde replète, sans jamais sacrifier à l’essentiel : ces contraintes sont cruciales, elles sont l’aiguillon et la torture du cinéaste, sa récompense aussi. « Quand on écrit un livre, tout dépend de soi, on peut être écrasé par la solitude. À force de répéter trois cents fois le même mot dans sa tête, on peut devenir fou. Là, j’ai une équipe avec moi. Parfois quand j’entends tel ou tel chef de poste parler du film, c’est extraordinaire pour moi. Quand on travaille avec des professionnels, il faut leur faire confiance. Ce qui ne veut pas dire, évidemment, que je suis d’accord sur tout. Quand j’ai écrit Bénarès, j’avais presque envie de l’envoyer à un producteur, mais je me suis dit que la première chose à faire, c’était de passer par mon école : celle de la littérature. Mais plutôt que de m’atteler à mon troisième roman, je vais peut-être écrire un scénario. »
En bonne logique, c’est donc aux comédiens que Pyamoooto consacre le plus de temps : visionnage collectif des rushes, répétitions, critiques et recritiques jusqu’à obtenir l’inflexion exacte, le phrasé si particulier de Bénarès, dont les dialogues ont été traduits du français au créole. La forme est indissociable du fond, le rythme renforce le pouvoir d’évocation des mots : « Quand je termine un paragraphe, je le récite. Je veux du mouvement, une variation douce et permanente, comme si chaque scène était un tableau mouvant. Le Concerto d’Aranjuez, c’est la musique qui m’a porté quand j’écrivais. Et quand au crépuscule, Nad [le narrateur, NDLR] se met à parler de la Bénarès indienne, c’est ce rythme-là que je veux, pour ce qu’il évoque, les plaines, cette immensité qui frappe, ici, dès que les cannes à sucre sont coupées. Tout cela passe par le phrasé des comédiens, mais aussi par des gestes : quand Mayi marche en mettant sa veste, quand un vieux Chinois s’évente dans la salle de mah-jong. Et surtout le pick-up, qui est pour moi la signification même du mouvement. Mon idéal filmique, ce serait ça : que tout soit pris dans le même mouvement… »

Bénarès, éditions de l’Olivier, 90 pp., 8 euros ; Le Tour de Babylone, éditions de l’Olivier, 106 pp., 11 euros.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires