[Tribune] Coronavirus : et si les États africains devaient un jour rendre des comptes ?
Selon Roger-Claude Liwanga, chercheur à l’université Harvard, les États africains pourraient un jour être poursuivis en justice par leurs propres populations s’ils s’avéraient incapables d’apporter une réponse à l’épidémie de Covid-19.
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Roger-Claude Liwanga
Chercheur à l’université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l’université Emory.
Publié le 28 avril 2020 Lecture : 2 minutes.
Il est difficile de se projeter dans l’après-coronavirus, sans doute est-il encore trop tôt. Mais il n’est pas exclu de penser que plusieurs États africains seront un jour poursuivis devant les instances judiciaires régionales par leurs propres populations pour n’avoir pas su leur apporter une assistance médicale adéquate pendant l’épidémie.
À ce jour, presque tous les pays africains sont touchés par le Covid-19, et le manque de tests tout comme l’insuffisance des capacités de prise en charge dans les hôpitaux nourrissent l’inquiétude. L’OMS a déjà prévenu les pays du continent qu’ils devaient se préparer au pire, soulignant la vulnérabilité de leur système de santé. Les soignants sont sous-équipés, a-t-elle ajouté, et en nombre très insuffisant (il y a en moyenne deux professionnels de santé pour 1 000 habitants en Afrique).
Ce constat, fait bien avant le début de la pandémie, amène plusieurs questions : les États du continent pourront-ils avoir à rendre des comptes et à répondre de leur impréparation ? L’hypothèse est moins farfelue qu’elle n’y paraît.
Droit à la santé
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ne stipule-t-elle pas, dans son article 16, que « les États parties s’engagent à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs populations et de leur assurer l’assistance médicale en cas de maladie » ? Ne leur impose-t-elle pas de construire les infrastructures de santé publique dignes de ce nom et de former suffisamment les personnels médicaux ?
Bien sûr, s’ils sont un jour sommés de se justifier devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), certains États soutiendront que le droit à la santé a un caractère progressif, dont la réalisation dépend des ressources disponibles. L’argument est plausible.
Mais comment un pays dont la croissance a été portée par l’exportation de pétrole ou de minerais a-t-il pu à ce point manquer de ressources pour bâtir des hôpitaux décents ? Comment un pays qui a reçu des dons de médicaments ou d’appareils médicaux peut-il ne pas être en mesure de soigner sa propre population ?
Souvenons-nous que, en 2016, la Sierra Leone avait été poursuivie devant la Cour de justice de la Cedeao pour avoir mal utilisé les fonds que lui avait accordés la communauté internationale pour lutter contre le virus Ebola. Souvenons-nous aussi qu’avant que la CADHP ne devienne opérationnelle, en 2006, le Nigeria et la Gambie ont été condamnés par la Commission africaine des droits de l’homme, respectivement en 2001 et 2003, pour violation du droit à la santé de leur population.
Transparence et égalité d’accès aux soins
Les pays africains ne pourront pas rebâtir, en quelques semaines et dans l’urgence, des systèmes de santé qu’ils ont si longtemps délaissés. À cet égard, il est trop tard. Mais il est encore temps de tirer les leçons de la séquence actuelle et de réinvestir un secteur sinistré.
Il est également impératif que nos gouvernants fassent preuve de plus de transparence dans la gestion des fonds alloués à la lutte contre le Covid-19, ne serait-ce que parce que, un jour, ils auront des comptes à rendre.
Au passage, ils devraient éviter toute discrimination ou tout favoritisme lors de l’administration du traitement aux patients, et communiquer efficacement pour empêcher la diffusion d’informations contradictoires et trompeuses sur le coronavirus. Parce que, de tout cela aussi, ils pourraient avoir à répondre.
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