Zizou Ier roi d’Algérie

Ex-star du football mondial, Zinedine Zidane n’était pas revenu dans le pays d’origine de ses parents depuis vingt ans. Du 11 au 15 décembre, il y a été accueilli par d’indescriptibles manifestations d’enthousiasme.

Publié le 19 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

« J’avais besoin de revenir sur la terre de mes ancêtres. J’ai retrouvé les sensations de mon enfance en Kabylie. La mer, le soleil, la saveur du pain traditionnel et du piment, la famille Tout cela était très important pour moi. Je suis fier d’être algérien. » Ainsi parlait Zinedine Zidane, au terme de sa visite en Algérie, du 11 au 15 décembre. Pour son premier voyage ici depuis vingt ans, l’ancien capitaine de l’équipe de France de football, championne du monde 1998, a reçu un accueil digne d’un chef d’État. C’est Abdelaziz Bouteflika en personne qui, au lendemain de la finale de la dernière Coupe du monde, en Allemagne, au mois de juillet, l’avait officiellement invité. Et c’est donc le service du protocole de la présidence qui a minutieusement mis au point le programme de la visite.
À Marseille, un avion privé a été mis à la disposition de « Zizou » et de son entourage : Smail, son père, Malika, sa mère, et Idir, le célèbre chanteur kabyle. À son arrivée à Alger, le groupe a été pris en charge par une armada de gardes du corps, puis, flanqué d’une forte escorte de motards, a gagné une somptueuse résidence d’État habituellement réservée aux responsables politiques étrangers. Déjeuner offert par le chef de l’État, dîners en compagnie de ministres et de hauts fonctionnaires, avion spécialement affrété pour une escapade à Béjaïa, remise de décoration, réception à l’ambassade de France et, bien sûr, gros titres de la presse locale Rien n’a été épargné pour faire du séjour de Zidane un événement exceptionnel. En comparaison, les visites de Thierry Breton, le ministre français des Finances, et de José Luis Rodriguez Zapatero, le président du gouvernement espagnol (voir encadré), sont presque passées inaperçues. « On s’attendait à une grande fête, mais il a eu droit à un véritable pèlerinage », s’émeut Henri Émile, l’ancien intendant de l’équipe de France, ami et confident de la star.
Prévue depuis plus deux ans, mais plusieurs fois reportée pour cause d’emploi du temps surchargé, la visite s’est déroulée au pas de course. À peine installé, ce lundi 11 décembre, le retraité des Bleus s’est engouffré dans une limousine blindée pour se rendre à Boumerdès, à l’est d’Alger – une région dévastée par un terrible tremblement de terre en mai 2003 (plus de deux mille victimes). Il y a inauguré une cantine scolaire, un hôpital pour enfants, un centre de santé, une unité de dépistage et de soins pour enfants inadaptés, et un centre d’urgence sociale. Le lendemain, marqué « à la culotte », comme disent les footballeurs, par une kyrielle de responsables et de journalistes, il a gagné Sidi Moussa, à l’ouest de la capitale cette fois, pour inspecter un centre sportif, puis visité un centre de pédiatrie à l’hôpital Mustapha, dans le centre d’Alger.
Mercredi, il était l’invité du président Bouteflika, qui lui a remis la médaille de l’Ordre national du mérite (Al-Athir), l’équivalent de la Légion d’honneur en France. Jeudi, Zidane s’est envolé pour Béjaïa, où il a visité deux hôpitaux avant de regagner Alger dans l’après-midi pour donner le coup d’envoi d’un match de football au stade du 5-Juillet, devant cent mille spectateurs. Vendredi 15, enfin, il a été accueilli en héros à Aguemoune, le village de son père accroché à une montagne de Kabylie, avant de regagner Marseille dans la soirée. Un véritable marathon.
Souriant et disponible, Zidane s’est plié de bonne grâce à tout. Aux contraintes imposées par un service d’ordre omniprésent, au harcèlement quasi permanent des photographes, aux sollicitations les plus fastidieuses « Si je suis ici, c’est pour le bonheur des enfants et pour d’autres choses encore », a-t-il déclaré devant un parterre de journalistes subjugués.
Connu pour ses engagements humanitaires et ses actions en faveur des enfants atteints de maladies graves, Zizou a profité de l’occasion pour s’assurer de visu de l’avancement de diverses opérations caritatives qu’il a contribué à lancer. Le 6 octobre 2003, à l’occasion d’un match de solidarité organisé entre l’équipe de France 98 et l’Olympique de Marseille, la Fondation de France avait récolté 935 000 euros. Une partie de cette somme a servi au financement de plusieurs projets en Algérie, notamment la construction d’une unité de dépistage et de soins pour enfants inadaptés, à Béni Amrane (80 km d’Alger). Président d’honneur de l’association « Les enfants du Sahara », Zidane participe également à un programme de fourniture de matériel informatique aux enfants de la région et envoie régulièrement des dons à des écoles et à des associations.
Toujours frondeurs, les Algérois apprécient, mais en profitent pour râler contre leurs riches concitoyens, sans doute moins charitables que l’ancien footballeur. « Zidane, qui n’a jamais vécu ici, fait ce que les milliardaires algériens se sont toujours bien gardés de faire : construire des hôpitaux, financer des écoles et, surtout, donner du bonheur aux enfants du bled », peste l’employé d’un grand hôtel.
Bravant l’imposant protocole, il n’a pas résisté à une petite partie de pousse-ballon avec des mômes qui n’en sont pas encore revenus d’avoir approché de si près leur idole. Pour éviter de pénibles séances d’autographes et de possibles bousculades, le prévoyant Henri Émile s’est chargé de distribuer des milliers de photos dédicacées par le maestro. « Quand je le vois, j’ai du mal à croire que c’est le même homme qui a donné un coup de tête au joueur italien en finale de la Coupe du monde, avant d’être expulsé du terrain. Maalich [« ce n’est pas grave »], il a vengé son honneur et celui de sa mère et de sa sur. C’est une question de nif [« dignité »], mon fils. Et l’on ne plaisante pas avec le nif », commente Ouardia, une sexagénaire qui a tenu à saluer chaudement Zidane au cours d’un cocktail à la résidence de l’ambassadeur de France. Pour dire la vérité, ce fameux « coup de boule » suscite chez tous les Algériens un sentiment de fierté plus ou moins affiché.
Quoi qu’il en soit, Zinedine Zidane a pu vérifier son indescriptible popularité dans son pays d’origine. Partout, il a été acclamé par des enfants scandant interminablement son nom (« Zizou ! Zizou ! ») en brandissant son portrait. La moindre de ses apparitions a suscité des bousculades. On a vu des responsables jouer des coudes comme des gosses pour prendre la pose à ses côtés ou mendier un autographe. Bref, Zidane a été couronné par la rue roi d’Algérie. « Les Algériens m’aiment, moi je les adore », a répondu la star.
Fou de joie d’avoir pu embrasser son idole lors de son passage à Boumerdès, un père de famille s’est tourné vers un ami : « Pour garder le parfum de Zizou, je ne me laverai pas le visage pendant une semaine », a-t-il soufflé, extatique.

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