Retour à la case départ

Ni Libreville ni Yaoundé n’ont encore réussi à finaliser la privatisation de leurs pavillons nationaux respectifs.

Publié le 20 décembre 2006 Lecture : 5 minutes.

L’Afrique centrale n’en finit pas de réorganiser son secteur aérien. Ni le Gabon ni le Cameroun n’ont encore réussi à privatiser leurs pavillons nationaux respectifs. À l’absence de réseau routier et ferroviaire inter-États s’ajoute la longue agonie des deux transporteurs aériens majeurs d’une sous-région en panne de moyens de communication. Camair et Air Gabon, qui contribuent à désenclaver la République centrafricaine et le Tchad, offrent également une solution de rechange aux Congolais et aux Équatoguinéens, méfiants à l’égard des petites compagnies aux avions vétustes. L’alternative de la compagnie régionale Air Cemac, filiale de la Royal Air Maroc (RAM), a fait long feu : les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) devaient lui céder les droits de trafic à l’international et lui accorder l’exclusivité des droits aériens pendant une dizaine d’années. Les réticences camerounaises et le lancement de Toumaï Air Tchad ont fini par plomber le dossier. Les Marocains pensaient se consoler avec la reprise d’Air Gabon. En vain.
Après un mariage célébré en grande pompe et quelques mois de cohabitation, c’est le divorce entre la RAM et l’État gabonais. Aux termes de l’accord signé le 24 février par les deux parties, le lancement de la nouvelle compagnie avait été fixé au mois de juin. Différé à septembre par les Marocains, le décollage du premier avion battant pavillon Air Gabon International se faisait toujours attendre en octobre. Le gouvernement perd patience. Alexandre Barro Chambrier, ministre gabonais délégué à l’Économie et aux Privatisations, tranche le 27 octobre et déclare que le pacte d’actionnaires signé avec les Marocains est « caduc ».
En vérité, dès le départ, les deux parties ne s’entendent sur rien, ou presque. Après le changement intervenu à la tête de la compagnie chérifienne, la nouvelle équipe dirigée par Driss Benhima veut exercer un droit d’inventaire sur un dossier ficelé par son prédécesseur. L’évaluation de la santé financière d’Air Gabon leur semble sujette à caution. Avec son endettement estimé à 35 milliards de F CFA, des effectifs pléthoriques (1 100 salariés) et une flotte vieillissante, il y a des craintes que la reprise d’Air Gabon ne suive pas la même trajectoire que la success story d’Air Sénégal International. Prudence et petits pas, donc.
Côté gabonais, on s’agace de ces atermoiements. Et les pommes de discorde se multiplient. Question flotte, Libreville veut un Boeing 767 pour les long-courriers, mais les Marocains ne proposent qu’un 757. Pas plus conciliante sur le plan social, la RAM ne souhaite pas réembaucher plus de 350 employés malgré les pressions gabonaises. Chacune des parties à sa petite idée du montant du capital de départ : les Marocains proposent 7 milliards de F CFA. Les Gabonais exigent le double. Gourmande, la compagnie chérifienne revendique vingt ans d’exclusivité de droits de trafic à l’international, mais les Gabonais ne sont disposés à n’en concéder que douze. Le partenariat s’enlise, jusqu’à l’annonce de la rupture.
Pourtant, les dirigeants du transporteur marocain soutiennent que les négociations ne sont pas rompues. Et se disent prêts à associer des partenaires privés gabonais dans le cadre d’un nouveau tour de table. Mais le gouvernement gabonais a déjà la tête ailleurs. Une nouvelle compagnie, Gabon Airlines, semble tenir la corde. Dirigée par Christian Bongo, fils du chef de l’État, elle recherche un partenaire stratégique pour racheter 51 % du capital du transporteur national. Des contacts seraient en cours avec une major du ciel africain, Ethiopian Airlines.
Au Cameroun, la privatisation de la Camair n’est pas plus avancée. Bien malin celui qui saurait dire ce que mijote le gouvernement. Le consortium First Delta Air Service, désigné adjudicataire provisoire le 29 juin dernier, n’est plus sûr d’emporter le morceau. Il est constitué de la belge SN Brussels, associée à la société de capital-risque camerounaise Cenainvest, elle-même filiale d’Afriland, le groupe fondé par Paul Kammogne Fokam. « La balle est dans le camp du gouvernement camerounais », déclare Cédric Leurquin, chargé de la communication de SN Brussels. Mais le processus semble plus compromis que les Belges ne veulent le laisser croire. Plusieurs indices militent en faveur de cette thèse : le 11 septembre dernier, soit moins de trois mois après la désignation de SN Brussels comme adjudicataire provisoire, un décret signé par le président de la République crée Camair Co., dont le capital sera « augmenté et souscrit à hauteur de 51 % par un partenaire stratégique sélectionné par appel à la concurrence ». La décision prend tout le monde de court, d’autant que le texte ne fait aucune mention de l’adjudicataire provisoire, comme si le processus en cours était remis à plat.
Plus inquiétant pour les Belges, la presse camerounaise révèle, mi-octobre, l’entrée en force des Américains dans le dossier à travers United Airlines. L’ambassadeur des États-Unis à Yaoundé, dont la presse dit qu’il a été l’un des artisans du forcing auprès des autorités, se refuse à tout commentaire. Au comité technique des privatisations et des liquidations – le bras du ministère des Finances qui s’occupe de l’opération -, « on n’a jamais vu passer d’Américains ». L’administrateur provisoire de la compagnie, Paul Ngamo Hamani, « gère l’entreprise au quotidien, mais ne sait rien de la privatisation ». Personne ne veut s’avancer sur un dossier qui serait désormais géré par le Premier ministre lui-même, Ephraïm Inoni.
Plombée par de lourdes pertes consécutives à la crise du secteur aérien post-11 Septembre, United Airlines s’est placée sous la protection du chapitre XI de la loi fédérale américaine sur les faillites. De ce fait, ne pouvant se déployer elle-même, elle agirait à travers son partenaire, Valiant Airways Ltd. Officiellement, sur son site Internet, Valiant annonce l’ouverture d’une desserte sur Douala à partir de Houston pour le compte du pétrolier Halliburton.
Dans son offre relative à la reprise de la Camair, Valiant aurait un programme ambitieux : une flotte de neuf aéronefs, dont des Boeing 747-400 et 747-300. Un déploiement qui prévoit un vol quotidien sur Paris au lieu des trois vols hebdomadaires actuels. Elle envisage aussi d’ouvrir des vols hebdomadaires sur Londres, Bruxelles, Francfort, Rome. Outre Houston, elle entend créer des liaisons avec d’autres villes américaines pour capter les flux d’hommes d’affaires américains qui ont des intérêts au Cameroun et plus largement dans le golfe de Guinée.
Elle-même associée au cabinet d’enquête international Kroll, Valiant Airways pourrait bien partir à la chasse aux actifs non recouvrés de la Camair. Un recouvrement qui serait de nature à réduire la dette de la compagnie, évaluée à 75 milliards de F CFA et dont une bonne partie est tenue pour fictive par des experts-comptables proches du dossier. Plusieurs procédures en instance devant des juridictions camerounaises et le tribunal de commerce de Paris accréditent cette thèse. En attendant, si la volte-face du gouvernement venait à se confirmer, elle retarderait davantage une privatisation engagée il y a une dizaine d’années.

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