Tunisair navigue à vue
Prise en otage par les mouvements sociaux, la compagnie tunisienne accueille un nouveau staff dirigeant. Mais beaucoup doutent de sa capacité à redresser la firme.
L’information était très attendue. Salwa Sghaier prend officiellement le poste de PDG de Tunisair, remplaçant ainsi Rabeh Jrad, chassé de la compagnie par ses propres employés. La nouvelle venue n’est pas spécialement connue pour son expertise dans le secteur aérien. En effet, elle officiait en tant que directrice générale des entreprises au ministère de l’Industrie. Pourra-t-elle alors sortir Tunisair du gouffre ? Beaucoup en doutent.
Situation catastrophique
La situation de la compagnie nationale n’a jamais été aussi catastrophique qu’aujourd’hui : des effectifs deux fois plus nombreux que la norme, une flotte qui a du mal à se renouveler, une gouvernance archaïque, un plan de redressement mort-né et des déficits cumulés avoisinant 400 millions de dinars (180 millions d’euros)…
>>> Lire aussi : Tunisair, entre turbulences et redressement
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, les autorités tunisiennes s’apprêtent à ouvrir leur ciel à l’Union européenne, signant la fin de tout espoir de relance de la compagnie nationale. « Tunisair ferait mieux de se déclarer en faillite et de transférer ses actifs à une nouvelle compagnie, comme les Italiens l’ont fait pour sauver Alitalia… », lance Kais Kriaa, analyste financier chez AlphaMena. Cette société tunisienne de recherche et d’analyse valorise aujourd’hui le titre de la compagnie, cotée à la Bourse de Tunis, à 0,84 dinar. Soit 85 % de moins que sa valeur actuelle (1,54 dinar) et trois fois moins que son cours d’il y a cinq ans. « Tunisair ne vaut plus rien aujourd’hui. Sa capitalisation boursière dépasse à peine 125 millions de dinars. C’est ridicule », assène l’analyste. Une situation de crise qui fait suite à une série de mauvaises décisions de gestion.
Grève
Le 18 janvier 2011, quatre jours à peine après la révolution tunisienne, les employés des filiales de Tunisair (handling, catering, et maintenance) entament une grève. Leurs revendications sont vite acceptées : plus de 3 000 salariés des filiales sont intégrés dans la compagnie aérienne dès le 3 février, leurs salaires sont alignés (à la hausse) sur le reste des employés du groupe. Si le pays évite la paralysie, pour Tunisair, la décision est mortelle. Le nombre de salariés explose à près de 8 500, soit 230 personnes par avion. Loin des 170 employés en moyenne dans les autres compagnies aériennes. Dès 2011, les charges salariales passent à 240 millions de dinars, contre 190 millions un an auparavant.
Dans le même temps, sous le coup de la baisse du tourisme, le trafic de Tunisair s’effondre de 40 %. Une situation qui se poursuit aujourd’hui, avec la perte de plus de 1 million de touristes depuis le début du Printemps arabe. Résultat : la marge d’Ebitda (revenus avant intérêts, impôts, dotations et prévisions) de la compagnie s’est réduite à 2,1 % en 2011 puis à 1,5 % fin 2013. En 2010, elle était de 12,2 %, « l’une des meilleures du secteur du transport aérien dans le monde », signale Kais Kriaa.
Pour aller plus loin :
Tunisair abandonnée par l’Etat ?
Mauritania Airways : le rapport qui accuse Tunisair
Tunisie : ralentissement de la croissance au premier trimestre 2014
Erreurs
Tunisair paie aussi les conséquences de décisions prises avant la révolution. L’exemple le plus édifiant est celui des deux avions présidentiels achetés en 1999 et en 2009. Le premier est un Boeing 737 acquis à 292 millions de dinars. Le second, un Airbus 340 acheté 425 millions de dinars, selon les données communiquées par la compagnie. Les deux appareils, financés par endettement, ne servent plus à rien.
Pire encore, personne n’est intéressé par leur reprise, même à prix cassé. « Nous avons essayé et essayons toujours de les vendre, mais nous n’avons reçu pour l’instant aucune offre sérieuse », confie Khaled Chelly, directeur général adjoint de la compagnie. Autre exemple : le cas Mauritania Airways, une compagnie à laquelle Tunisair était associée à hauteur de 51 % et qui fit faillite en 2012. « Ce deal a été négocié au Palais, et Tunisair en paie aujourd’hui les pots cassés. L’ardoise dans nos comptes s’élève à plus de 50 millions de dinars », précise Khaled Chelly.
Inertie
Pour redresser la situation, Rabeh Jrad, l’ancien PDG de la compagnie, avait fait valider par le gouvernement, en avril 2014, un plan de sortie de crise. Au menu, le lancement d’une opération de départ volontaire de 1 700 salariés, une recapitalisation à l’horizon 2015, la fermeture des lignes déficitaires, l’annulation des dettes de la compagnie vis-à-vis de l’aviation civile… Un plan de restructuration drastique qui, après deux années de va-et-vient, a fini par recueillir l’adhésion des syndicats, du gouvernement et des actionnaires minoritaires, Air France en tête (la compagnie détient 5,6 % des parts). Mais rien ne garantit aujourd’hui sa bonne marche.
Khaled Chelly renvoie cette inertie décisionnelle à un problème de gouvernance. Mise sous la tutelle du ministère des Transports, Tunisair ne dispose d’aucune autonomie de gestion. « Pour acheter un menu, nous avons besoin de passer par une commission des marchés. Pour nommer un dirigeant, il faut l’aval du chef du gouvernement. Pour le déplacement d’un directeur, il faut le visa du ministère de tutelle. Et cela peut prendre de quinze à trente jours… Difficile de gérer une compagnie dans ces conditions », s’alarme le directeur général adjoint.
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