Orientalisme sérénissime

Retour sur l’âge d’or des relations entre Venise et le monde arabo-musulman.

Publié le 20 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Dans les salles feutrées de l’Institut du monde arabe, à Paris, se joue une étonnante partition culturelle. La mélodie aurait pu être signée Lully, dirigée par un chef d’orchestre ottoman et intitulée « Venise à la mode orientale ». Venise, cité marchande située entre Orient et Occident, a exercé pendant des siècles une suprématie économique et commerciale en Méditerranée. De 828, date de l’appropriation par les Vénitiens des reliques de saint Marc rapportées d’Alexandrie, jusqu’à la chute de la République en 1797, la Sérénissime, comme on la surnomme, fut le partenaire privilégié des dynasties islamiques les plus puissantes d’Orient.
Mais c’est surtout entre le XIVe et le XVIIIe siècle que ses relations se sont renforcées avec Tyr, Constantinople, Byzance, Le Caire ou encore Alep. Une période féconde qui, bien que malmenée par les antagonismes et les péripéties de l’Histoire, fut également nourrie par des échanges où le savoir-faire des uns a influencé celui des autres. Et vice versa. Métaux incrustés, gobelets en verre ornés d’émaux et de fils d’or, textiles, tapis, tableaux, reliures en cuir ou encore plats en céramique, ce sont quelque 200 objets en provenance d’Italie qui agrémentent l’exposition. Magnifiés par un raffinement tout oriental, ces trésors témoignent de la transmission des techniques entre Venise et le Levant, mais aussi du talent de leurs artistes et artisans.
L’exposition s’ouvre sur La Réception des ambassadeurs vénitiens à Damas, magnifique tableau anonyme daté de 1511. L’uvre met en scène des diplomates vénitiens lors d’une audience dans la capitale syrienne, la destination favorite des marchands originaires de la Sérénissime. Un il peu averti n’y verra que des Syriens enturbannés déambulant devant les murs d’une ville musulmane, où l’on distingue, en arrière-plan, la Grande Mosquée omeyyade. En réalité, la toile redonne à Venise son éminente place dans l’histoire de la Méditerranée en livrant, par une abondance de détails, les clés de sa relation avec l’Orient : la puissance de son commerce, l’excellence de sa diplomatie, son rôle central dans la défense de Rome face à l’islam, ainsi que la fascination de ses commerçants et de ses oligarques pour la culture arabo-islamique. Ainsi, peut-on voir le baile, c’est-à-dire le représentant permanent de Venise à Damas, accompagné de patriciens venus rendre visite au vice-roi mamelouk de Damas. Il serait faux, cependant, de croire que l’échange entre Venise et l’Orient ne fonctionnait qu’à sens unique. Tel un jeu de miroirs, le Levant est allé, lui, chercher l’Europe par la porte vénitienne, la ville assumant parfaitement son rôle de cité carrefour. Sur les marchés orientaux de cette époque, on trouve des produits vénitiens à grande valeur ajoutée : draperies, cotonnades, tissus de soie, fourrures, métaux, armes, huiles, poissons salés, fromages, ou encore de l’artisanat européen haut de gamme : horlogerie, automates, lunetterie…
Avec « Venise et l’Orient », le visiteur retrouvera maintes illustrations de cet intérêt réciproque. À commencer par les délicats objets en verrerie des artisans de Murano dont la parfaite maîtrise de l’art du verre vient des matériaux, techniques et motifs empruntés au monde musulman. On pense, entre autres, au verre brisé qu’ils importent de Syrie pour le refondre, à l’émail, à la dorure et à l’adoption de motifs géométriques ou floraux typiquement orientaux. Au XVe siècle, ils avaient mis au point un verre d’une transparence incomparable qu’ils étaient seuls à pouvoir fabriquer. Après l’appropriation, l’exportation : passés maîtres dans cet art, les Vénitiens finissent par commercialiser la verrerie de Murano dans le monde arabo-musulman Avides de nouveaux savoirs, la Sérénissime empruntera d’autres techniques au Levant, notamment dans le domaine du cuir et des étoffes. L’art, la culture et l’imaginaire des Vénitiens se teinteront progressivement d’Orient après des siècles d’échanges, comme l’exposition s’attache à le faire découvrir.

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