2006 : Marrakech vise le monde

La sixième édition du Festival du film, qui s’est ­clôturée le 9 décembre 2006, a plus que jamais confirmé la vocation ­internationale de cette manifestation. Conséquence, le festival subit les attaques de ses concurrents.

Renaud de Rochebrune

Publié le 20 décembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Peu avant l’ouverture du Festival international du film de Marrakech (FIFM) début décembre, alors que débutait le Festival international du Caire, longtemps considéré comme le plus important du monde arabe, le responsable de celui-ci a tenu lors de son allocution inaugurale à minimiser l’importance de la manifestation marocaine, et même à s’en moquer quelque peu. En Tunisie, le mois précédent, on avait vivement regretté que le voisin marocain ait monopolisé la « première » de certains films au détriment des prestigieuses Journées cinématographiques de Carthage. Par ailleurs, juste après la clôture du FIFM devait être inaugurée la troisième édition du Festival de Dubaï, dont l’ambition est de concurrencer Marrakech – ses dirigeants ont dépensé des monceaux de dollars, dit-on, pour détourner vers leurs cieux deux stars indiennes qui étaient attendues dans la capitale touristique et cinématographique du royaume chérifien.

Cette série de récriminations ou de réactions vis-à-vis du FIFM – la liste n’est pas exhaustive – témoigne d’une évidence et d’un malentendu. L’évidence, c’est que le jeune festival marocain, né en 2001, a désormais conquis sa légitimité. Il s’est même affirmé comme un rendez-vous cinématographique important. Avec 4 000 accrédités officiels, 400 journalistes venus du monde entier, un programme éclectique et garanti sans censure, un jury qui ressemble à celui des plus grands festivals, des rétrospectives d’une ampleur impressionnante, de nombreuses stars, il est d’ores et déjà le plus important du monde arabe et du continent africain.

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Mais – et c’est là qu’il y a malentendu – ce résultat, qui doit beaucoup aux moyens importants mis en oeuvre par les organisateurs avec le soutien essentiel d’un cinéphile nommé Mohammed VI, doit se mesurer à l’aune non pas d’une rivalité régionale, mais de l’ambition affichée par les promoteurs du FIFM : il s’agit de « jouer dans la cour des grands », autrement dit de pouvoir se comparer à Berlin, Venise ou Locarno, voire à Cannes, le nec plus ultra des festivals. Comme le dit sans complexe Noureddine Saïl, vice-président de la Fondation du festival et directeur général du Centre cinématographique marocain, « nous avons placé la barre très haut ». Même si l’on peut déjà parler de réussite, comme le prouvent par exemple les huit pages spéciales consacrées cette année à la manifestation par la bible hollywoodienne du cinéma Variety, il reste cependant beaucoup de chemin à parcourir.

Le plus difficile sans doute, vu la concurrence à laquelle se livrent les festivals pour attirer en exclusivité des films de premier plan et des auteurs originaux, consiste à réunir chaque année une quinzaine de films de qualité et de préférence inédits. Le cru 2006, à cet égard, a semblé un peu inférieur à celui, remarquable, de 2005. Mais il a confirmé la volonté de la direction artistique de la manifestation de présenter des oeuvres fortes et inattendues de tous horizons (quatorze nationalités) et de rechercher des talents prometteurs.

Le palmarès n’en a témoigné qu’imparfaitement. Le jury a doublement couronné – Étoile d’or du meilleur film et meilleure interprétation masculine – Le Perroquet rouge, de l’Allemand Dominik Graf. S’il a pu paraître judicieux de saluer une cinématographie germanique en plein renouveau et une réalisation très « professionnelle » en récompensant cette belle histoire d’amour qui se passe à Berlin-Est au début des années 1960 sur fond de construction du « Mur de la honte », le jury n’a pas fait en l’occurrence un choix très audacieux. Le Prix de la meilleure interprétation féminine, revenue judicieusement à la belle Franco-Sénégalaise Fatou N’Diaye, héroïne d’Un dimanche à Kigali, autre histoire d’amour cette fois sur fond de génocide rwandais (cf. J.A. n° 2396), a également distingué un film dont le sujet est fort, mais la mise en scène assez classique. En revanche, le Prix du jury a été remis à un cinéaste roumain, Radu Muntean, qui a fait preuve d’une grande originalité avec Hirtia va fi albastra (« Le papier sera bleu »), qui évoque la chute de la dictature Ceaucescu à travers le parcours insolite de soldats désorientés par la tournure des événements.

Tout comme Bobby, un film « choral » d’Emilio Estevez sur la mort de Robert Kennedy au casting prestigieux (Sharon Stone, Demi Moore, Harry Belafonte, etc.), ces longs-métrages au contenu très politique prouvaient bien qu’à Marrakech, derrière les paillettes et les célébrités, on se préoccupe aussi de montrer des oeuvres, qui, au-delà de leurs qualités esthétiques, font réfléchir. Dans un registre moins « engagé », on peut signaler également parmi les films marquants de la compétition le très beau long-métrage brésilien d’Andrucha Washington, La Maison de sable (trois femmes de trois générations luttent contre les forces de la nature dans un paysage grandiose d’une région isolée du nord du Brésil), ou l’étrange film d’apprentissage thaïlandais en noir et blanc de Songyos Sugmakanan, Le Pensionnat (une histoire mi-réaliste mi-fantastique racontée par un garçon de 12 ans envoyé en pension).
Dans la programmation hors compétition, grâce aux « coups de coeur » ainsi qu’aux rétrospectives et autres « hommages », les festivaliers et le public marocain – car l’ensemble des films sont projetés sur les divers écrans de la ville – ont pu voir quantité de films inédits et souvent très stimulants. Il était évidemment impossible, vu l’ampleur de la sélection (une cinquantaine de longs-métrages), de profiter pleinement de la richesse de la « Préférence italienne », parcourant cinquante ans de cinéma de la péninsule, commençant avec les chefs-d’oeuvre néoréalistes des années 1940 comme Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini ou Le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica, pour terminer par des films des années 2000, avec par exemple Le Sourire de ma mère de Marco Bellocchio ou La Chambre du fils de Nanni Moretti. Pour les amateurs de cinéma indien, très nombreux au Maroc, difficile de choisir parmi les vingt longs-métrages présentés soit dans le cadre de la section « Taj Mahal » soit à l’occasion de l’hommage rendu au couple mythique Ajay Devgan et Kajol Mukherjee-Devgan – cent films à eux deux !

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Cette sixième édition du FIFM a été l’occasion de découvrir certains films de deux acteurs, l’Américaine Susan Sarandon et le Marocain Mohamed Majd, ou la totalité de ceux de deux réalisateurs remarquables, l’Égyptien Tawfik Salah et le Chinois Jia Zhang-Ke, auxquels le Festival a rendu un hommage particulier. On aura pu ainsi découvrir notamment l’imagination et l’humanisme peu communs dont faisait preuve Tawfik Salah dès son premier film, La Ruelle des fous, en 1955. De même, chaque soir, on pouvait se mêler à la foule sur la fameuse place Jemaa el-Fna pour vibrer à son unisson devant des films plus populaires projetés sur écran géant pendant que commerçants et charmeurs de serpent poursuivaient leurs activités.

Le socle sur lequel repose le festival au bout de sa sixième édition est donc déjà impressionnant. Suffisamment en tout cas pour promouvoir l’image du Maroc terre de cinéma. Le festival proprement dit ne représente en effet que l’un des trois défis liés au septième art qu’entend relever le royaume. Les deux autres ? D’une part, la consolidation d’un cinéma national aujourd’hui en plein essor ; d’autre part la multiplication des tournages de films étrangers dans le pays, importants fournisseurs de devises. La vitrine du FIFM ne peut qu’aider à réaliser ces objectifs.

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Voilà pourquoi il est essentiel que, loin de se reposer sur ses lauriers, le festival prenne encore de l’ampleur, affirme Noureddine Saïl. Il s’agit maintenant, tout en préservant l’aspect festif et people de la manifestation, utile à son retentissement, de consolider son contenu. Un effort encore plus soutenu devra donc être consacré à la programmation. Des initiatives comme celle consistant à créer un atelier de cinéma à l’usage de jeunes réalisateurs (au moins pour moitié marocains), déjà testée en 2005 sous le parrainage de Martin Scorsese, seront pérennisées – le réalisateur italo-américain a d’ailleurs donné son accord pour venir chaque année animer une telle entreprise. Enfin, les rétrospectives ou hommages pourraient à l’avenir être accompagnés de colloques ou de conférences.

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