Ma fille, cette islamiste
À travers le récit de la conversion de Claire à un islam radical, l’écrivain français Max Gallo dénonce le fanatisme. Le tout sur fond de polar haletant.
Max Gallo est un honnête homme, dans tous les sens du terme. Face à la question de l’islamisme, il s’efforce donc de comprendre, de faire la part des choses, d’adopter une attitude équilibrée. Mais Max Gallo est aussi un Méditerranéen, il a probablement du sang corse dans les veines et il lui arrive de se montrer fougueux et passionné. C’est pourquoi son dernier roman, qui se lit d’un trait, est un curieux mélange d’équanimité et de fureur contenue. On sent l’auteur excédé par l’arrogance des islamistes et leur intolérance ; on le devine ulcéré en tant qu’homme des Lumières par leur prétention à connaître la vérité, la solution aux problèmes de l’humanité, les fins dernières. Mais le romancier doit présenter objectivement leurs arguments et, ce faisant, il leur donne une certaine légitimité. C’est le dilemme de tout écrivain.
Cela dit, ce livre n’est pas un traité contre l’islamisme, ni contre le fanatisme en général, c’est d’abord un roman. Commençons donc par le lire comme tel. La trame en est aussi simple que prometteuse : Julien Nori, un professeur aux idées libérales et aux amours nombreuses, voltairien, un brin hédoniste, reçoit un jour le ciel sur la tête. Plus exactement, il reçoit une lettre de sa fille, Claire, dans laquelle celle-ci lui annonce qu’elle s’est convertie à l’islam. Elle n’y va pas par quatre chemins : « Je suis celle que Dieu a choisie pour te dire son mépris et ma haine. » Le lecteur sursaute. On ne parle pas comme ça à son père ! Mais il y a pire : dans la foulée, la jeune femme va devenir la quatrième épouse de Malek Akhban, prédicateur musulman mais aussi banquier à Genève et philanthrope tous azimuts. « Je ne me nomme plus Claire Nori, mais Aïsha Akhban. » À vos souhaits. Cerise sur le cadeau : elle traite son père de corrompu, de dépravé, de prédateur N’en jetez plus !
Quelques mois auparavant, quand Claire lui avait dit qu’elle était attirée par la civilisation arabe et qu’elle souhaitait aller en Angleterre étudier l’histoire de l’Orient, son professeur de père avait approuvé avec enthousiasme. Il avait immédiatement organisé un déjeuner avec son collègue titulaire de la chaire « Histoire du Moyen-Orient » pour donner un coup de pouce à sa fille. Bien entendu, il allait recommander celle-ci à ses collègues d’Oxford. En universitaire chevronné, le papa en était sans doute resté à Massignon, Miquel ou Rodinson : c’est très bien de s’intéresser, en orientaliste, à l’islam ou aux Arabes. De là à enfiler un burqa et à rejoindre le harem d’un poussah sexagénaire Les temps ont changé : aujourd’hui, l’islam est moins un sujet d’étude qu’un objet de fascination ou de répulsion. D’ailleurs, le professeur Nori s’intéresse lui aussi, à sa façon, à l’islam. Il est vrai qu’il présente les traits avenants d’une belle brune, Zuba Khadjar, qui veut travailler à une thèse sous sa direction. Le personnage de Zuba représente la musulmane éclairée et tolérante, le contrepoint de Claire-Aïsha (toujours ce souci d’équilibre de l’auteur).
Le premier choc passé (« j’ai d’abord capitulé devant ce Dieu et son Prophète, baissé la tête, accepté ma défaite »), Julien Nori laisse éclater sa colère, injustement, en s’en prenant à ses étudiants maghrébins en plein amphithéâtre :
– Robert de Sorbon n’était pas un musulman ! Ici, c’est encore une université française et j’y enseigne comme je l’entends. Lancez contre moi une fatwa, si vous le voulez !
Puis il se ressaisit et décide de « récupérer » sa fille. D’abord, il faut garder le contact. Puisqu’elle a rejoint son banquier de mari sur les bords du lac Léman, Nori va lui aussi s’installer à Genève, pour quelques mois sabbatiques à l’université. Entre un Albert Weissen, désabusé, lucide sur les dangers de l’islamisme, et des professeurs « compagnons de route », largement rémunérés pour leurs interventions dans des colloques sur « la dignité et le respect de l’Autre » ou « la reconnaissance des différences », Nori découvre toutes les ambiguïtés, les faux-semblants, l’hypocrisie du débat sur les religions. Quant à savoir s’il arrivera à extirper sa fille de la villa-bunker qui abrite le harem de Malek Akhban, on ne déflorera pas ici le dénouement de ce qui se présente, malgré tout, comme un roman policier.
Un mot, cependant, sur le style. Les Fanatiques est clairement un livre engagé. Mais on connaît l’avertissement de Sartre : « L’engagement ne doit en aucun cas faire oublier la littérature. » Max Gallo sait tout cela, bien sûr, mais il semble l’oublier, parfois, tant il paraît écrire dans l’urgence, au galop, l’il sur la pendule. Ainsi, il présente souvent des thèses, par ailleurs importantes et intéressantes, en les faisant « réciter » par des personnages à peine esquissés et qu’on ne revoit plus. Voici par exemple ce que lui dit son collègue Pierre Nagel : l’islamisme ne résistera pas à la globalisation déferlante et aux murs qu’elle véhicule. Il suffit d’attendre. La pilule, l’émancipation des femmes, le développement des classes moyennes relégueront un jour l’islamisme au rang des intégrismes obsolètes. En attendant, il faut se garder de confronter les musulmans ou de les humilier. En conséquence, et quoi qu’il nous en coûte, il faut accepter que les mosquées se multiplient ici alors que les églises sont interdites « là-bas », il faut respecter leur Prophète et leur Livre même si eux ne respectent pas nos valeurs, etc. La thèse, bien que connue, mérite d’être exposée, mais faut-il qu’elle le soit par un personnage sans épaisseur, qui ne suscite aucune émotion ?
Plus loin (p. 160), le narrateur explique une idée fondamentale de la façon suivante : « Si [l’exégèse] n’était pas concevable dès lors qu’on était un croyant, de quelle autorité disposerait l’infidèle qui s’aviserait de séparer, dans le Livre, ce qui relevait d’une vision de Dieu et ce qui était enraciné dans le sable [sic] de la réalité du moment ? Il m’a semblé, regardant ce gros volume posé devant moi, qu’il ne pouvait surgir, de la civilisation qu’il inspirait, ni Luther, ni Calvin, ni érudits critiques, fidèles à Dieu en même temps que savants, historiens ou philosophes. Peut-être était-ce là le piège qui s’était refermé sur le peuple des croyants. » Tout cela est stimulant et passionnant mais ce n’est plus du roman, c’est de l’essai. Et même dans un essai, si Gallo avait eu le temps de se relire, il aurait lui-même vu qu’il est difficile « d’enraciner » quoi que ce soit dans du sable. L’engagement – l’indignation ? – fait parfois oublier la littérature.
Mais peut-être avons-nous tort de pinailler. Roman et essai : on a deux livres pour le prix d’un. Après tout, tant mieux
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