La revanche de Gizenga

C’est le chef de file du Palu, ancien compagnon de Lumumba jusque-là abonné à l’exil et à l’opposition, qui devrait emménager à la primature. Portrait.

Publié le 20 décembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Quarante-cinq ans ! C’est le temps qu’aura attendu Antoine Gizenga pour revenir aux premières loges du pouvoir. C’est lui en effet que sa formation, le Parti lumumbiste unifié (Palu), conformément à un accord signé avec le camp présidentiel, a désigné pour occuper la primature. Le président élu Joseph Kabila en a été officiellement informé par courrier le 11 décembre. En accédant au poste de Premier ministre, le vieil opposant réalise un rêve qui date de septembre 1960 : « le retour à la souveraineté du peuple ». Une chance historique entrevue le 19 août dernier lorsque, contre toute attente, Gizenga se classe troisième à l’issue du premier tour de la présidentielle. Et se place dans la position d’arbitre entre Kabila, arrivé en tête, et Jean-Pierre Bemba, deuxième. Il n’hésite donc pas à tâter le terrain en prenant l’initiative de les rencontrer, le 30 août. Il commence par leur présenter ses « sincères félicitations ». Avant de les tancer pour les risques qu’ils font courir au pays en laissant leurs partisans recourir aux armes. Les deux challengeurs marquent le coup et promettent de ne pas recommencer. Gizenga, lui, marque des points. Face à l’opinion nationale, il apparaît comme le sage qui joue au pompier.
Et le voilà faiseur de roi après un long parcours. Car Antoine Gizenga c’est d’abord un parcours. Il est né en octobre 1925 à Mbanze, dans l’actuelle province de Bandundu (ouest de la RD Congo). Jeune, il pense à la prêtrise. Après des études au petit séminaire de Kinzambi, de 1939 à 1944, il entre au grand séminaire de Mayidi. Au terme de sa formation, en 1947, il ne portera pas la soutane. Pour gagner sa vie, Gizenga sera successivement, entre 1948 et 1959, caissier dans une agence de la Banque du Congo belge à Kikwit, dactylographe, employé dans une usine de placage de bois, sténodactylographe, instituteur à Léopoldville (Kinshasa)
Les « indigènes » ne peuvent espérer mieux. Puis, tout va très vite lorsque, en octobre 1958, les activités politiques sont autorisées. Gizenga se retrouve, dès l’année suivante, à la tête du Parti solidaire africain (PSA). En mai 1960, il croise sur son chemin un jeune homme de son âge qui a le vent en poupe : Patrice Lumumba, président du Mouvement national congolais (MNC). Ils sympathisent. À la suite des premières élections générales organisées dans la colonie belge, Gizenga est élu député. Un mois plus tard, le 30 juin, le Congo est indépendant. Le MNC, le PSA et d’autres partis constituent une majorité parlementaire qui permet à Lumumba de devenir Premier ministre. Gizenga est vice-Premier ministre.
Mais le 5 septembre 1960, la crise, qui éclate quarante-huit heures seulement après les cérémonies de l’indépendance, atteint des sommets : Lumumba est révoqué par le président Joseph Kasa-Vubu. Pour Gizenga, la « légalité » vient d’être violée. Il quitte la capitale en octobre, direction Stanleyville (Kisangani), fief du Premier ministre déchu. Son objectif : rétablir la légalité constitutionnelle. N’y parvenant pas, il engage des négociations avec le gouvernement central et se retrouve, en août 1961, premier vice-Premier ministre dans l’équipe de Cyrille Adoula. Révoqué en décembre, Gizenga sera arrêté en février 1962. Libéré en juin, il fonde deux mois plus tard le Parti lumumbiste, regroupement de plusieurs formations restées fidèles au leader du MNC.
D’octobre 1964 à novembre 1965, le chef du Palu est placé en résidence surveillée. Relâché par Mobutu, avec lequel l’entente s’avère difficile, il quitte le pays en février 1966. Première destination : Brazzaville. Ainsi commence un exil qui ne prendra fin qu’en février 1992. Principales étapes de ce long chemin de croix : Le Caire, Conakry, Moscou, Bamako, Bruxelles, Luanda et bon nombre de pays de l’ancien bloc communiste. Gizenga sera déclaré persona non grata en Suisse, et en France, d’où il sera expulsé vers l’Algérie. Et sera incarcéré à Brazzaville d’octobre 1984 à avril 1986.
L’ouverture démocratique du début des années 1990 le convainc de rentrer à Kinshasa. Si ses partisans lui réservent un accueil triomphal, il n’est pas l’homme le plus attendu. Le terrain est déjà occupé par Tshisekedi wa Mulumba. Gizenga en déroute plus d’un par ses silences pendant la Conférence nationale. Cela va durer des années. S’il est avare de sa parole, le chef de file du Palu n’a pas oublié pour autant l’ambition qui l’anime depuis la chute de Lumumba en 1960 : « restaurer la légitimité », « retrouver le projet initial des pères fondateurs ».
C’est au nom de cette ambition que se pose, en mai dernier, le problème de sa candidature à la présidentielle. Le comité exécutif national du Palu, qui a consulté « les structures de base », à défaut d’organiser un congrès, faute de moyens, estime que c’est le moment d’y aller. Ses arguments sont persuasifs : « Nous avons un million de militants, le peuple paupérisé, ceux qui n’ont rien à perdre, les plus misérables matériellement : fonctionnaires, enseignants. » Gizenga est donc candidat. Mais personne ne le verra battre campagne. Il préfère les courts messages à la radio et à la télévision, les tracts, les « affichettes payées par l’électorat » « Pour lui, les déclarations écrites sont plus importantes que la simple parole. Elles laissent une trace », d’après un cadre du Palu. De toute façon, le patriarche laisse son équipe parler à sa place.
Sa troisième place, ses 2,2 millions de voix et ses 34 députés nationaux suffisent amplement à Gizenga. Il réalise son poids sur l’échiquier politique. Kabila et Bemba aussi. C’est pourquoi, le 30 août, ceux-ci évoquent l’hypothèse d’une alliance pour le second tour. Rusé, Gizenga ne se montre pas pressé. Il se laisse désirer. À ses troupes, il a déjà donné des consignes claires : pas de précipitation, mais de la méthode. Des groupes de travail se constituent. Godefroid Mayobo, porte-parole du Palu, le représente. En septembre, les pourparlers avec l’un et l’autre camp ressemblent bien à un examen de passage. Les hommes de Gizenga insistent sur des points précis : les valeurs fondamentales que défendent les deux rescapés du premier tour, leur projet de société, leur attitude par rapport à la gestion du pays depuis 1960, la possibilité de dégager une majorité parlementaire, le rôle du Palu au gouvernement ou au Parlement Gizenga veut s’assurer que ceux qui recherchent son soutien ne se contenteront pas de lui proposer « deux ou trois postes, des rôles mineurs, rien qui lui permette de peser sur les affaires de l’État ». Le camp de Kabila répond favorablement : le Palu ne jouera pas les seconds rôles. Quant à celui de Bemba, il n’aurait rien proposé, selon Godefroid Mayobo. Les jeux sont faits.
Son alliance avec Kabila suscite commentaires et controverses, certains n’hésitant pas à affirmer qu’il aurait reçu une enveloppe. Ses collaborateurs restent perplexes : « Comment pouvons-nous nous laisser corrompre par quelqu’un qui nous donne la possibilité de faire aboutir notre longue lutte ? » D’aucuns voient dans son succès la conséquence de l’éclipse d’une autre grande figure de l’opposition : Tshisekedi. Quoi qu’il en soit, à 81 ans, Gizenga a atteint son but. Présenté par ses proches comme « un homme de gauche lumumbiste, sorti du moule du socialisme démocratique », il vit à Limete, l’un des quartiers résidentiels de Kinshasa, « dans la maison qu’il avait jadis achetée pour sa mère ». Sa vie est bien réglée : réveil à 5 heures du matin, petite séance de gymnastique « sauf en cas de maladie », petit déjeuner à 8 heures, avant de se mettre au travail. « Il lit tout ce qui lui est soumis, affirme un de ses collaborateurs. Il corrige les textes pour qu’ils restent conformes à la ligne. » Quand il réunit son équipe en comité restreint, « les travaux ont l’air de leçons ».
Remarié à Anne Mbuba, influente au sein du Palu, Gizenga, grand-père et arrière-grand-père, consacre un peu de temps à sa famille les week-ends. Et parle beaucoup des dures années d’exil et de l’histoire du Congo. « Il reste calme, mais grave quand il évoque tout cela, confie un proche. Il se montre sévère envers les anciens dirigeants, sans pour autant manifester la moindre rancur personnelle. » Dans son entourage, chacun, tout en affirmant que le patriarche a « encore des capacités », reconnaît néanmoins « les limites et les faiblesses liées à l’âge ». Mais il a déjà formé la relève et tout a été mis en uvre pour que cela ne se ressente pas dans son travail.
En tant que Premier ministre, il est perçu comme « celui qui conduira les autres jusqu’à l’orée de la forêt ». S’il a accepté cette fonction c’est, assure-t-on au Palu, parce que « le pays a besoin d’une autorité morale et politique, quelqu’un d’intègre ». Le plus dur commence.

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