La chaîne qui dérange

Financée par l’émir du Qatar, elle a dix ans et exerce une grande influence grâce à son professionnalisme et à sa liberté de ton. Voyage à l’intérieur d’une télévision pas comme les autres.

Publié le 19 décembre 2006 Lecture : 15 minutes.

Quand on lui demande de définir « l’identité » d’Al Jazeera English (AJE), la chaîne anglophone d’information en continu lancée le 15 novembre par le Qatar, le Jordanien Waddah Khanfar (37 ans) répond par une formule choc : « une langue occidentale avec un cur arabe ». Nommé en 2003 directeur général d’Al-Jazira, la « chaîne mère » (arabophone), Khanfar dirige depuis un an Al Jazeera Satellite Network (ASN), le groupe qui contrôle les deux chaînes. C’est lui qui a piloté de bout en bout le projet AJE et déployé des trésors d’ingéniosité pour convaincre Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, le souverain qatari, de lui laisser une totale autonomie. « Au début, l’émir a paru se rallier à ses arguments, raconte un journaliste. Et puis, la présence dans l’équipe rédactionnelle de plusieurs ressortissants britanniques l’a incité à maintenir sa tutelle sur la chaîne. » Le 1er novembre, lors d’une conférence de presse organisée à l’occasion du dixième anniversaire d’Al-Jazira, Khanfar a donc estimé que les deux chaînes auraient « la même âme ».

Dix ans, c’est évidemment l’heure du bilan. Celui de la chaîne qatarie est plus qu’honorable. En introduisant le débat pluraliste et la liberté d’expression dans le paysage audiovisuel arabe, elle s’est rapidement imposée comme le média le plus influent de la région. Au début, même les responsables américains ont salué l’événement. « Le succès de la chaîne auprès des téléspectateurs du Moyen-Orient prouve que les Arabes ont, eux aussi, soif de liberté », s’extasiait Thomas Friedman dans le New York Times. La lune de miel a vite tourné court. Dès le moment où Al-Jazira a entrepris de diffuser les messages d’Oussama Ben Laden et de montrer les victimes civiles des bombardements américains en Afghanistan et en Irak, l’enthousiasme s’est mué en suspicion, puis en condamnation.
Fin 2001, un missile américain pulvérise le bureau d’Al-Jazira à Kaboul, qui, par chance, est inoccupé à ce moment-là. Soupçonné de sympathie pour les talibans, le cameraman Sami el-Hadj est arrêté et transféré à Guantánamo, où il se trouve toujours. En toute illégalité, bien sûr (voir ci-après). « Bien que les Américains aient plaidé l’erreur, il n’y a aucun doute que l’attaque était préméditée », estime le journaliste britannique Robert Fisk, qui, deux ans plus tard, sera le témoin oculaire d’un autre raid américain contre Al-Jazira. Dans la capitale irakienne, cette fois. Tarek Ayoub, le patron du bureau local, trouvera la mort dans l’opération.
Dans The Independent du 26 novembre 2005, Fisk rapporte sa dernière conversation avec celui-ci :
« J’ai fait remarquer à Tarek que les Américains pouvaient aisément attaquer le bureau de Bagdad pour interrompre sa couverture des bombardements. Ne t’inquiète pas, Robert, m’a-t-il répondu. Pour éviter d’être pris pour cible, nous leur avons signalé l’emplacement exact de notre siège. »
Selon le quotidien britannique Daily Mirror, le président américain avait, le 16 avril 2004 à Washington, évoqué devant Tony Blair son intention de bombarder le siège d’Al-Jazira, à Doha. Quant à Donald Rumsfeld, l’ancien secrétaire à la Défense (écarté après la déroute électorale de son parti, le 7 novembre), il n’a jamais caché l’exaspération que lui inspirait la couverture « nocive, inexacte et inexcusable » des événements d’Irak par Al-Jazira. À l’en croire, les journalistes de la chaîne conduisaient des femmes et des enfants sur les lieux des bombardements de l’US Army afin de les présenter comme des victimes Ces accusations n’ont jamais été prouvées. De même, les responsables américains ne sont jamais parvenus à démontrer que les images des attaques contre leurs soldats étaient, comme ils l’affirment, tournées par des cameramen d’Al-Jazira et non par des combattants qui les faisaient parvenir anonymement à la direction de la chaîne.
Cela ne signifie évidemment pas que le travail d’Al-Jazira soit exempt de tout reproche. La présence récurrente d’islamistes radicaux dans ses talk-shows alimente forcément la suspicion. Et le traitement de faveur réservé à Ben Laden trahit, pour le moins, une certaine fascination pour le personnage. Certes, pour contrebalancer les imprécations des chefs d’al-Qaïda, la chaîne donne régulièrement la parole à des experts occidentaux de la lutte antiterroriste. On reproche aussi à Al-Jazira un certain goût pour le sensationnel, voire la provocation. On peut, par exemple, ne pas apprécier son choix de diffuser des images de massacres de civils. Mais quoi qu’on puisse penser de sa ligne éditoriale et des orientations politiques, réelles ou supposées, de ses journalistes, force est de reconnaître que la chaîne reste l’une des rares voix libres au Moyen-Orient.

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Al-Jazira, CNN, la BBC et les autres. Al-Jazira, c’est d’abord un logo calligraphié en caractères arabes dorés. Son nom signifie « île », ou « presqu’île », ou « péninsule », en référence à la péninsule Arabique. Sa devise – « L’opinion et l’opinion contraire » – entrecoupe ses programmes et trône dans un coin de sa salle de rédaction, à Doha, à côté d’un portrait grandeur nature de Tarek Ayoub, le martyr maison.

Depuis le 1er février 1999, la chaîne émet 24 heures sur 24, en arabe classique, grâce à trois satellites couvrant le Moyen-Orient, le Maghreb, l’Europe et l’Amérique du Nord. Disposant d’une douzaine de bureaux dans le monde arabe, mais aussi aux États-Unis, en Europe, en Iran, en Afghanistan, en Indonésie et en Russie, ainsi que d’une pléiade de correspondants et de consultants internationaux, elle emploie, au total, un peu plus de 2 000 salariés, dont un quart sont qataris.
Outre les talk-shows et les émissions d’information, la chaîne présente des revues de presse, des documentaires, ainsi que des programmes culturels et/ou éducatifs consacrés à l’histoire, à l’environnement, à la santé et aux nouvelles technologies. Quantité de ses programmes sont achetés à des chaînes étrangères, mais elle-même en produit un certain nombre. Quant aux émissions économiques et financières, elles s’accompagnent souvent de reportages réalisés en direct des Bourses de Londres et de New York.
Dès sa création, la chaîne s’est distinguée en confiant à une femme l’animation d’une émission sportive. C’était, à l’époque, une première dans le monde arabe. Depuis, d’autres lui ont emboîté le pas. Aujourd’hui, la vue de jeunes femmes interviewant des joueurs en short au bord d’un terrain ne choque plus grand monde. Pour ne pas abandonner la retransmission des grandes compétitions à ses concurrentes, celles notamment des bouquets saoudiens Orbit et ART, Al-Jazira a lancé, dès novembre 2003, une chaîne à péage consacrée au sport, qui diffuse en direct des matchs de football européens. Au début de cette année, elle a inauguré une chaîne pour enfants et travaille à la création d’une chaîne documentaire. Reste que les projets les plus prometteurs sont Al Jazeera English et Al-Jazira Dawlia, un quotidien panarabe qui devrait voir le jour l’an prochain. Quant au support virtuel de la chaîne, il a enregistré le 18 juillet un record de 6 millions de visiteurs en vingt-quatre heures. Selon Alexa Web Search, qui classe les sites en fonction de leur fréquentation, ?aljazeera.net occupe aujourd’hui le 290e rang mondial. Pas si mal pour un site en arabe – une langue qui ne compte « que » 300 millions de locuteurs.
Journalistes et présentateurs sont généralement basés au siège de la chaîne, à Doha. Les responsables des bureaux à l’étranger, les correspondants et les envoyés spéciaux transmettent des reportages vidéo préenregistrés, qui sont traités et enrichis avant d’être diffusés. La chaîne recourt aussi à des images achetées auprès des agences de presse internationales (Reuters, Associated Press, etc.) et des chaînes arabes. La publicité y est relativement rare : entre quarante et quarante-cinq minutes par jour, en moyenne, contre environ trois cents minutes pour CNN.
À première vue, les journalistes d’Al-Jazira ressemblent comme deux gouttes d’eau à leurs confrères de CNN, de la BBC ou de Fox News. Seules deux présentatrices portent le foulard islamique mais n’en sont pas moins fort gracieuses.
Bien sûr, Al-Jazira est confrontée à la concurrence d’Al-Arabiya, la chaîne d’information créée conjointement, en 2003, par plusieurs États moyen-orientaux et des hommes d’affaires saoudiens, libanais et koweïtiens pour contrecarrer son influence sur l’opinion, mais aussi d’autres chaînes satellitaires comme Abou Dhabi TV, ANN, ANB, Al-Mustakillah, Nile News et autres Al-Hurra (voir encadré). Si elle a perdu des parts d’audience au profit (notamment) d’Al-Arabiya, très populaire en Irak et en Arabie saoudite, la chaîne qatarie reste la plus regardée dans le monde arabe et dans la diaspora : elle revendique, au total, 40 millions de téléspectateurs par semaine. À terme, la chaîne d’information en arabe que la BBC devrait lancer l’an prochain pourrait se révéler sa concurrente la plus redoutable.
En visite d’État au Qatar au cours de l’été 2000, le président égyptien Hosni Moubarak avait visité le siège de la nouvelle télévision. Surpris par l’exiguïté de ses locaux, il s’était exclamé : « Quoi ! Toutes ces embrouilles viennent de cette boîte d’allumettes ? » Al-Jazira dispose aujourd’hui d’un siège beaucoup plus spacieux. Et les « embrouilles » sont loin d’avoir pris fin.

Grande vitrine pour petit pays. La superficie du Qatar ne dépasse guère celle d’un petit État américain comme le Connecticut. C’est un territoire désertique, coincé entre les deux puissances régionales : l’Arabie saoudite et l’Iran. Longtemps, il fut l’un des pays les plus pauvres du Moyen-Orient. En moins de vingt ans, il est devenu l’un des plus riches. Grâce au gaz naturel. Son revenu par habitant est aujourd’hui l’un des plus élevés au monde. Sur les 724 000 personnes qui y vivent, près de 500 000 sont des travailleurs immigrés venus du Pakistan, d’Inde, d’Égypte et d’ailleurs. Sans atteindre le niveau de développement de ses voisins, Dubaï ou Abou Dhabi, le Qatar s’est beaucoup transformé en dix ans. Avec ses larges avenues, ses tours de verre et d’acier et ses palaces de rêve, Doha, sa capitale, est méconnaissable.
L’émirat est dirigé par Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, qui, en 1995, a déposé Cheikh Khalifa, son père. Diplômé de l’Académie militaire britannique de Sandhurst, le nouvel émir s’est entouré de technocrates formés comme lui dans les universités anglo-saxonnes. Il a réduit le rôle de l’État, privatisé de nombreux secteurs (comme la poste) et instauré une nouvelle relation avec la presse. Son ambition : faire de la péninsule une sorte de Suisse arabe, neutre et prospère.
Le nouvel aéroport de Doha, en cours d’extension, aura une capacité d’accueil de 45 millions de passagers par an. C’est beaucoup pour un si petit pays, mais Cheikh Hamad voit l’avenir en grand, en très grand. Résolu à démocratiser quelque peu son régime, il a promulgué une nouvelle Constitution et mis en place un Majlis al-Choura, sorte de conseil consultatif dont les deux tiers des quarante-cinq membres sont élus. Surtout, il a créé Al-Jazira.

Leurs médias étant notoirement inféodés aux régimes en place, les Arabes avaient pris l’habitude de s’informer auprès des Occidentaux, notamment des radios émettant en arabe (RMC, BBC, La Voix de l’Amérique). Et les chaînes satellitaires créées après le lancement du satellite Arabsat, en 1985, n’avaient nullement changé la donne. Résolu à moderniser l’image de son pays et à contrebalancer la domination exercée par l’Arabie saoudite sur la presse écrite arabophone – par le biais notamment d’Al-Hayat et d’Acharq Al-Awsat, deux quotidiens édités à Londres -, Cheikh Hamad n’avait donc pas le choix : il lui fallait innover, prendre le contre-pied de tout ce qui s’était fait auparavant.
En signant, en février 1996, le décret portant création d’Al-Jazira, il ne s’est pas contenté d’insister sur l’indispensable indépendance de la nouvelle chaîne. Il a garanti la liberté de la presse par voie constitutionnelle, supprimé le ministère de l’Information et aboli la censure. Ce qui lui permet aujourd’hui d’opposer une fin de non-recevoir aux pressions exercées périodiquement sur lui par l’administration Bush.
Al-Jazira a commencé d’émettre le 1er novembre 1996. L’émir lui a octroyé une enveloppe initiale de 137 millions de dollars censée couvrir cinq années de fonctionnement, à charge pour la chaîne d’assurer ensuite son indépendance financière. Mais le plan de financement surestimait les recettes publicitaires et les ventes de programmes. Le paradoxe est en effet que la chaîne la plus regardée dans le monde arabe n’obtient qu’une très faible part de la manne publicitaire régionale (le manque à gagner est évalué entre 10 et 13 millions de dollars). La raison en est simple : la publicité est souvent utilisée comme un moyen de pression politique sur les médias. En empêchant les agences locales, pour la plupart basées à Dubaï et dépendant des donneurs d’ordres saoudiens, de lui acheter de l’espace, les régimes arabes cherchent à asphyxier financièrement Al-Jazira. De fait, avec des coûts de l’ordre de 25 millions de dollars par an et de faibles recettes provenant, pour l’essentiel, de la vente d’images exclusives filmées en Afghanistan, en Irak, dans les territoires palestiniens et, plus récemment, au Liban, les comptes de cette dernière restent dans le rouge.

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Une goutte d’eau dans le désert. La chaîne qatarie s’est constituée à partir d’un noyau de journalistes et de techniciens arabes formés à Londres, qui, entre 1994 et 1996, travaillèrent pour Arabic BBC News, une chaîne d’information créée conjointement par la société saoudienne Orbit, à Rome, et le BBC World Service. De sérieuses divergences sur la ligne éditoriale – notamment la couverture des affaires saoudiennes – finirent par provoquer, outre des incidents diplomatiques à répétition, la rupture de l’accord et la mort du « bébé ». En vingt mois d’existence, celui-ci avait pourtant conquis, par son indépendance et son professionnalisme, 10 millions de téléspectateurs. Sur les quelque 250 salariés restés sur le carreau, la moitié furent aussitôt embauchés par Al-Jazira.
La nouvelle chaîne a mis du temps à s’imposer et n’y est parvenue qu’en multipliant les coups d’éclat. Elle a été, par exemple, la première télévision arabe à donner la parole à des responsables israéliens, sachant parfaitement qu’elle allait choquer une partie de ses téléspectateurs.
Simultanément, Al-Jazira a été la première à donner la parole aux groupes radicaux. Et notamment, dès 1998, au cheikh Ahmed Yassine et à Abdelaziz Rantissi, les leaders du Hamas, assassinés l’un et l’autre par Israël, en 2004. L’ancien président tchétchène Aslan Maskhadov a été, lui aussi, souvent interviewé. De même que Mouammar Kadhafi, le « Guide » de la Jamahiriya libyenne, qui en a profité pour multiplier les appels du pied à l’adresse des États-Unis. En 1997, la chaîne a ouvert un bureau à Bagdad et noué des relations avec certains responsables baasistes. Contacts qui se révéleront très utiles quand, le 16 décembre 1998, les Américains lanceront contre l’Irak une série d’attaques aériennes. Al-Jazira sera la seule télévision étrangère à couvrir l’événement. En 2000, son directeur n’hésitera pas à se rendre en Irak pour rencontrer Ouddaï, le fils de Saddam Hussein, alors responsable des médias d’État. D’où les soupçons des Occidentaux concernant l’existence de liens occultes entre la chaîne et le régime baasiste.

La qualité et la liberté de ton de ses talk-shows, qui tranchent agréablement avec la langue de bois en vigueur sur les chaînes publiques, ont beaucoup contribué à accroître l’audience d’Al-Jazira. De même, en invitant les téléspectateurs à participer aux débats par téléphone, fax ou courriels et en organisant des sondages en temps réel, la chaîne est parvenue à établir un nouveau type de relation avec les téléspectateurs.
Animé depuis Londres par Sami Haddad, Akthar min ray (« Plus qu’une opinion ») est l’un des talk-shows les plus suivis. Bila houdoud (« Sans frontières »), un duel à fleurets mouchetés entre le présentateur, le flegmatique Égyptien Ahmed Mansour, et son invité, a également d’indéfectibles partisans, de même que Sirri Lil-Ghaya (« Top secret »), une émission d’investigation sur des sujets controversés, ou Hiwar Maftouh (« Débat ouvert »), du Tunisien Ghassan Ben Jeddou. Aujourd’hui suspendue, Li-Nisai Faqat (« Réservé aux femmes »), présentée par la Syrienne Luna Chibl, n’hésitait pas à aborder des sujets tabous, comme l’infidélité conjugale.
Mais l’émission phare reste Al-Ittijah Al-Mouâkis (« À contre-courant »), qu’anime le très provocateur Fayçal al-Qacim, un Syrien qui a étudié le théâtre au Royaume-Uni. Elle met face à face deux personnalités aux idées inconciliables. Par exemple, un opposant en exil et un responsable en poste dans son pays. Ou un intellectuel proaméricain et un fondamentaliste musulman. « Je cherche à détruire les icônes, à amener des personnalités politiques ou religieuses à se lâcher », explique Qacim, qui, à l’instar d’un Marc-Olivier Fogiel en France, n’aime rien tant que les débats houleux. Parfois, il prend ostensiblement le parti de l’un de ses invités, afin de susciter chez l’autre des réactions passionnées. Sur le plateau, il n’est pas rare d’entendre des injures bien senties à l’adresse de tel ou tel dirigeant : « laquais de l’Amérique », « despote », « corrompu » Vociférations, acclamations, menaces et insultes se succèdent. Bref, Al-Ittijah al-Mouâkis est le talk-show le plus populaire de l’histoire de la télévision arabe.
Apprécié par les uns, haï par les autres, Qacim est l’objet de tous les soupçons. Pour les islamistes, il est à la fois communiste, franc-maçon, sioniste et nationaliste arabe. Pour les libéraux, c’est un islamiste pur et dur. « J’ai été accusé de collaborer avec les services de renseignements de tous les pays du monde, à l’exception de ceux du Togo et du Burkina », ironise-t-il. À l’en croire, les innombrables courriels menaçants qu’il reçoit quotidiennement proviennent pour la plupart de services arabes. « Chaque matin, lorsque je mets le contact de ma voiture, je prie Dieu pour qu’elle n’explose pas », dit-il.

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Autre émission à succès : Al-chariâ wal-hayat (« La charia et la vie »), dont l’invité est souvent le théologien égyptien Youssef al-Qaradaoui, qui traite de tous les aspects de la vie quotidienne avec un franc-parler étonnant. Un jour, il a suscité l’indignation des milieux conservateurs en soutenant que la fellation ne contrevient en rien aux lois et à la morale islamiques. Ses fatwas, avis ou conseils sont très suivis par l’ensemble des musulmans, sunnites ou chiites. Ses émissions sont enregistrées sur cassettes vidéo, traduites et vendues dans le monde entier : de l’Indonésie au Pakistan ou à la Malaisie.
Ancien membre des Frères musulmans, emprisonné, torturé et interdit de prêche sous Nasser, Qaradaoui a quitté l’Égypte il y a bien longtemps. Depuis trente ans, il vit en exil au Qatar, où il enseigne à l’université et défend une conception « moderniste » de l’islam. En 2001, il a scandalisé en approuvant les musulmans américains qui combattaient al-Qaïda en Afghanistan. Mais, deux ans plus tard, il a condamné sans appel l’invasion de l’Irak et appelé au djihad contre l’occupant. Sa réputation en Occident a été définitivement ruinée par son soutien aux attentats-suicides en Palestine et en Irak.
Accusée d’être à la fois anti-israélienne et prosioniste, stipendiée par la CIA et par Ben Laden et inféodée à Bush et à Saddam Hussein, Al-Jazira n’a jamais été autorisée à ouvrir des bureaux en Arabie saoudite et en Tunisie. Dans d’autres pays, de l’Égypte au Maroc, en passant par la Jordanie, la Syrie, le Koweït, l’Algérie et la Libye, lesdits bureaux ont souvent été temporairement fermés. Fin octobre, Tunis a même rappelé son ambassadeur et fermé sa chancellerie à Doha pour protester contre les propos tenus à l’antenne par l’opposant Moncef Marzouki. Un peu plus tôt, Riyad avait fait de même. Les diplomates arabes encore présents à Doha passent leur temps à protester auprès des autorités. Off the record, tous admettent cependant que Al-Jazira fait du bon travail. Commentaire d’un journaliste : « Par leurs contradictions même, les accusations portées contre notre chaîne sont la preuve même de notre impartialité, de notre professionnalisme et de notre indépendance. » n
(Avec Abdallah Ben Ali)

À lire :
Al Jazeera : How the Free Arab News Network Scooped the World and Changed the Middle East, de Mohamed el-Nawawy et Adel Iskandar, Westview Press, Cambridge, 2002.
Al Jazeera : The Inside Story of the Arab News Channel that is Challenging the West, de Hugh Miles, Grove Press, New York, 2005.
Al Jazeera, de Hugh Miles, in Foreign Policy, juillet-août 2006.

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