Joseph Ki-Zerbo : honneur et respect
Deux éminentes personnalités évoquent le souvenir de l’historien burkinabè décédé le 4 décembre.
Il incarnait le rêve panafricain
Le décès du professeur Joseph Ki-Zerbo a suscité une grande émotion et un sentiment d’incommensurable perte en Afrique et dans le monde. Cette disparition a particulièrement affecté l’Unesco, car le professeur Ki-Zerbo a été pendant longtemps un fidèle compagnon de notre Organisation, qu’il a nourrie de sa sève intellectuelle. Il a été l’iroko à l’ombre duquel tant d’idées se sont échangées et de consensus intellectuels atteints.
En tant qu’historien, il a contribué, en ressuscitant et institutionnalisant une mémoire durable et apaisée, à empêcher l’amnésie de s’installer dans notre esprit et à éclairer notre présent des leçons du passé. La vision proactive de sa démarche historique a nourri un des plus grands projets intellectuels de l’Unesco : l’écriture d’une Histoire générale de l’Afrique en huit volumes. Le professeur Joseph Ki-Zerbo a été un membre actif du comité directeur du volume I, consacré à la méthodologie de l’histoire africaine, qui donne le ton et l’orientation générale de l’ensemble du projet. Il fut aussi codirecteur du volume IV, portant sur « l’Afrique du XIIe au XVIe siècle », période cruciale qui a précédé la tragédie de la traite transatlantique.
Le professeur Ki-Zerbo a également été un membre très actif et passionné de la Commission internationale de la nouvelle édition de l’Histoire de l’Humanité, pour laquelle il a rédigé plusieurs chapitres et a assuré la codirection du volume V, consacré à l’évolution de l’humanité du XVIe au XVIIIe siècle. Pédagogue, il a apporté une contribution remarquable à l’enseignement de l’histoire en formant plusieurs générations de chercheurs et d’enseignants, non seulement en histoire de l’Afrique, mais aussi en histoire générale. Il a été l’initiateur et le premier secrétaire général du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) ainsi que le fondateur du Centre de recherche pour le développement endogène (CRDE).
L’Unesco ne pourra jamais oublier que le professeur Joseph Ki-Zerbo fut également un membre respecté et écouté de son Conseil exécutif. Ses interventions, marquées par une grande érudition, une recherche du consensus et par une vision progressiste des réalités sociales, ont très souvent servi de socle à des décisions qui ont permis une prise en compte éclairée des identités culturelles des nouvelles nations qui émergeaient du système colonial.
J’ai eu le plaisir de rencontrer le professeur Ki-Zerbo à plusieurs reprises. À chaque rencontre, j’ai pu apprécier combien il arrivait à réconcilier la rigueur de l’homme de science et l’engagement de l’homme politique qu’il fut tout à la fois. Il avait su placer toutes ses actions sous l’angle de la responsabilisation des Africains face à leur devenir historique en promouvant un développement endogène fondé sur une véritable autonomie intellectuelle. Cette préoccupation est au cur de son uvre et notamment de son ouvrage La Natte des autres, au titre ô combien évocateur, publié en 1991 et dans lequel il réaffirme avec force la nécessaire prise en charge par l’Afrique de sa propre destinée.
Le professeur Ki-Zerbo appartient sans aucun doute à cette lignée de pionniers qui imprime sa marque sur la trajectoire de leurs peuples. Il était l’incarnation du rêve panafricain et symbolisait la fidélité aux idéaux et la persévérance dans l’action. Rendre hommage au professeur Joseph Ki-Zerbo, c’est honorer une existence au cours de laquelle le militant politique et le défenseur des droits de l’homme côtoient l’avocat du droit d’informer par le mot et l’image ; c’est honorer un engagement intellectuel et moral où le panafricanisme s’allie aux valeurs de l’universel.
Le professeur Joseph Ki-Zerbo nous quitte au moment où s’achève le cycle de célébration du centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor et à la veille de la commémoration du centenaire de la mort du roi Béhanzin, deux figures emblématiques et complémentaires de l’engagement intellectuel et militant africain. Associer son souvenir à ces deux figures historiques, n’est-ce pas là le plus bel hommage que l’on puisse rendre à cet homme dont la vie et l’uvre ont marqué tant de générations d’Africains ?
Je souhaite dire à sa famille, à son pays, à l’Afrique tout entière, dont je partage la peine, que l’uvre des grands hommes leur survit et que la pensée et l’exemple du professeur Ki-Zerbo continueront longtemps à nourrir notre vision et notre action en faveur de développement durable et endogène du continent africain.
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