De la medersa à l’amphi

Attendu depuis plus de vingt ans, le premier haut lieu d’enseignement scientifique de la religion musulmane pourrait voir le jour à Strasbourg.

Publié le 19 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Une université de théologie musulmane verra-t-elle le jour en Alsace ? C’était en tout cas l’un des objectifs du colloque « Enseignement de la théologie universitaire : l’exemple de l’islam », qui a eu lieu du 30 novembre au 1er décembre, à Strasbourg. Le choix de cette ville s’explique par la place spécifique occupée par les religions en Alsace en vertu du Concordat, un statut qui rend possible la prise en charge financière des différents cultes par l’État français.
De fait, le projet d’enseigner l’islam en France remonte au milieu des années 1980, quand la Marche des Beurs fait naître une demande d’identité citoyenne et l’exigence d’une meilleure connaissance de la tradition religieuse des immigrés musulmans. Au début des années 1990, Mohammed Arkoun lance un appel pour la création d’un espace de réflexion voué aux sciences religieuses musulmanes. Favorablement accueillie par le président François Mitterrand, la proposition de l’historien franco-algérien est ignorée par Lionel Jospin, à l’époque ministre de l’Éducation.
Un projet arabo-arabophone voit le jour en 1992, à l’initiative d’un organisme inspiré par des oulémas de pays musulmans – dont le célèbre Égyptien Youssef al-Qaradaoui. Ses auteurs entendent dispenser une formation « authentique », conforme aux programmes des universités théologiques musulmanes, qui plus est en langue arabe. Ce sera l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon, qui ouvrira une antenne à Paris, mais dont la légitimité scientifique reste contestée.
En 1993, une expérience d’enseignement islamique veut répondre au volet manquant de Château-Chinon et franciser le lexique comme le concept. La demande émane d’un converti, Didier Bourg, qui ne réussit pas, toutefois, à introduire la philosophie. Des problèmes internes font capoter le projet. Une autre tentative a lieu à l’initiative des universitaires Éric Geoffroy et Mohamed Madani, entre autres, afin de créer une filière de théologie à Strasbourg. Ils planchent sur la maquette d’un cursus de licence et de maîtrise, mention « théologie musulmane ». S’ils sont appuyés par le président Jacques Chirac, ils se heurtent à ses conseillers, qui arguent de l’impossibilité d’étendre le statut particulier des religions en Alsace au reste de la France. Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, propose un « Institut en sciences islamiques », qui va être détourné par le ministère de l’Éducation en un Institut d’études sur l’islam, le monde musulman et méditerranéen. Tout reste à faire.
Éric Geoffroy n’ayant pas réussi à introduire l’islamologie dans son département d’arabe à l’université Marc-Bloch de Strasbourg, il s’en remet au Conseil français du culte musulman (CFCM). Une commission est créée à cet effet. En vain : le CFCM veut centrer sur l’enseignement des imams, Geoffroy sur des cours en direction de la société civile musulmane et des non musulmans. À l’opposition de certaines fédérations membres du CFCM, s’ajoute celle de centres de formation privés qui voient d’un mauvais il la création de lieux étatiques.
De fait, c’est surtout le projet de formation des imams qui rentre à chaque fois en collision avec un enseignement universitaire et « laïc » de l’islam. « On oscille, selon l’universitaire Mohamed Mestiri, entre un super-séminaire pour former les imams et un vrai enseignement scientifique. » En 2004, la tentative de celui-ci de créer un programme de théologie dans un cadre universitaire est mise de côté. Mais Mohamed Béchari, président de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), s’en inspire pour lancer à Lille l’Institut Avicenne.
Loin de se décourager, les partisans d’un enseignement universitaire de l’islam songent à des structures semi-privées à l’image des Facultés catholiques et protestantes. Marseille est évoqué, Paris éliminé en raison de pressions diplomatiques de pays musulmans. Mais rien ne prend corps.
Le colloque de Strasbourg relance l’espoir de voir naître enfin un haut lieu de l’enseignement de la théologie musulmane dans l’une des capitales de l’Europe. Reste les questions qui fâchent, liées au contenu davantage qu’à la forme : faut-il enseigner le Coran et la tradition, ou toutes les disciplines y compris la philosophie et les sciences humaines ? Le CFCM doit-il figurer parmi les partenaires ? Cet enseignement doit-il s’aligner sur les universités théologiques musulmanes ou inventer une nouvelle approche plus appropriée à l’islam d’Europe ?

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