Bichonné par la CIA

Enlevé, séquestré et torturé au nom de la lutte antiterroriste, il attend l’issue du procès en appel qui l’oppose à la centrale américaine.

Publié le 19 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

« Les États-Unis peuvent-ils réparer une injustice commise par la CIA contre un ressortissant étranger ? » Depuis que la cour d’appel de Richmond (Virginie, États-Unis) a commencé, le 28 novembre, à examiner sa plainte contre l’agence centrale de renseignements américaine, Khaled el-Masri, 43 ans, répète à l’envi cette question. « Il est normal qu’il soit ainsi obnubilé par l’issue du procès », commente un proche de cet Allemand d’origine libanaise, ancien vendeur de voitures, enlevé, séquestré et torturé par des agents de la CIA.
Tout a commencé à la fin de l’année 2003. Masri vit dans un petit appartement, à Ulm, en Allemagne, avec sa femme et leurs quatre enfants. Les scènes de ménage sont fréquentes. Il décide de prendre « une bouffée d’air frais de quelques jours » en Macédoine. Mais le rêve d’évasion se transforme en cauchemar. Arrêté par la police des frontières macédonienne lors d’un banal contrôle d’identité, l’Allemand est conduit dans un hôtel de Skopje, la capitale. Les « enquêteurs », tous anglophones, se succèdent, mais les questions sont toujours les mêmes : ses liens avec les fondamentalistes qui animent la mosquée d’Ulm ; ses voyages en Afghanistan ; ses connexions avec al-Qaïda. Masri, qui n’a jamais appartenu à une organisation islamiste, n’en revient pas. Il nie en bloc, et demande à rencontrer un agent consulaire de son pays. Refus catégorique des policiers macédoniens, qui finissent cependant, au bout de vingt-trois jours, par lui annoncer la fin de sa captivité.
Masri croit le calvaire terminé. Las ! À peine sorti de l’hôtel, il est enlevé par d’autres hommes. Sans ménagement. Roué de coups, il est sodomisé avant d’être embarqué – menotté, la tête dans un sac opaque et les oreilles bouchées – dans un « vol secret » de la CIA vers une destination inconnue. À bord de l’avion, on lui injecte un sédatif.
Il se réveille dans une cellule poussiéreuse d’une prison jouxtant l’aéroport de Kaboul. Son premier interlocuteur est masqué. Il parle arabe avec un accent « incontestablement libanais ». Son anglais est également fluide. Les menaces fusent : « Dans ce pays, il n’y a ni droit ni loi, personne ne sait où tu es, et tout le monde se fout de ce qui peut t’arriver. » Les accusations se précisent : « Tu as fréquenté deux membres de la cellule de Hambourg [celle qui a planifié les attentats du 11 Septembre, NDLR] : Mohamed Atta et Ramzi Bin al-Shibh. » Mais rien n’entame la détermination de Masri, qui réitère ses dénégations. Et exige encore une fois de voir un diplomate allemand. En mars 2004, il entame une grève de la faim. On finit par informer George Tenet, le patron de la CIA, puis Condoleezza Rice, conseillère pour la sécurité nationale du président Bush. Le dossier étant vide, on ordonne l’élargissement du ressortissant allemand.
Au terme d’un voyage retour aussi rocambolesque que l’aller, Masri est relâché en pleine montagne, en Albanie. C’était le 29 mai. Il réussit à rejoindre l’aéroport de Tirana, où il prend le premier avion pour Francfort. Une fois à Ulm, il ne retrouve ni épouse ni enfants. Convaincue que son mari l’avait abandonnée pour une nouvelle conquête, sa femme, elle aussi d’origine libanaise, était rentrée au pays du Cèdre. Mais elle regagnera Ulm dès qu’elle apprendra le retour de son conjoint. Traumatisé, ce dernier attendra six mois avant de pointer publiquement du doigt la CIA. La presse allemande se saisit de l’affaire. Une enquête judiciaire est ouverte en Allemagne. Elle pourrait déboucher prochainement sur l’inculpation de plusieurs agents américains et certains de leurs homologues allemands, soupçonnés soit d’avoir été au courant de l’enlèvement, soit d’avoir participé aux interrogatoires de la victime en Afghanistan.
Le 5 décembre, la chancelière allemande Angela Merkel annonce que Washington a admis que la détention de Masri était une « erreur ». Il aurait été confondu avec un homonyme d’origine égyptienne. Mais la justice ne suit pas. En mai, un tribunal américain, au nom du secret d’État, rejette en première instance la plainte de l’Allemand. La cour d’appel de Richmond, qui examine actuellement le dossier, va-t-elle lui emboîter le pas ? « Ce serait, selon l’avocat de Masri, un déni de justice pour notre client et pour des dizaines de victimes innocentes du programme secret de la lutte antiterroriste de la CIA. »

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