Attention, explosif !

Publié le 19 décembre 2006 Lecture : 6 minutes.

Le sujet dont j’ai choisi de vous parler cette semaine est explosif : la « bombe israélienne », une affaire grave et qui déchaîne les passions.
Il s’agit, pour être précis, d’Israël, puissance dotée d’un armement nucléaire (des bombes atomiques, plus les avions et les missiles capables de les transporter jusqu’à la cible visée).
C’est l’actuel Premier ministre israélien, Ehoud Olmert – l’homme a décidément atteint son niveau d’incompétence -, qui a « vendu la mèche », c’est le cas de le dire : dans une interview donnée à Jérusalem, en anglais, le vendredi 8 décembre, à une chaîne de télévision allemande (qui l’a diffusée le lundi 11, jour de l’arrivée d’Olmert à Berlin), le successeur d’Ariel Sharon a déclaré :
– Les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie sont des puissances nucléaires civilisées : elles ne menacent pas les fondations du monde L’Iran, en revanche, menace ouvertement, explicitement et publiquement d’effacer Israël de la carte. Vous ne pouvez pas le placer sur le même plan lorsqu’il aspire à disposer d’armes nucléaires, à l’instar de l’Amérique, de la France, d’Israël et de la Russie.
On a reproché à Olmert d’avoir gaffé en avouant implicitement qu’Israël disposait de l’arme nucléaire, officialisant ainsi ce que nul n’ignorait, mais qu’Israël – par un privilège insigne – avait été autorisé par le club des cinq puissances nucléaires à ne pas reconnaître.

Jeune Afrique vous donnera à lire la semaine prochaine un grand document de huit pages décrivant – pour la première fois dans la presse mondiale – avec force détails la manière dont Israël est devenu, le 2 novembre 1966, il y a donc quarante ans, une puissance nucléaire.
Depuis cette date, à toute question sur ce sujet, ses dirigeants répondaient invariablement :
– Israël ne sera pas le premier à introduire l’arme nucléaire au Moyen-Orient (sic).
Ce mensonge caractérisé (auquel les Israéliens ont donné le doux nom « d’ambiguïté stratégique ») a été agréé, par la France et les États-Unis en particulier. En contrepartie, pour ne pas provoquer de course à l’armement nucléaire, ils ont demandé à Israël de ne pas effectuer de test.
Quarante années durant, le monde entier a accepté de s’accommoder de l’imposture.

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À vrai dire, le « secret » révélé par la gaffe d’Olmert avait été éventé à plusieurs reprises.
Déjà, dans les années 1970, le quatrième président israélien, Ephraïm Katzir (1973-1978), s’était laissé aller, comme Olmert ce mois-ci, à parler de la possession par Israël de l’arme nucléaire. Mais ses propos avaient été vite démentis et étouffés.
En 1986, un jeune Israélien, Mordechaï Vanunu, a révélé au monde, via le Sunday Times de Londres, qu’il avait lui-même travaillé dans les installations nucléaires militaires de son pays – et il les a décrites. Il a aussitôt été kidnappé à Rome par le Mossad (sans que les autorités italiennes ne s’en émeuvent ni ne protestent), jugé en Israël et condamné à dix-huit années de prison, qu’il a faites dans un absolu isolement*.
L’âge et la vanité aidant, l’ancien Premier ministre israélien Shimon Pérès n’a pas résisté à la tentation de déclarer plus d’une fois qu’il a été l’homme qui a obtenu de la France, dans les années 1950, qu’elle dote Israël de la capacité nucléaire.
Mais il est revenu à Robert Gates, le nouveau secrétaire américain à la Défense, d’être le premier non-Israélien à transgresser l’interdit. Devant le Sénat des États-Unis, il vient de déclarer, en effet, que l’Iran avait l’excuse (pour sa volonté d’acquérir l’arme atomique) d’être entouré, voire encerclé, de puissances dotées de l’arme nucléaire : le Pakistan à l’est, la Russie au nord et Israël au sud.
Un ancien ambassadeur d’Israël à Washington l’a immédiatement cloué au pilori : « Déclaration lamentable, a-t-il dit, Washington n’a pas le droit de toucher à notre politique de l’ambiguïté »

Israël est donc enfin sorti de son statut de membre clandestin du club nucléaire. C’est, à mon avis, plus sain, en tout cas plus normal.

Les États-Unis font partie de ce club depuis 1945, suivis par l’Union soviétique en 1949. Le Royaume-Uni y est entré en 1952, tandis que la France a fait exploser sa première bombe atomique en 1960 et la Chine quatre ans plus tard.
Ce n’est qu’en 1974 que l’Inde a forcé l’entrée du club ; le Pakistan y accéda plus tard encore : en 1998. La Corée du Nord, le membre le plus jeune, a fait exploser son premier engin le 8 octobre dernier. Ces trois derniers pays n’ont pas signé le Traité de non-prolifération (TNP).

De leur côté, les autorités sud-africaines ont, en 1993, démantelé six armes nucléaires (sous la supervision de l’Agence internationale de l’énergie atomique) et renoncé à toute fabrication d’armes atomiques à l’avenir. Il n’y a pas d’informations exactes quant à la date et à la nature des essais atomiques sud-africains effectués durant le régime de l’apartheid. Mais on sait que c’est Israël, qui, en échange d’uranium, a aidé ce régime de l’apartheid – l’autre « tribu blanche » – à acquérir la capacité nucléaire
Cela pour les informations, connues ou moins connues, sur ce problème considéré comme « sensible ». Voici maintenant deux réflexions que je me dois de partager avec vous. Elles sont gravissimes toutes les deux.

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1. La première m’oblige à évoquer, à regret, le spectre du racisme.
Comme rappelé plus haut, les quatre puissances qui ont, les premières, accédé au nucléaire militaire sont euro-américaines blanches : les États-Unis, l’URSS, le Royaume-Uni et la France (ordre chronologique). Il n’a pas été envisagé une seconde par les États-Unis d’interdire cet accès à l’URSS, ni par les deux au Royaume-Uni, ni par les trois à la France.
Et qu’on ne nous ressorte pas l’argument selon lequel les démocraties seraient plus « responsables » que les dictatures et, à ce titre, plus faciles à accepter comme membres du club : le pays de Staline n’était pas une démocratie, tant s’en faut.
Ce n’est que lorsque des pays non blancs ont prétendu au nucléaire militaire que cela s’est gâté : les États-Unis ont sérieusement envisagé de bombarder la Chine en 1964 pour l’empêcher d’avoir sa bombe ; avec le Royaume-Uni et la France, ils ont fait ce qu’ils ont pu pour interdire à l’Inde – indiscutable démocratie – et au Pakistan l’accès au club (des puissances nucléaires).
S’agissant d’Israël, puis de l’Afrique du Sud de l’apartheid – tribus blanches -, les pays blancs du « club » n’ont pas levé le plus petit doigt pour les empêcher de se doter de « la bombe » ; tout au contraire, ils le leur ont permis et, mieux, si je puis dire, les ont aidés.
Vous avez la preuve et la contre-preuve d’un comportement raciste qui ôte toute légitimité et toute crédibilité au discours actuel de ces pays euro-américains.

2. Selon ce même discours, Israël aurait le droit au nucléaire militaire parce que c’est un État responsable, incapable, lui, de l’utiliser inconsidérément.
Ceux qui tiennent ce discours sont les premiers à savoir qu’il est spécieux, car ils ne peuvent ignorer que les Israéliens ont été à deux doigts de l’utiliser en octobre 1973, lors de la guerre du Kippour, contre l’Égypte et la Syrie. Les armées de ces deux pays ne menaçaient pourtant pas le territoire israélien proprement dit, mais tentaient seulement de récupérer leurs territoires – le Sinaï et le Golan -, occupés par Israël.
Cachée au grand public, cette information est connue des initiés. Je la tiens, pour ma part, d’un très haut responsable américain peu suspect d’hostilité à l’égard d’Israël. Terrifié par la perspective, alors imminente, de cette utilisation, il m’a livré l’information secrète, à chaud, au moment où les avions israéliens chargés de bombes nucléaires attendaient l’ordre fatidique de prendre leur envol.
Israël – alors dirigé par Golda Meir – n’a renoncé, en octobre 1973, à la frappe nucléaire qu’in extremis et parce que le sort favorable des armes conventionnelles lui a permis de s’en passer

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* Il a été libéré le 21 avril 2004 (voir J.A. n° 2259), mais il lui est interdit de quitter Israël, comme d’approcher un journaliste.

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