Yahia Benmabrouk
Le comédien algérien est décédé le 9 octobre à Alger.
Un second rôle lui avait définitivement collé à la peau. Rares sont les Algériens qui le connaissaient de son vrai nom, Yahia Benmabrouk. On l’appelait toujours l’« Apprenti », même quand il ne jouait pas le lieutenant aux côtés du célèbre inspecteur Tahar. Avec ce dernier, il formait le duo de choc du cinéma algérien des années 1970. À 76 ans, l’Apprenti vient de tirer sa révérence, après une longue maladie. Fidèle à son personnage, il avait formulé un dernier voeu à sa famille et à ses amis : être conduit au cimetière en calèche et avec la zornadjia (troupe de musique traditionnelle, NDLR).
Toute la personnalité de l’homme est contenue dans cette ultime requête : caustique et grinçant, mordant et facétieux même avec sa propre mort. Né dans le quartier de la Casbah d’Alger en 1928, Yahia Benmabrouk s’enrôle dans le scoutisme. Amateur de ballon rond, il intègre l’équipe du prestigieux MCA d’Alger. Un club auquel il restera fidèle jusqu’au dernier jour. Dans les années 1940, le jeune Yahia entame sa carrière sur les planches avec pour maître Mustapha Kateb, l’artiste à qui des centaines de comédiens algériens doivent leur carrière. Il enchaîne alors les pièces et donne la réplique à tout ce que compte l’Algérie comme acteurs, de Sid Ali Kouiret et Abdelhalim Rais à Larbi Zekal ou encore Rouiched.
Du théâtre au cinéma, il n’y a qu’un pas. En 1968, Moussa Haddad lui confie le rôle de sa vie : apprenti policier en tandem avec l’inspecteur Tahar, interprété par le regretté Hadj Abderrahmane. D’où le surnom l’Apprenti. La paire enchaîne les films tels que La Souris et La Poursuite, jusqu’au fameux Les Vacances de l’inspecteur Tahar, une enquête décapante qui mènera les deux policiers d’Alger jusqu’à Tunis, à la recherche de trafiquants de haut vol.
Le film sera à l’affiche des salles de cinéma algéroises pendant des mois, tenant la dragée haute aux westerns américains, aux films indiens et aux comédies « loukoum » égyptiennes. Il connaît un tel succès en Algérie que les téléspectateurs ont fini par apprendre les dialogues par coeur. Pour l’anecdote, la copie originale a été raccourcie d’au moins une dizaine de minutes, à force de subir les coups de ciseaux de la censure algérienne à chaque rediffusion.
L’année 1978 constitue un tournant tragique dans la vie de l’Apprenti. Son vieil ami Hadj Abderrahmane décède. La perte de son complice plonge Benmabrouk dans une profonde déprime. Il ne se remettra jamais vraiment de cette disparition. L’homme a perdu l’envie de faire du cinéma. Pourtant, il n’a jamais perdu ses talents de comédien. Il en donnera les preuves lorsque Benamar Bakhti lui confie le rôle principal dans Le Clandestin.
C’est son dernier grand coup d’éclat avant la descente aux enfers. Souffrant d’une hémiplégie, il connaîtra les pires souffrances. Ballotté sur une chaise roulante d’hôpital en hôpital, il attendra longtemps que les autorités daignent prendre en charge son hospitalisation à l’étranger. Celle-ci viendra plus tard, dans une clinique écossaise, pour trois mois seulement, mais elle ne lui sera pas d’un grand secours. Quand il recevait des visiteurs, il ne se plaignait jamais de l’ingratitude des autorités.
Lorsque la maladie lui accordait quelques moments de répit, il s’installait devant sa maison aux volets bleus, au coeur de la Casbah, pour admirer la mer. Un de ses passe-temps favoris.
Une foule nombreuse est venue lui rendre un dernier hommage lors de son enterrement à Alger, le dimanche 10 octobre. Farida Saboundji, autre grande figure du cinéma algérien, aura ces mots en guise d’épitaphe : « Nous les artistes, nous ne nous rencontrons que pour nous quitter, pour nous dire adieu ! »
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