[Tribune] En Libye, il est urgent de resserrer les fils du dialogue
Libérons-nous de deux entraves qui nous lient les mains en Libye. La première : on y a déjà tout tenté, sans succès. La seconde : en pleine pandémie, ce n’est vraiment pas le moment. Paradoxalement, c’est le contraire qui est vrai.
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Jean-Yves
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et Jean-Yves Ollivier
Président de la Fondation Brazzaville
Publié le 1 mai 2020 Lecture : 4 minutes.
Sans vouloir discréditer les efforts qui ont été entrepris pour éloigner la Libye du bord du gouffre, tout n’y a pas été tenté. Au contraire, la communauté internationale s’y est condamnée à répéter deux erreurs. L’infantilisation, d’abord, qui consistait à convoquer les deux parties belligérantes — le Gouvernement d’union nationale, reconnu par l’ONU mais faible d’une part, et le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort qui cherche à étendre son contrôle à tout le pays, d’autre part — afin qu’ils « s’entendent ». Pourquoi des gens en guerre chez eux feraient-ils la paix seulement parce qu’ils se trouvent à l’étranger et que quelqu’un leur demande de se serrer la main devant les caméras de télévision ?
L’inaction, ensuite. Nul n’ignore que la Libye, depuis la chute et la mort de Kadhafi en 2011, s’est transformée en un champ de bataille régional. S’y affrontent par procuration des rivaux situés autour de la Méditerranée et au Moyen-Orient — la Turquie, l’Égypte et les Émirats arabes unis en tête parmi, au total, une dizaine de pays — pour mesurer leurs forces sans prendre le risque d’une guerre directe entre eux. Les prodigieuses richesses du sous-sol libyen attisent leurs convoitises. L’un dans l’autre, les Libyens ne sont plus les protagonistes des combats qui se déroulent sur leur sol mais, toujours, les victimes. Et la communauté internationale se drape dans l’hypocrisie. Elle appelle les belligérants à cesser les hostilités, en se donnant bonne conscience, sans empêcher leurs parrains de jeter de l’huile sur le feu.
Violation de l’embargo
La dernière demi-mesure en date : l’Union européenne (UE) vient de lancer, le 1er avril, l’opération navale Irini — la « paix », en grec — en Méditerranée pour enfin imposer le respect de l’embargo sur les importations d’armes en Libye. Il est violé, au vu et au su de tous, par la Turquie. Or celle-ci abrite entre 3 et 4 millions de réfugiés qui ne rêvent que d’entrer en Europe : Ankara aura donc de quoi inciter l’Europe à regarder ailleurs… De son point de vue, la Turquie aura même raison. Alors que l’UE patrouille en Méditerranée, des armes et des munitions continuent d’arriver par les airs et par voies terrestres, via l’Égypte, en provenance des Émirats arabes unis.
J’entends l’objection : mais si la communauté internationale se voile ainsi la face pour, surtout, ne point voir ce qui l’obligerait à agir, comment espérer une action concertée en Libye en pleine crise du coronavirus ? La réponse : c’est précisément parce qu’il n’y a aucun espoir qu’un deus ex machina — que ce soit la France, l’Italie, l’UE, les États-Unis, la Russie ou les Nations unies — intervienne de façon désintéressée pour faire cesser le drame en Libye qu’on peut y ramener la paix. Comment ? En rendant leur pays aux Libyens par une concertation patiente et inclusive entre ces derniers.
C’est ce que l’Union africaine (UA) se propose de faire. Le but est de sauver des vies en Libye et de permettre à ce pays de se reconstruire. Si le consensus est bâti sur ces trois objectifs essentiels — patriotisme, paix, reconstruction —, les ingérences se heurteront à des portes fermées. Nul ne prendra plus les brandons tendus par des pays étrangers pour mettre le feu à la Libye.
Dialogue inclusif
Ce n’est pas un rêve. En mai 2018, avec le soutien de l’UA, la Fondation de Brazzaville avait organisé à Dakar une rencontre inédite entre Libyens. Lesquels étaient aussi bien des dirigeants de la révolution de 2011 que des figures de l’ancien régime de Kadhafi. Sans exclusive ni condition préalable, ces antagonistes y ont repris langue. C’était difficile et très tendu au début.
Mais, tous réunis sous le même toit, sans « maître de cérémonie » ou ordre du jour préétabli, ils ont accepté de détacher leur regard des torts du passé et du conflit en cours pour envisager les bases fondamentales — un pays, un gouvernement, une armée, tous responsables devant le peuple — d’un avenir en commun. Ils ont honoré leurs victimes, chacun les siennes, en cherchant un récit permettant à tous de croire qu’elles n’étaient pas mortes pour rien.
Il est urgent de reprendre les fils de ce dialogue, de les resserrer. À cela, il n’y a que deux préalables. La volonté d’avancer pas à pas, au rythme décidé par les Libyens eux-mêmes, en passant de petites rencontres d’abord, à géométrie variable, à des cercles plus élargis ensuite et enfin, le moment venu seulement, à un grand forum de dialogue inclusif qui est l’objectif poursuivi. Cette volonté, l’UA l’a exprimée, et la Fondation de Brazzaville est prête à lui servir de cheville ouvrière.
L’autre préalable indispensable pour ouvrir l’espace aux pourparlers inter-libyens est le soutien du Conseil de sécurité des Nations unies. Hélas, la situation se prête à un appel solennel de l’ONU. Loin de stopper les combats, le Covid-19 a relancé les hostilités autour de Tripoli. Les combattants veulent forcer le destin. Le désespoir est aux portes de la ville. Déjà pris entre le marteau et l’enclume, ses deux millions d’habitants risquent de subir, en plus, les ravages de la pandémie.
Confiné chez moi, comme tout le monde, je ne puis les oublier. Il m’est arrivé ces jours-ci de réécouter le seizième quatuor à cordes de Beethoven, dit « le chant de paix ». La partition de sa dernière œuvre, écrite au milieu de problèmes familiaux et de soucis d’argent, portait cette injonction du compositeur : Es muß sein ! (« il le faut ! »). Oui, pour la Libye, il le faut. Absolument.
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