Sharon, ou la victoire en tuant

En multipliant les « assassinats ciblés », le Premier ministre de l’État hébreu est parvenu à endiguer les attaques suicide.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Oubliée, la « feuille de route » du Quartet (États-Unis, UE, ONU, Russie) qui devait conduire à la création d’un État palestinien en 2005. Enterrés, les accords d’Oslo, signés en 1993 par Itzhak Rabin et Yasser Arafat. Place à l’offensive israélienne « Jours de repentir », lancée par le Premier ministre Ariel Sharon le 28 septembre 2004, date du quatrième anniversaire – curieuse coïncidence – de la seconde Intifada, provoquée par la visite du même Sharon sur l’esplanade des Mosquées, le 28 septembre 2000.
« Jours de repentir » est le nom de code de l’opération visant à créer au nord de la bande de Gaza, le territoire le plus densément peuplé de la région (3 600 habitants au km2), une « zone tampon » de 9 km pour que les roquettes artisanales palestiniennes Qassam n’atteignent plus les villes israéliennes avoisinantes. Cette offensive, qui se poursuit, a fait, en quinze jours, plus de cent morts dans les rangs palestiniens et moins de dix côté israélien. Elle mobilise deux mille soldats de Tsahal, plus de deux mille tanks et blindés, des dizaines d’hélicoptères et de drones.
Les pertes humaines enregistrées durant la seconde Intifada s’en sont trouvées fortement alourdies. S’appuyant sur des sources civiles et militaires israéliennes, palestiniennes et américaines, le quotidien The Wall Street Journal a publié, le 6 octobre, un bilan édifiant de quatre années de soulèvement et d’affrontements : attaques ciblées contre les militants palestiniens ; extension du « mur de protection », des colonies et des villes israéliennes ; endiguement des attentats suicide ; étouffement économique de la société civile palestinienne (impossibilité de travailler en Israël) ; et neutralisation de l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat, plus affaibli que jamais.
Ariel Sharon peut être satisfait : il a réussi à inverser la courbe de la violence palestinienne tout en augmentant la population des colonies israéliennes (voir infographies). Entre le 28 septembre 2000 et le 30 septembre 2004, le quotidien américain a décompté 3 782 morts (combattants, soldats et civils), dont 2 780 Palestiniens et 1 002 Israéliens, avec un « pic » en 2002, année la plus sanglante : 1 000 Palestiniens tués, contre 450 Israéliens. Le « ratio mortuaire » est aujourd’hui nettement plus en défaveur des Palestiniens, qui perdent 5,3 des leurs pour « seulement » 1 Israélien (d’après les statistiques des neuf premiers mois de l’année : 478 contre 90). Il y a deux ans, les pertes palestiniennes étaient proportionnellement deux fois moins importantes (2,2 pour 1).
Mais pour Sharon, la plus grande victoire est sans aucun doute celle qu’il semble avoir remportée sur les kamikazes. En quatre ans, il y a eu 578 tentatives d’attentats suicide, dont 168 ont atteint leur cible et 410 ont été déjouées. La tendance est à la baisse : 13 attentats menés à leur terme en 2004 (sur neuf mois), contre 44 en 2003 et 61 en 2002. Le nombre d’attentats déjoués a lui aussi fortement diminué : de 229 en 2003, il est tombé à 92 en 2004. Sharon attribue ce succès à l’élimination physique de plusieurs dizaines de dirigeants activistes, à l’amélioration des méthodes de renseignement et à la construction du « mur de protection ». En quatre ans, le Premier ministre israélien a donné le feu vert à l’installation dans les territoires palestiniens de 39 000 nouveaux colons, dont les effectifs sont passés à 240 000 au 30 septembre 2004, selon le ministère israélien de l’Intérieur.
Cette répression sanglante s’est accompagnée de multiples exactions contre les civils palestiniens (dynamitage de maisons, destruction de terres agricoles, etc.). À tel point que l’évolution du conflit divise aujourd’hui la société israélienne. « Le prix de notre victoire est trop élevé. Le pays est de plus en plus isolé et vilipendé, la tension intérieure est plus grande, sans compter les centaines de morts », estime l’historien israélien Michael Oren. En se battant seuls, les Palestiniens ont infligé plus de pertes à leur ennemi que les armées arabes pendant la guerre des Six-Jours, en 1967 (803 morts, contre 1 002 depuis le début de la seconde Intifada). « Les roquettes Qassam existeront tant que l’occupation existera », a lancé Mouchir al-Masri, un porte-parole du Hamas, lors d’un rassemblement, le 10 octobre, dans la ville de Gaza. « Jours de repentir » ou pas, les Palestiniens ne semblent donc pas près de désarmer.

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