Saad Eddin Ibrahim

Sociologue et opposant égyptien

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Le tort de Saad Eddin Ibrahim ? Toucher aux tabous : la fraude électorale, le droit des coptes et celui des femmes. Entre 2000 et 2002, le plus célèbre dissident égyptien a payé de sa personne : quinze mois de prison. Mais ce sociologue de 64 ans, professeur à l’Université américaine du Caire et président du Centre Ibn-Khaldoun d’études sur le
développement, n’a pas que des ennemis. Sa double nationalité égyptienne et américaine le protège et lui donne une vraie liberté de parole. Contre Hosni Moubarak, bien sûr, mais aussi, de manière plus surprenante, pour George W. Bush.

Jeune Afrique/l’intelligent : Les attentats terroristes dans le Sinaï visaient-ils Israël ou l’Égypte ?
Saad Eddin Ibrahim : Les deux, sans doute. Les auteurs de ces attaques cherchaient
visiblement à atteindre au moins deux oiseaux avec la même pierre. D’abord, ils voulaient venger les victimes de l’offensive israélienne dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza. Ensuite, frapper le tourisme égyptien.
J.A.I. : Est-ce l’uvre d’al-Qaïda ?
S.E.I. : En tout cas, ces attentats portent son empreinte. La méthode utilisée et la puissance des frappes rappellent les attentats de Nairobi, Dar es-Salaam, Bali, Casablanca et Madrid. Mais si tel est bien le cas, al-Qaïda n’a pas agi seul. L’organisation n’a pu mener des attaques d’une telle envergure sans l’aide logistique de groupes terroristes locaux, égyptiens ou palestiniens. Vous savez, quand j’étais en prison, j’ai croisé beaucoup de gens. Et j’ai compris qu’au cours des vingt dernières années, deux ou trois vagues islamistes se sont succédé en Égypte, sous diverses appellations : Jamaa Islamiya, Djihad, etc. Certains militants se sont éloignés d’Aymen al-Zawahiri, le numéro deux d’al-Qaïda, ont renoncé à la violence. D’autres sont restés en relation étroite avec lui.
J.A.I. : En tant qu’Égyptien, Zawahiri a-t-il des objectifs visant plus particulièrement
l’Égypte ?
S.E.I. : Je pense qu’il est le cerveau qui planifie la plupart des attaques d’al-Qaïda, spécialement en Égypte. Depuis qu’il a quitté son pays il y a vingt-cinq ans, il mène une véritable vendetta contre Hosni Moubarak. En 2000, le régime se vantait d’avoir vaincu le terrorisme. Après le 11 septembre 2001, un Premier ministre s’est même permis de donner
des leçons aux Américains sur la manière de combattre ce phénomène. Les attentats du Sinaï
sont une réponse à cette arrogance et un message adressé aux dirigeants égyptiens.
J.A.I. : À 76 ans, Moubarak donne des signes de fatigue. Son régime est-il menacé ?
S.E.I. : La récente maladie du président n’est pas seule en cause. Il est très impopulaire dans son pays et, plus encore, depuis la dernière conférence de sa formation, le Parti national démocrate (PND), le mois dernier. Tout le monde a pu constater qu’il n’envisageait ni de partager le pouvoir ni d’engager des réformes.
J.A.I. : Gamal Moubarak succédera-t-il à son père lors de la présidentielle de septembre 2005 ?
S.E.I. : Non, je ne le pense pas, c’est trop tôt. Gamal a encore besoin de quelques années de préparation. D’ailleurs, le PND encourage Hosni Moubarak à se présenter une troisième fois l’an prochain. En fait, je ne serais pas étonné que le chef de l’État laisse la place à son fils trois ans plus tard, à mi-mandat. C’est ce qu’envisagent beaucoup d’Égyptiens.
J.A.I. : Pour qui « vote » Moubarak à la présidentielle américaine ?
S.E.I. : Je pense qu’il « vote » John Kerry. Vous savez, tous les dictateurs de la région souhaitent la même chose. Un : l’échec des Américains en Irak, car ce pays ne doit surtout pas devenir un modèle. Deux : l’échec de George W. Bush à la présidentielle, car
le chef de la Maison Blanche a fait de la démocratie l’un de ses objectifs au Moyen-Orient. Depuis l’invasion de l’Irak, tous les despotes de la région retiennent leur souffle. Ils se demandent quelle sera la prochaine cible des Américains. Mouammar Kadhafi a très vite capitulé. Aujourd’hui, Bachar al-Assad est soumis à une forte pression en raison de sa politique au Liban. Bien sûr, il est tout à fait possible que Kerry, s’il est élu, choisisse de mener la même politique que Bush en faveur de la démocratie, mais il ne pourra agir avant un an ou deux. Ce serait un précieux répit pour tous les despotes !

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