Que cache le mur ?

Mur, de Simone Bitton (sortie à Paris le 20 octobre)

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 2 minutes.

Simone Bitton se veut à la fois juive et arabe. Elle se dit aussi immergée dans trois cultures, puisqu’elle a le privilège – c’est le mot qu’elle emploie – d’être citoyenne de trois pays : le Maroc, où elle est née et où elle retourne souvent, ainsi qu’Israël et la France, où elle habite en alternance. Pendant la guerre de 1973, elle est dans l’État hébreu, où elle se retrouve soldate : « J’ai vu la mort et cela m’a rendue pacifiste pour toujours. » Elle a, depuis, réalisé une quinzaine de films pour la télévision, notamment des portraits de Medhi Ben Barka et de Mahmoud Darwich, une série sur « Les grandes voix de la chanson arabe » et un documentaire – l’Attentat – évoquant la période du deuil, pour les parents des victimes mais aussi ceux des kamikazes, après un attentat suicide à Jérusalem.
En 2002, elle voit à la télévision les premières images du tronçon inaugural du mur de séparation entre les territoires palestiniens occupés et Israël que Sharon a décidé de faire édifier. Le ministre de la Défense israélien affirme que cette clôture de fer et de béton mettra fin aux actions kamikazes et va résoudre les problèmes de sécurité du pays. Simone Bitton a le sentiment qu’on veut « la couper en deux ». Et qu’avec ce mur théoriquement infranchissable, qui inscrit matériellement une volonté de tuer le dialogue, on va de fait fabriquer de nouvelles vocations terroristes.
Elle ressent alors la nécessité de tourner ce qui deviendra Mur. Un film qui témoigne sa détresse, mais qu’elle a conçu surtout comme un acte de résistance. Un film militant, donc ? Peut-être, dans la mesure où il entend à l’évidence mener bataille contre la politique qui a conduit à l’édification de ce mur qui, comme le dit la cinéaste, « a une telle présence, est tellement énorme, tellement malsain, qu’on ne peut que ressentir, en le voyant, qu’il est le symptôme d’une grave maladie ». Mais il s’agit de montrer, pas de démontrer.
Le dispositif, d’apparence très simple, adopté pour réaliser ce documentaire contribue à le protéger des pièges de la pédagogie assommante ou de l’essai bien-pensant. On est convié, pour l’essentiel, à longer en compagnie de la réalisatrice le chantier du mur, présent dans quasiment tous les plans, et à rencontrer, ici et là, les hommes et les femmes qui habitent à proximité. Sans qu’on cherche à expliquer ou à décortiquer leurs propos. Les paysages mais aussi ces hommes et ces femmes sont si semblables qu’on a souvent bien du mal à savoir immédiatement de quel côté – israélien ou palestinien – on se situe. Une confusion qui, on s’en doute, réjouit Simone Bitton. Que le mur représente à la fois une prison dans laquelle s’enferment paradoxalement eux-mêmes les Israéliens, dont les familles ont traversé des mers pour fuir les ghettos, et une terrible machine de spoliation des Palestiniens n’a pas besoin d’être souligné par des commentaires : les images et les mots « bruts » suffisent pour nous le faire savoir.
Comme ces images sont toujours fortes et parfois superbes, et comme ces mots composent des paroles terribles, on ne se trouve pas simplement devant un documentaire habile et bien réalisé, mais devant une véritable oeuvre de cinéma. Ce qui ne saurait desservir le combat de l’auteur, qui voudrait tant «qu’un jour les Israéliens acceptent d’être un peu arabes ».

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