Paillettes et nouveaux talents

Organisées avec un lustre inhabituel pour marquer le quarantième anniversaire de leur création, les JCC ont également vu la percée de toute une génération de réalisateurs néophytes.

Publié le 18 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

Que se passe-t-il quand le plus ancien festival cinématographique du Sud décide de fêter avec éclat près de quatre décennies d’existence ? Réponse: il bat son record de spectateurs ! C’est ce qui s’est passé à Tunis du 1er au 9 octobre à l’occasion de la vingtième session des Journées cinématographiques de Carthage (JCC). La biennale
panafricaine et panarabe créée en 1966, qui se déroule dans l’ensemble des salles de la capitale tunisienne, a engrangé en huit jours l’équivalent de trois mois de fréquentation publique de ces salles en temps normal.
Tout en louant l’excellence de leur programmation, on avait tendance à reprocher aux JCC leur manque de « paillettes ». Surtout en comparaison avec d’autres manifestations maghrébines plus récentes, notamment le festival de Marrakech, beaucoup plus mondaines, même si le choix des films est moins convaincant. La vingtième session de Carthage a relevé le défi en organisant pour la première fois son ouverture de manière grandiose, dans l’immense coupole du Palais des sports de la Cité olympique d’el-Menzah. Tapis rouge, projections numériques géantes, défilé des anciens lauréats des Tanit d’or et un ballet d’invités de choix comme le comédien Omar Sharif, la star égyptienne Yusra ou le réalisateur Youssef Chahine ont donné à la cérémonie un lustre exceptionnel.
Autres moments forts, les réceptions somptueuses sur le paquebot Le Carthage ou dans les magnifiques jardins de la résidence de l’ambassadeur de France à La Marsa. Des manifestations marquées par la participation de stars de la télévision française comme Thierry Ardisson et Daniela Lumbroso, acheminées par le producteur tunisien Tarak Ben Ammar dans son avion privé, de même que le chanteur Johnny Hallyday, venu assister au gala de clôture.
Le même Tarak Ben Ammar devait conduire les festivaliers à Hammamet pour visiter ses nouveaux Studios Empire. Une bonne partie de la Rome antique y a été reconstituée en « dur » pour accueillir le tournage d’une série télévisée européenne puis… une émission de « télé-réalité » produite par Thierry Ardisson !
Pour revenir aux JCC, cette vingtième session a surtout révélé l’émergence d’une toute nouvelle génération de réalisateurs et réalisatrices d’Afrique et du monde arabe. Sur les dix longs-métrages primés, sept sont des premières oeuvres. Les femmes sont également beaucoup plus présentes : elles remportent cette année le Prix spécial du jury avec Dans les champs de bataille, de la Libanaise Danielle Arbid (la guerre et l’amour vus par une petite fille) et le Tanit de bronze avec Visions chimériques, de la Syrienne Waha al-Rahib (qui décrit la condition de la jeune fille arabe).
En section vidéo, les femmes raflent à la fois le Grand Prix du long-métrage (Tanger, le rêve des brûleurs, de la Marocaine Leïla Kilani) et celui du court-métrage (Berlin-Beyrouth, de la Libanaise Myrna Makaron). Sans parler de réalisations non primées mais qui ont fait sensation par l’originalité de leur sujet comme La Nuit de la vérité, de la Burkinabè Fanta Regina Nacro (qui invente un « sommet de la paix » au lendemain de massacres interethniques).
Le pays vainqueur des JCC 2004 a été sans conteste le Maroc, qui, outre le prix vidéo remporté par Leïla Kilani et une mention spéciale pour La Chambre noire, de Hassan Ben Jelloun (qui dénonce la répression politique des « années de plomb »), décroche pour la première fois le très convoité Tanit d’or. À Casablanca, les anges ne volent pas, premier long-métrage de Mohamed Asli, déjà présenté à Cannes en mai 2004, est un beau poème visuel humaniste sur la tragédie de l’exode rural. Ces succès sont une conséquence logique de la politique marocaine en faveur du cinéma, la seule au Maghreb à faire alimenter son fonds de soutien par 5 % des recettes de la télévision. Une mesure qui a abouti à multiplier par trois le nombre de films produits. Depuis deux ans, dans les différentes sélections du Festival de Cannes, le cinéma marocain a pris la relève du cinéma tunisien (qui y fut omniprésent de 1986 à 2001) et réussit aujourd’hui, en Tunisie même, à décrocher la plus haute récompense.
Le pays organisateur a sauvé l’honneur en remportant le Tanit d’or du court-métrage, avec l’une des rares comédies du festival, le succulent Visa, de Ibrahim Letaïef, ainsi que deux récompenses pour le long-métrage Noce d’été de Mokhtar Ladjimi. Parmi les nouveaux venus au palmarès, on note l’Angola, avec Un héros, de Zézé Gamboa, sur le retour d’un soldat à la vie civile (prix de la première oeuvre) et l’Afrique du Sud avec Lettre d’amour zoulou, de Ramadan Suleïman, sur les séquelles actuelles de l’apartheid (Tanit d’argent). Le prix du meilleur acteur est allé à l’Irakien Sami Kaftan pour Zaman, l’homme des roseaux, de son compatriote Amer Alwan. Quant à celui de la meilleure actrice, il est revenu à la Sénégalaise Rokhaya Niang pour Madame Brouette, de Moussa Séne Absa. Une belle récidive, car Rokhaya était déjà l’actrice principale du film lauréat du Tanit d’or en 2002, Le Prix du pardon, de Mansour Sora Wade.
Les JCC 2004 ont également eu leur vrai-faux « scandale » avec une rumeur persistante selon laquelle la projection du documentaire Déluge au pays du Baas, d’Omar Amiralay, Syrien résidant en France, serait annulée à la suite de certaines pressions diplomatiques. Une rumeur qui a entraîné des déclarations de retrait de leurs films par plusieurs cinéastes, mais qui s’est révélée infondée. La projection a bien eu lieu en définitive, confirmant que les JCC, bien qu’organisées directement par les autorités tunisiennes et non pas par une association de professionnelscomme c’est le plus souvent le cas ailleurs, continuent à garantir les films contre toute forme de censure. Laquelle, dans ce cas, aurait été d’autant plus absurde que le film coproduit par la chaîne de télévision française Arte, et déjà projeté à Beyrouth et à la Biennale des films arabes de Paris, reste accessible à tous par voie de satellite !
Curieusement, la clôture des JCC 2004 a été aux antipodes de l’ouverture : comme effrayés par l’audace et la démesure (pourtant très réussie) du premier jour, les organisateurs se sont repliés pour la remise des prix sur la petite salle du Théâtre de la ville de Tunis, dans une cérémonie minimaliste où ne manquaient ni les approximations ni un certain amateurisme comme s’il s’agissait d’une simple remise de prix « locale » !
D’où l’impression que les JCC – dont la plus grande lacune est l’absence d’écho international et la plus grande réussite l’extraordinaire adhésion du public, qui transforme pendant une semaine Tunis en véritable centre d’échanges culturels – revenaient inéluctablement à leurs origines. Fondées par le président des ciné-clubs tunisiens de l’époque, le professeur Tahar Cheriaa, les JCC semblent toujours ainsi rejeter in fine les paillettes pour retrouver leur formule la plus efficace : celle, plus intellectuelle et autrement conviviale, d’un ciné-club géant à l’échelle de toute une ville.

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