Les sept erreurs de Monsieur Bush en Irak
Hors du bunker de ses certitudes, la position de George Bush est devenue intenable. Il s’est d’abord isolé des gens de raison, puis, courant trois lièvres à la fois, le terrorisme, le pétrole et un rêve mystique de civilisation du monde, il a dispersé ses troupes et renforcé la terreur. Acculé dans une impasse, il frappe tous azimuts sans porter un seul coup à son adversaire.
1. Il s’est isolé des autres pays en méprisant l’autorité des Nations unies. Parti en guerre sur l’affabulation des armes de destruction massive irakiennes, il n’a pas écouté les conseils de la « vieille Europe. » Croyant avoir raison contre tous, il s’est retrouvé seul à avoir tort. Qu’enfin, comme le suggéraient l’Allemagne, la France et la Russie, il accepte aujourd’hui une conférence sur l’Irak rassure médiocrement. Car, là-bas, sur les berges du Tigre et de l’Euphrate, où les chiites avaient salué le renversement de Saddam, à coups d’ignorance et d’incompréhension des moeurs locales, il a retourné contre lui une communauté pourtant favorable à son intervention.
2. Il use de faux prétextes. Celui des armes de destruction massive étant tombé, il invoque le droit, pour justifier son agression, quand son seul argument est la force. Il parle d’une menace militaire de l’Irak contre l’Amérique, quand autrefois, surarmé, ce pays se révéla incapable de gagner la guerre contre l’Iran. Il prétend avoir attaqué pour faire rendre gorge à un dictateur quand, de la Libye au Turkménistan, il traite avec les pires autoritarismes en échange de leur pétrole et laisse indemne la Corée du Nord pourtant puissance nucléaire.
3. Il disperse ses forces et les met ainsi en péril, attaquant en Afghanistan et en Irak, installant des bases militaires de l’Algérie à l’Asie centrale en passant par le Qatar, menaçant la Syrie, le Soudan et l’Arabie saoudite. Même ses ambassades deviennent des camps retranchés. Bientôt ses diplomates devront troquer la tenue de soirée contre le gilet pare-balles.
4. Il étend le terrorisme au lieu de le réduire. Donnant en apparence raison aux émules de Ben Laden, Bush construit le décor d’une guerre mondiale entre l’Orient et l’Occident. Servant les plans de son ennemi, il pousse de plus en plus de jeunes musulmans dans les bras des recruteurs de l’islam radical. Au spectacle des abominations commises à Abou Ghraib ou des milliers de victimes civiles des bombardements des Américains, les masses musulmanes crient leur haine contre la première puissance mondiale. Leurs dirigeants, perçus comme les complices de l’Amérique, sont associés dans la même exécration.
5. Courant trois lièvres à la fois, Bush néglige le seul objectif raisonnable, la lutte contre le terrorisme. Celle-ci ne lui sert plus que d’excuse pour affirmer son contrôle sur le pétrole. Et même sur ce plan-là, il échoue. En Irak, à cause des sabotages répétés des installations, l’exportation de l’or noir couvre à peine le coût de l’occupation.
6. Devenu aveugle à force d’écouter des prêcheurs intégristes, Bush ne voit pas les causes de la haine contre l’Amérique : sa superbe, ses injustices et, plus que tout, son soutien à Israël, cause première de toutes les colères du monde musulman. Sous la pression de l’Amérique, les musulmans ne comprennent pas tant de sévérité à leur endroit, quand les crimes perpétrés par l’État hébreu sont passés sous silence. Quand Sharon et ses amis peuvent mépriser les décisions des Nations unies, violer les frontières, s’armer en nucléaire, tuer femmes et enfants, détruire les habitations et se servir contre les Palestiniens de l’arme de la faim.
7. Bush n’agit plus, il réagit. Les États-Unis ont épuisé leurs réserves de pétrole : il réagit en tentant de s’emparer par la force de ce dont il a peur de manquer. Son pays est la cible de l’attaque du 11 septembre 2001 : il répond en dépêchant les éléphants de son armée pour chasser les moustiques du terrorisme. La France lui demande de réfléchir avant d’agir : il prend cela pour une trahison et ordonne à ses sbires d’abreuver ce pays d’insultes pour le punir. Enfin, quand l’Irak refuse l’occupation, Bush réplique en bombardant ses villes.
Lorsque, épuisés, appauvris et effarés par le nombre de leurs morts, les États-Unis quitteront l’Irak, ils verront alors l’inutilité de toute cette violence. Dans son combat contre le terrorisme, le nôtre aussi, Washington appréciera alors la collaboration des autres États. Mais, plus longtemps les États-Unis refuseront de rentrer dans le concert des nations, plus tenace sera la haine engendrée par leurs exactions. Espérons que ce fiasco irakien aidera la plus grande puissance de la planète à se forger une nouvelle vision du monde.
Ehsan Naraghi, sociologue iranien, ancien conseiller spécial du directeur général de l’Unesco. Auteur de Du palais du chah aux prisons de la révolution (éditions Balland), Islam et laïcité (éditions des Sciences de l’Homme), L’Orient et la crise de l’Occident (éditions Entente).
Alain Chevalérias, journaliste et écrivain français. Auteur de Islam avenir du monde, entretiens avec Hassan al-Tourabi (éditions J.-C. Lattès), La Guerre infernale, le montage Ben Laden et ses conséquences (éditions du Rocher).
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